Agriculture bio : on ne récolte pas toujours ce que l’on sème

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Agriculture bio : on ne récolte pas toujours ce que l’on sème

Nicolas Frevin, agriculteur bio en polyculture devant sa moissonneuse-batteuse mutualisée en cuma.

Après la mobilisation des agriculteurs cet hiver, la mise en pause du plan Écophyto est un mauvais signe pour l’avenir de la filière. Devenu répulsif, le bio ne conquiert plus tellement les cœurs des Français. Focus dans la Somme où les agriculteurs bio sont les derniers résistants.

En 2021, l’agriculture bio ne représentait que 2% de la surface de la Somme. Avec un potentiel de rendement élevé, la spécialisation des zones agricoles et une forte pluviométrie, l’épandage des produits phytosanitaires est plus systématique dans le nord de la France. Majoritairement présentes dans la Somme, le blé tendre et la pomme de terre font parties des cultures les plus traitées.

Le conventionnel doit tendre vers l’agriculture bio

Vincent, agriculteur en conventionnel tend vers l’agriculture bio et raisonnée en adaptant ses pratiques. Pour le colza et son irrigation, c’est grâce à l’aide des satellites qu’il met « juste ce dont la plante a besoin pour éviter de puiser dans les nappes phréatiques. Tout ça, l’agriculteur en est conscient. On vit avec, on a besoin de l’eau. Mais en conventionnel, il faut qu’on s’améliore, qu’on arrive à rejoindre un peu le bio ».

Nicolas, agriculteur bio depuis 2011, arrive pour ses betteraves à se passer des néonicotinoïdes, désormais interdites depuis la décision de la Cour de justice de l’Union européenne le 19 janvier 2024 : « On épand du savon noir sur les feuilles de betteraves pour essayer de limiter l’attaque des pucerons » confie t-il.

Pour Mathieu, qui a transitionné en 2012, la rotation des cultures qui a comme vertu de limiter les ravageurs, est facilitée par la mise en place en prairie des terres pour l’élevage de ses vaches. Ces deux agriculteurs bio plantent des légumineuses dans leurs céréales pour se passer des phytosanitaires. L’azote est capté dans l’air et redistribué dans le sol pour que les cultures puissent en profiter.

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Carte Adonis d’utilisation des pesticides en France. En 2021, la Somme avait un indicateur de fréquence de traitement (IFT) de 5,61.

La cuma : une aide à la transition écologique

Les trois agriculteurs sont présidents de leur cuma. Grâce à la mutualisation, ils bénéficient d’une aide financière nécessaire leur offrant la possibilité de posséder du matériel à la pointe des technologies. Leurs cuma les sortent de leur isolement : « En groupe, en communiquant, chaque année, on cherche des pistes pour s’améliorer. C’est mon cheval de bataille et une certaine motivation. Demain je ferais mieux qu’hier. » confie Vincent. Les pratiques agricoles plus vertueuses sont aussi facilitées : « On a investi dans une bineuse en maïs. En individuel, je ne l’aurais pas fait. J’aurais donc continué à traiter une fois de plus » poursuit t-il.

Au sein de la cuma de Mathieu, l’agriculture bio est en minorité mais ce n’est pas pour autant que leurs pratiques n’influent pas. « Etant agriculteur bio, j’ai envie que mes voisins partent aussi dans le même système. Grâce à la cuma, on achète du matériel dédié au désherbage mécanique ».

L’agriculture bio face au dérèglement climatique

Se repérer dans les saisons devient un vrai défi. Le dérèglement climatique contraint les pratiques, les dates des semis sont avancées. Les cycles s’enchaînent dans la Somme : longue période de pluie puis de sécheresse… Les agriculteurs tentent de s’adapter avec ces extrêmes : « À cause de l’augmentation des températures, je n’arrive pas à éviter l’antipuceron » déplore Vincent pour sa culture d’orge.

Nicolas, quant à lui, limite les dégâts de l’érosion et de la sécheresse sur ses plantations grâce à ses couverts végétaux.

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Changer vers le bio quand les voisins sont au phyto

Mathieu a eu la chance d’avoir un voisin qui lui a servi de modèle pour transitionner. Son père, décédé d’un cancer du poumon probablement causé par les pesticides, l’a conforté dans son choix du bio. Il raconte : « Il y a un bidon qui m’a glissé des mains, je me suis retrouvé éclaboussé. J’ai développé une allergie et je me suis dit, je ne toucherai plus jamais à ça ». Le déclic chez les autres est plus complexe. La santé n’est pas toujours une préoccupation mais Nicolas est convaincu que la barrière est surtout psychologique. « C’est toujours la crainte de ce que les voisins vont dire puis c’est la peur de l’inconnu et de l’échec ».

Pas question de faire du 100% bio

Vincent ne se voit pas se passer complètement du chimique. Les « solutions arrivent mais elles coûtent cher et qui va les financer ? » se questionne-t-il. Aujourd’hui, la transition est moins encouragée puisque les aides au maintien ont disparu depuis 2021. Pour Nicolas et Mathieu, le défi a donc été de se former eux-mêmes. « Les seuls conseillers qu’on a au niveau de la chambre d’agriculture apprennent en même temps que nous » spécifie Nicolas. « Jusqu’à il y a dix ans, les techniciens, étaient des marchands de produits. Quand je suis passé en bio, mon technicien de coopérative s’est inquiété de la baisse de son chiffre d’affaires ».

Mathieu explique qu’aujourd’hui la formation au bio est dispensée mais dépend de la conviction du formateur. Les enfants d’agriculteurs conventionnels restent « dans le moule phyto ». Nicolas constate alors que la façon de penser est à déconstruire : « Aujourd’hui, une plante qu’on ne produit pas pour la consommation, c’est une mauvaise herbe. En fait, ce n’est pas vrai. Toutes les plantes ont un effet bénéfique sur l’environnement dans lequel elles se trouvent ».

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