« C’est un moyen important pour fédérer les salariés en leur offrant un travail à temps plein. Ce n’est pas négligeable dans le contexte qui est le nôtre aujourd’hui avec les problèmes de main-d’œuvre que l’on connaît. Et avec les contrats annualisés, on peut gérer les pics d’activité et les périodes plus creuses. » C’est que répond Marion Fachin, coordinatrice de la fédération des cuma dans l’Aude quand on lui demande quel intérêt il peut y avoir à constituer un groupement d’employeurs. Ainsi que les cuma en ont la possibilité depuis quelques années.
3 groupements d’employeurs dans l’Aude depuis 2021
Pour autant, les 94 cuma audoises demeurent pour le moins frileuses sur ce sujet. « La première à y avoir eu recours est la cuma du Plateau à Fanjeaux, en 2021. Depuis, deux autres groupements d’employeurs ont été mis sur pied, seulement », regrette-t-elle. Il y a même des secteurs entiers qui pour l’instant ne semblent pas avoir compris l’intérêt du dispositif, comme le monde viticole. Et les contextes et objectifs peuvent être très divers.
Un atout pour la diversification des exploitations
« La cuma de la Fount del Prat, dans le Lauragais, rassemble des producteurs de céréales qui se sont diversifiés dans les légumes et les semences en particulier. Ils ont embauché un double actif. Cet agriculteur, âgé d’une trentaine d’années, est donc en contrat de professionnalisation. Il va préparer un BTS gestion des équipements », explique-t-elle. Mais c’est peut-être une cuma un peu particulière ? « Les adhérents sont plutôt jeunes dans l’ensemble, ils sont seize et onze ont moins de 40 ans, avec des exploitations de taille moyenne, de 60 à 80 hectares. Le salarié est mis à disposition de trois ou quatre adhérents pour donner un coup de main sur les exploitations… »
À l’autre bout du département, la cuma du Petit Plateau, en pays de Sault, fait aussi partie des premières cuma dans l’Aude à avoir mis en place un groupement d’employeurs. « Notre cuma compte 22 adhérents, nous l’avons fait renaître de ses cendres en 2015. Il n’y avait au départ que des éleveurs, mais certains d’entre nous se sont diversifiés, en particulier dans la production de légumes de plein champ, pommes de terre, oignons, carottes, poireaux… », détaille Margot Morisot, éleveuse et adhérente à la cuma du Petit Plateau.
Ce qui a présidé à cette diversification, ce sont les inquiétudes quant à la Politique agricole commune, indispensable à la rentabilité de l’élevage. Mais aussi l’envie de développer une commercialisation en circuit court, avec la restauration scolaire, la banque alimentaire de Carcassonne, puis le projet ambitieux, presque un rêve, de l’ouverture d’un magasin de producteurs par les membres de la cuma. Ce dernier permettrait de concentrer la commercialisation des produits agricoles du secteur. « Ici, dans le pays de Sault, il n’y a pas d’endroit qui rassemble ainsi tous nos produits du terroir », insiste l’éleveuse.
Les groupements d’employeurs permettent de créer des emplois dans l’Aude
« Nous avons opté pour le groupement d’employeur pour pouvoir aller plus loin dans ce que nous voulons faire, poursuit-elle. Nous avions besoin de quelqu’un qui connaisse toutes les fermes pour pouvoir y intervenir en cas d’urgence, pour un remplacement. Afin qu’il puisse également participer à tous les chantiers : foins, arrachage des pommes de terre. Qu’il puisse faire les remplacements dans les élevages… Et comme c’est quelqu’un qui, en plus, habite le territoire, nous avons créé un emploi sur notre territoire. »
De quel coin de l’Aude parlons-nous là ? D’un coin éloigné des grands axes, presque caché au-dessus d’Espezel, au pied des montagnes. Là où précisément un emploi ne se crée pas tous les quatre matins. « La personne que nous avons embauchée travaillait déjà comme salarié agricole et nous allons lui faire passer les formations obligatoires. Mais c’est quelqu’un qui a déjà l’habitude de travailler chez nous », précise-t-elle. « Là en plus il va travailler pour la cuma, entretenir le matériel, ce sera différent par rapport à l’entretien fait par les adhérents qui sont parfois réfractaires à ces tâches. »
Non loin de là, à Puivert, l’histoire que confie Ségolène Cengia, de la cuma de Puivert, est représentative du chemin à parcourir. Elle illustre aussi les réticences, qui restent nombreuses. « Notre cuma compte aujourd’hui une trentaine d’adhérents actifs, nous sommes principalement dans une zone d’élevage et nous sommes aussi, en quelque sorte, à un tournant », commence-t-elle. Le paysage agricole de ce secteur en haut de Quillan a bien changé en deux décennies. Exit l’élevage laitier, tout le monde s’est ici converti à autre chose, aux bovins viande notamment.
Se dégager du temps
« Autrefois, notre cuma était regroupée autour de cette trentaine d’élevages laitiers, il y avait un tracteur, une ensileuse et un chauffeur, raconte-t-elle. À la suite de l’arrêt des exploitations laitières, le tracteur et l’ensileuse ont été vendus, et le salarié a pris sa retraite. » Depuis rien. Jusqu’à ces derniers mois quand elle a porté la réflexion d’embauche d’un nouveau salarié par groupement d’employeurs devant le groupe.
« Dans la cuma, nous sommes nombreux à nous être installés il y a une dizaine ou une quinzaine d’années. Et jusqu’ici, nos parents nous aidaient sur l’exploitation mais il arrive un moment où ils sont fatigués… » Il a donc fallu reporter la charge de travail qu’ils assumaient complètement sur les exploitants en place. « C’est pourquoi j’ai alors proposé à ma cuma de réfléchir à l’opportunité d’embaucher quelqu’un à se partager sur les exploitations, ajoute-t-elle. Le groupement d’employeurs permet en effet de se dégager un peu de temps. Éventuellement, la cuma pourrait ensuite l’embaucher directement et acheter un tracteur. Mais pour l’instant, ça n’avance pas vraiment. Il faut du temps. » Mais une fois le pas franchi, ce sont de nouvelles opportunités qui peuvent se présenter.
Margot Morisot garde à l’esprit que cette solution pourrait aider à débloquer un projet pour l’instant rester dans les cartons : l’acquisition d’une épareuse. « C’est un matériel très fragile et nous avons en effet réfléchi à une acquisition en intercuma,, indique-t-elle. Mais il faudrait qu’il n’y ait qu’une seule personne habilitée à conduire cet engin pour limiter les problèmes quand il y a de la casse. » Le groupement d’employeurs pourrait alors là aussi être un moyen pour surmonter l’obstacle.
À quoi ça sert ?
Mais au fond, qu’est ce qui peut bloquer le recours à ce type de solution ? C’est Ségolène Cengia qui nous livre quelques clés : « Il y a la peur de ne pas arriver à payer justement pour le travail de cette personne. La peur de ne pas savoir quoi lui faire faire aussi, on l’entend souvent. Ou encore l’idée que si nous n’effectuons pas nous-mêmes le travail, il ne sera pas bien fait. Mais je trouve que c’est manquer de vision à moyen et à long terme », regrette-t-elle, avant d’avouer avec sincérité qu’elle est aussi passée par ces doutes.
« Moi, c’est l’aspect financier qui me faisait peur, avoue-t-elle. Mais il faut dépasser cette crainte parce que au-delà du coût, un salarié libère du temps sur une exploitation. Je suis donc allée voir ailleurs, dans une zone en France où la pratique est plus courante, et j’ai changé d’avis. » Reste cette incompréhension qui la fait sourire : « Je ne comprends pas comment ils peuvent être prêts à mettre un argent fou dans un tracteur. À quoi ça sert s’il n’y a personne pour le conduire ? »
Elle sait toutefois que les choses vont bouger. Question de temps, de discussion. « Cela n’aboutira pas pour 2024 mais j’espère que pour 2025, nous pourrons avoir quelqu’un à nous partager à quatre ou cinq exploitations. D’ailleurs, souligne-t-elle, si cette solution avait été mise en œuvre avant, il y a 20 ou 30 ans, nous n’aurions peut-être pas perdu toutes les exploitations laitières du secteur, basculées depuis en bovins viande une fois les amortissements réalisés ! » Le parallèle, saisissant, interroge en effet.
Une aide financière
Les employés des groupements d’employeurs de cuma dépendent de la convention collective nationale de la production agricole et des cuma. Ils sont éligibles à une aide de 3 000 € de la Région et les contrats de professionnalisation à une aide de 6 000 €.
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