Bien sûr, sur le long terme, il sait que la régulation est salutaire pour les sols, les réserves en eau, la biodiversité. Mais ces phases de refroidissement et de précipitations « forcées » déboussolent complètement les cultures et les animaux pendant un moment. Tous les indicateurs virent au rouge. Les salariés ont parfois du mal à analyser les réactions biologiques. Sans compter que certains facteurs de production sensibles, comme les mycorhizes et les microbiotes, ne s’en remettent pas toujours. Et sur le plan humain… il soupire. L’intervention risque de fâcher tous leurs interlocuteurs de l’autre côté de la frontière. Capter les eaux atmosphériques, dans ces zones, c’est courir le risque de braquer la cuma d’apiculteurs itinérants auxquels il fait habituellement appel pour booster les pollinisations. Leurs parcelles d’attache, de l’autre côté des montagnes, risquent de souffrir aussi du manque d’eau induit par ce captage forcé. Quant au risque de faire réagir militairement l’Espagne, il préférait ne pas y penser.
Régulation et déséquilibres
« Monsieur Llobras ? Vous pouvez entrer. » Le secrétaire l’introduit dans la salle où se tient le général et une partie de son état-major. « Monsieur Llobras, asseyez-vous, lui enjoint le général en lui désignant un siège vide. Vous avez déjà bénéficié d’un choc de régulation, il y huit ans. »
Ce n’est pas une question. Habitué à être consulté et prendre lui-même les décisions qui concernent son entreprise, Stan opina fermement du chef malgré tout. « Tout à fait. Ce qui a occasionné des déséquilibres de production pendant deux ans, notamment au niveau des sols. La productivité a chuté de 12 % la première année qui a suivi le choc. De 7,5 % ensuite. Certains de mes salariés les plus qualifiés ne s’en sont pas remis et sont partis. »
Les militaires se consultent du regard. « Et ensuite ? », l’interroge le général Latranche. « Ensuite ?, répond Stan. Hé bien, la situation est revenue quasiment à la normale… »
Les relevés satellitaires ne mentent pas
« Moui. » Le général Latranche se permet un petit rire. « Une normalité à plus 25 %, si vous me permettez l’expression. Une normalité qui vous a permis de pourvoir réintroduire des cultures plus rentables. Nous avons les relevés satellitaires, et ils ne mentent pas. La biomasse est plus élevée, les taux de matière organique sont plus hauts, en conséquence vos taux de stockage du carbone sont plus élevés qu’avant le premier choc, la capacité de rétention des sols meilleure… En bref vous avez gagné sur toute la ligne monsieur Llobras. »
« Ok, se défend Stan. Mais que faites-vous de nos relations avec nos fournisseurs et nos clients, de l’autre côté de la frontière ? »
« C’est pour cela que nous comptons parmi nous une professionnelle du ministère des Affaires étrangères, répondit sur un ton moins cassant le général. Madame Guerrido travaille pour la Task-Force de médiation climatique. Elle a déjà commencé un travail de négociation en vue de fournir des contreparties à notre voisin espagnol. C’est pour cela aussi que nous nous rencontrons aujourd’hui : pour que nous puissions identifier ensemble les interlocuteurs techniques à convaincre sur le terrain, au-delà des autorités avec lesquelles le ministère négocie déjà en direct. »
Stan se détendit un peu. Il allait faire entrer ses apiculteurs dans le ballet des négociations. C’était déjà mieux parti que la dernière fois.
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