Clément, le président de la cuma, coupe Felix qui s’agite sur sa chaise et qui s’apprête à protester : « Non, Felix, même avec un projet pédagogique, ça ne fonctionnera pas. » Dur de sortir d’une logique de production, surtout pour des gens comme Felix, des « héritiers », qui s’inscrivent dans une lignée d’agriculteurs « à l’ancienne ». Mais, désormais, la réglementation a le mérite d’être claire : la nourriture est une affaire industrielle, normée et standardisée de toutes parts. Et l’agriculture a pour mission d’entretenir le territoire, de le réparer et de le rendre le plus résilient possible face aux aléas qui se multiplient, tout en stockant un maximum de carbone atmosphérique.
Des agriculteurs fonctionnaires d’État
Une grande partie des familles d’agriculteurs ont hésité, lorsque la PAC 2042-2047 a jeté le pavé dans la mare. Proposer une rémunération publique – pas mirifique mais honnête – aux « nouveaux agriculteurs », en échange de deux missions : stocker du carbone et restaurer les écosystèmes.
Certains ont jeté l’éponge. Clément et sa compagne Jenna ont sauté sur l’occasion. Une multitude d’exploitations se sont retrouvées sur le marché en même temps, les prix des fonciers – hors grandes plaines céréalières bien sûr – ont alors spectaculairement chuté. Cela leur a permis de quitter leurs emplois urbains et un quotidien qu’ils jugeaient complètement absurde. Clément est devenu fonctionnaire d’État, responsable d’une petite surface anciennement en polyculture élevage, mais aussi président de la cuma du bassin du Fiumas. Quant à Jenna, elle travaille dans l’une de ces unités industrielles de production alimentaire, en tant que responsable sanitaire.
Bois énergie et sangliers
Les membres du bureau ont rejoint l’équipe des salariés de la cuma pour leur prêter main-forte ; le chantier de la semaine consiste à curer et gratter les fossés de toutes les exploitations et routes du secteur pour s’assurer que l’eau s’évacuera correctement lors des prochains épisodes pluvieux.
Après le repas, Clément sort surveiller les espèces qui poussent spontanément dans l’ancienne luzernière et le troupeau de chèvres qui est parqué dans le petit bois pour débroussailler avant la saison sèche. Un tour avant d’aller chercher l’épareuse au hangar de la cuma. La cuma se charge d’alimenter les chaufferies bois collectives des équipements publics.
« L’environnement, c’est nous ! »
Dans les branches hautes des haies, il remarque un nid bizarre. Clairement une colonie d’hyménoptères, mais la structure du nid l’interpelle. Il appelle sa femme, lui laisse un message. « Jenna ? Je t’envoie une photo d’un nid que je viens de repérer en haut des arbres, du côté des Hauts de Fiumas. »
Elle le rappelle, un poil énervée. « Écoute, je suis en plein dans une opération de stérilisation de sangliers, on vient de choper ceux qui nous ont bousillé la moitié du sorgho l’année dernière, c’est chaud. J’ai un prestataire qui a été blessé. Qu’est-ce qu’il y a ? »
Clément part au quart de tour. « Tu déconnes ? Tu sais que l’environnement, c’est nous, en fait, Jenna ! On aurait pu te faire ça aux petits oignons. Les sangliers, mon collègue Felix les appelle par leur petit nom ! » Jenna lui raccroche au nez.
Bon, pour le nid, c’est râpé. Il sourit quand même. Ce soir, ça va être sport à la maison. « Chacun son job, après tout ! »
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