Faut-il opter pour l’achat d’un tracteur d’occasion ? Eléments de réflexion de trois experts.
1 / Adrien Normand : « Des écarts de prix de 20 000 € »
Pour l’estimation d’un tracteur d’occasion, j’effectue sur place un état des lieux précis. Et je m’aide ensuite de la cote Simo [base de données accessible aussi pour les particuliers à raison de 7 € par cotation sur le site en ligne Simo-net]. Le point de départ est de connaître le prix d’achat du tracteur, l’année de mise en circulation et les factures d’entretien et de réparation. On détermine ensuite une courbe de décote annuelle. Puis on module le résultat en fonction : du nombre d’heures effectuées, du type de travail en considérant que certains travaux génèrent davantage d’usure tels que les travaux réguliers de manutention avec une fourche par exemple. Des options présentes tels que le type de boîte de vitesses, le relevage avant, le nombre de distributeurs d’huile, la prise de force avant, les montes de pneus spécifiques, le type de freinage, l’autoguidage, la cabine ou le pont avant suspendu, la présence de masse, le télégonflage, etc.
Sur un John Deere 6150 M de quatre ans (150 ch), on pourra par exemple avoir un écart de prix jusqu’à 20 000 € entre deux cas de figure extrême : beaucoup d’heures et aucune option pour l’un ou au contraire full options et peu d’heures pour l’autre. En règle générale, plus le nombre d’exemplaires vendus d’une gamme est élevé, moins il y a de risque d’erreurs sur les évaluations. Désormais, le marché de l’occasion a gagné un peu en transparence avec la mise en ligne des offres commerciales qui procure davantage de références.
Avis sur l’achat d’un tracteur d’occasion
Même sur des tracteurs neufs, quelques pannes mécaniques surviennent, liées notamment aux défauts de fonctionnement des vannes EGR sur les moteurs tiers 4. De ce point de vue, un achat d’un tracteur d’occasion sur une série déjà éprouvée, peut rassurer l’acheteur.
Que ce soit un achat neuf ou occasion, c’est risqué de négliger les relations de fidélité avec son concessionnaire et la qualité du SAV qu’il est susceptible d’apporter. En effet, au-delà des frais de réparation, il est difficile de chiffrer l’impact économique que représente une panne liée au décalage ou au ratage d’un chantier de récolte ou de semis.
L’important est de calculer quel sera son coût d’utilisation horaire.
2 / Éric Aubry : « Les frais d’entretien augmentent fortement avec l’âge à partir de quatre à six ans »
On observe deux grandes catégories de tracteur d’occasion. D’abord, les tracteurs récents de 2 500 à 3 000 h dotés de nouvelles technologies, avec un potentiel d’heures intéressant pour aller jusqu’à 5 000 à 6 000 heures, et éventuellement encore sous garantie. Et les autres… Certaines marques et séries étant “encensées”, alors que d’autres sont clairement rejetées !
Le choix de l’occasion renvoie surtout à cette question essentielle : quel niveau de tolérance à la panne peut-on supporter ? Certes, l’investissement est moins élevé pour un tracteur d’occasion mais son coût de revient peut être supérieur au neuf. Dans notre dernier guide des Prix de revient cuma Est 2019 – 2020, le coût d’un tracteur neuf de 151 à 170 ch s’est élevé à 20, 61 €/h (hors carburant) contre 21, 79 € pour un tracteur d’occasion de 130 à 170 ch.
Explications
Les frais d’entretien augmentent fortement avec l’âge à partir de quatre à six ans. Et les tracteurs d’occasion font en général moins d’heures par an : 515 h contre 772 h pour les neufs dans notre base de données. La grande majorité des tracteurs achetés par les cuma sont neufs. Certaines cuma comme celle de Condé, dans les Ardennes, ont déjà acheté des occasions. Mais la cuma dispose d’un parc de plusieurs tracteurs et d’un mécanicien en mesure d’effectuer l’entretien et la réparation. La stratégie est alors d’avoir un tracteur de plus dans la flotte pour fluidifier l’enchaînement des chantiers en évitant de dételer, tout en sécurisant l’organisation en présence d’un tracteur supplémentaire.
Avis sur l’achat d’un tracteur d’occasion
Attention à la “super bonne affaire” qui vient de je ne sais où. La traçabilité est essentielle. Et en achetant chez un particulier on ne pourra bénéficier d’aucune garantie contractuelle. Pour les cuma qui veulent créer une activité tracteur, éviter l’occasion. En cas de panne importante, cela risque de désorganiser le groupe, d’augmenter les tarifs, et au final de compromettre définitivement leur projet. Mieux vaut se faire la main sur un tracteur de location !
S’il n’y a pas beaucoup d’heures pour amortir l’achat d’un neuf en cuma, voir jusqu’où les adhérents sont prêts à accepter un tarif un peu plus élevé qui en contrepartie leur garantira la tranquillité.
3 / Sébastien Duret : « Les prix du neuf sont devenus inaccessibles »
Les tarifs des tracteurs d’occasion ont suivi ceux du neuf. Ils ont explosé en 2021 et 2022. La pénurie de tracteurs neufs a entraîné, par ricochets, une certaine pénurie de tracteurs d’occasion. Dans le marché du neuf, la crise du Covid, a affaibli les stocks et a occasionné des difficultés d’approvisionnement de composants (électroniques, pneumatiques, etc.).
Après la crise sanitaire, l’économie est repartie. Le secteur du transport s’est retrouvé engorgé avec des prix multipliés par trois ou quatre. Dans le même temps, le taux de change avec une réévaluation du dollar par rapport à l’euro, a renchéri les coûts. Résultat : les prix du neuf sont devenus carrément inaccessibles pour certains acheteurs et il fallait parfois attendre un an entre la commande et la livraison !
Depuis le début d’année on ressent une inflexion sur le marché du tracteur. Les agriculteurs s’inquiètent en effet d’un possible effet de ciseau de prix. D’un côté une augmentation du coût des intrants et des taux d’intérêt d’emprunt. De l’autre, un reflux des prix de vente des produits agricoles, tel que le blé.
Avis sur l’achat d’un tracteur d’occasion
L’impact des déductions fiscales et sociales qui motivent l’achat d’un tracteur neuf peut jouer aussi pour l‘achat d’un tracteur occasion. Même si dans ce cas, le calcul des charges d’amortissement ne peut être que linéaire.
Rappel : on subit moins de décotes avec un tracteur d’occasion qu’un neuf. Et la disponibilité est immédiate. En passant par un prestataire, on peut bénéficier d’un check-up complet et si c’est un acteur sérieux qui a un esprit commercial, d’un “accompagnement” en cas de gros pépin au terme de la période de garantie. Ce qui n’existe pas en achetant directement chez un agriculteur, etc.
Une valeur de revente, fluctuante
En 2021 et 2022, les prix d’achat des tracteurs neufs ont crevé les plafonds. Mais dans le même temps, le prix des reprises était au sommet. On a même vu des acheteurs de tracteur de marque prémium, revendre leur matériel au même prix qu’ils l’ont acquis trois ans plus tôt ! Dorénavant, les acquéreurs récents d’un tracteur neuf risquent de le revendre à un prix plus modeste que ce qu’on pouvait espérer il y a peu. Avec des conséquences sur le coût de revient unitaire comme dans l’exemple ci-dessous d’un achat de tracteur neuf au prix de 110 000 € utilisé 600 h par an et revendu trois ans après.
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