Pas un outil en pleine production
À 59 ans, Bertrand Honoré prépare en effet sa transmission. « J’ai été éleveur laitier pendant trente ans. D’abord en gaec avec mes parents, puis avec un frère et un beau-frère. Après la dissolution du gaec en 2007, j’ai poursuivi la production de 250 000 l/an jusqu’en 2019. C’est une activité qui se mène bien avec plusieurs associés ; seul avec un salarié, c’est plus compliqué. En 2019, j’ai souhaité me libérer de cette astreinte. C’était un choix de vie, motivé par la volonté de me dégager du temps. » Pour valoriser ses 67 ha de prairies (sur 130 ha de SAU), Bertrand accueille alors 27 vaches allaitantes de races Limousine et Saônoise, pour vendre des génisses à viande et des bœufs. « Elles vivent toujours dehors, se nourrissant principalement d’herbe et de foin. Ce système génère peu de fumier, la plupart de mes pailles de céréales restent au champ : je travaille à l’économie. »
Dans la perspective de prendre sa retraite d’ici trois à quatre ans, Bertrand lève le pied. « Ne pas avoir le nez dans le guidon me permet de réfléchir à la transmission tranquillement. Je vais décapitaliser progressivement mon troupeau de 85 têtes. Je passerai à 55 têtes en 2024, puis 30 en 2025. Avec les prairies, je produirai du foin, ou je prendrai des animaux en pension. Mon objectif n’est pas de transmettre un outil en pleine production. C’est plutôt de proposer un lieu où différentes productions pourront être envisagées par plusieurs porteurs de projets, sans la contrainte d’une reprise de capital élevée. Je n’ai pas investi depuis dix ans, mon matériel est amorti, et je suis adhérent à deux cuma pour le travail du sol, les semis et le désherbage mécanique en bio. »
Bertrand Honoré ne veut ni démantèlement, ni agrandissement
Selon l’agriculteur, tout est possible sur la ferme de Meslay pour faire vivre plusieurs actifs travaillant en collectif : de l’élevage avec les prairies, des cultures, du maraîchage, de l’arboriculture avec des fruitiers déjà installés (figuiers, noyers, amandiers, pistachiers, oliviers, mais aussi chênes truffiers), avec pourquoi pas une valorisation en circuits courts (viande, légumes, farine, pain, bière, etc.) représentant pour lui « une forme de consécration vers l’autonomie ».
« J’ai animé des formations en CFPPA notamment auprès de personnes en reconversion. Certaines s’installent sur de petites structures avec des projets en circuits courts. Il y a des réussites mais aussi des échecs, liés dans certains cas à la charge de travail. C’est pourquoi j’aimerais favoriser la complémentarité, voire la synergie, par le développement de plusieurs activités agricoles sur un même lieu. Mon projet est de louer mes terres et mes bâtiments à de futurs agriculteurs n’ayant pas forcément de gros moyens pour s’installer. Sur les 100 ha groupés autour du siège d’exploitation, nous sommes propriétaires de 85 ha avec mes parents. Je ne souhaite pas démanteler cet ensemble constituant un patrimoine ; je ne veux pas que cela agrandisse les exploitations alentour, et je veux que ça reste en bio. »
Travail en collectif et entraide
Aucun de ses quatre enfants ne souhaite s’installer, mais sa fille Tiphaine et son compagnon Pierre sont toutefois inspirés par les initiatives collectives qu’ils côtoient dans la Drôme où ils vivent. « Par le travail en collectif et l’entraide, ces modèles offrent des perspectives motivantes en matière de qualité de vie », témoigne la jeune femme. « Ce qui se passe, notamment dans la Drôme, est intéressant en termes de renouveau du métier d’agriculteur, renchérit son père. L’agriculture a besoin de sang neuf. Les agriculteurs ne sont pas seulement des producteurs de matières premières mais aussi de paysages. »
Tiphaine est toutefois attachée à la ferme de Meslay. « Je suis sensible à sa pérennité et je souhaite que des gens valorisent ce que mon père a commencé à faire avec les arbres. J’ai aussi envie d’y vivre un jour. » Bertrand et son épouse ont anticipé l’achat d’une maison dans le bourg pour leur retraite. « Si mes enfants veulent conserver la maison, ça pourrait être une limite à l’installation de porteurs de projet, reconnaît le futur cédant. D’une part, il faudra cohabiter avec les activités agricoles à proximité. Et d’autre part, où se logeront les agriculteurs et agricultrices développant des productions sur la ferme ? »
Dans sa réflexion actuelle, Bertrand est accompagné par la chambre d’agriculture, la Safer, la Ciap (coopérative d’installation en agriculture paysanne). Il est aussi en contact avec Eloi et Terre de liens. Il ne ferme la porte à rien. « L’idéal serait de trouver une forme juridique pour une installation collective, avec un système de reprise de parts permettant de remplacer facilement quelqu’un souhaitant partir après cinq ou dix ans par exemple. Et cela pourrait inclure une solution de logement sur place, réservée aux actifs agricoles. »
Pour plus d’information, retrouvez aussi ces articles sur www.entraid.com :
Réussir la transmission de son entreprise agricole
Étude sur les profils des candidats à la reprise d’exploitation
Baptiste Clément, éleveur : pragmatisme et innovation avant tout
La valeur de la reprise agricole
6 idées reçues à propos de la transmission des exploitations
Alain Vincent, l’ouverture en partage
François-Xavier Sainte Beuve : travailler en équipe pour connaître les autres