Tout apprendre
S’il n’a jamais douté de reprendre un jour l’exploitation familiale, il savait aussi qu’il ne ferait pas comme son père. « Je me serai ennuyé », avoue ce céréalier. Mais pour cela, il fallait d’abord se former au métier d’agriculteur. François-Xavier Sainte Beuve a toujours regardé l’agriculture d’un œil extérieur. « Jeune, je ne vivais pas sur la ferme et je n’y allais que très rarement, car avec mon père, au boulot, on ne s’entendait pas. Et à vrai dire, je ne suivais pas ce qu’il se passait dans les champs », se souvient-il. Alors, quand il a fallu reprendre l’exploitation en 2016, le Picard a dû tout apprendre. C’est d’ailleurs son salarié qui l’a formé une année durant.
Mais reprendre une exploitation demande également de s’ouvrir aux autres. Pour celui qui trouve beaucoup de richesses dans la rencontre avec l’autre, ce n’était pas le plus difficile. « J’avais besoin aussi de prendre ma place vis-à-vis de mes collègues, reconnaît ce jeune agriculteur curieux et désireux d’apprendre. Il fallait aussi que je me fasse un réseau, j’avais envie de créer quelque chose avec des agriculteurs de ma génération. Et totalement différent de ce qu’avait créé mon père. » Une sorte de rupture en somme.
Tester le travail en groupe
Alors, très rapidement, il s’est tourné vers ses collègues de la cuma. « Mon père y adhérait pour quelques matériels, se souvient-il. Mais j’ai tout de suite eu le besoin d’échanger et de partager autour de l’agriculture et de mon territoire. Que ce soit d’un point de vue technique, économique ou du matériel. Je ne voulais pas travailler seul. »
Deux ans plus tard, la cuma de la Vallée bleue, située à Noircourt, prend un autre élan. « Cette année-là, nous avons décidé de mutualiser ma moissonneuse et celle de la cuma, explique François-Xavier Sainte Beuve. C’était la première fois que je mettais en commun un moyen de production aussi important. On a eu quelques aléas certes, mais j’ai pu constater l’efficacité du groupe et aussi la fiabilité de ses membres. L’année suivante, je revendais ma batteuse et nous en achetions une autre ensemble. »
Depuis, la douzaine de membres de la cuma, dont cinq plus actifs, profite d’une tout autre dynamique. « Nous avons un projet d’achat de semoir de 12 mètres de large, ajoute-t-il. C’est un projet un peu fou de par son dimensionnement. Mais c’est ça aussi la cuma, c’est réfléchir ensemble, monter des projets et sortir de la norme. » Convaincu que la cuma est au service des agriculteurs et de l’agriculture, François-Xavier Sainte Beuve s’estime chanceux et gagnant de pouvoir travailler en cuma. Certes, il doit faire des compromis, des concessions mais la cuma a fait évoluer sa façon de penser.
Cet état d’esprit, François-Xavier Sainte Beuve l’a en lui depuis longtemps mais il s’est exacerbé grâce à son parcours. BTS agricole en poche, il décide de se diriger vers un Master en environnement puis un autre diplôme en management et gestion de projet. Il est ensuite embauché après son stage au Crédit Agricole à Reims pour la création d’un site web et pour l’animation d’un club dans une banque privée. « Puis il a fallu que je me dirige vers une activité plus commerciale, et j’ai choisi la gestion de patrimoine avec une formation à la clé, précise l’ancien financier. Pendant quatre années, jusqu’à ma reprise de l’exploitation, j’ai travaillé avec des viticulteurs et des professions libérales. C’était assez dur, surtout à cause de la pression des résultats, et surtout, j’avais des comptes à rendre. » Un désagrément dont il s’est affranchi allègrement en arrivant sur la ferme.
Apprendre de ses erreurs
Une liberté dont il tire profit tous les jours grâce à l’aménagement de son ‘poste’ dès son arrivée. « L’agriculture sécuritaire que mon père exerçait ne m’attirait pas du tout, raconte cet agriculteur un peu rebelle. Je me suis donc lancé dans le découpage de mon parcellaire et l’implantation de bandes végétales pour favoriser la faune sauvage. »
Car la nature, c’est ce qui donne sens à son métier. « Je le fais parce que j’en ai envie », admet-il au beau milieu de ses parcelles entre deux chants d’oiseaux. « J’ai envie de renouer avec mon environnement quotidien. Je le fais sans compter, car cela demande du temps, mais vis-à-vis de mes trois enfants, je suis fier de leur monter la nature. » C’est sa manière à lui de mettre sa patte en quelque sorte. Il a d’ailleurs réussi à fédérer autour de ce projet certains de ses voisins qui, ensemble, aménagent eux aussi leur territoire.
Pourtant, tous les projets qu’il mène n’aboutissent pas de manière heureuse. À l’image de l’agriculture de conservation des sols qu’il a voulu mettre en place. « J’ai foncé un peu rapidement vers le semis sous couverts et je me suis trompé, admet-il. J’ai appris qu’en agriculture, il fallait s’adapter, mais aussi échanger. D’où l’intérêt de ne pas être seul dans son exploitation. » Maintenant, le céréalier a décidé de pratiquer cette technique avec parcimonie, tout en tentant d’enrichir son sol avec l’apport de matières organiques.
Cet agriculteur trouve son inspiration dans les échanges avec les autres. « J’ai besoin de voir du monde, reconnaît-il. C’est de cette manière que j’apprends, que je me forme. Cela m’évite d’avoir des œillères. » Ces ressources dont il a besoin, il les trouve auprès des organisations dans lesquelles il s’engage : le groupement d’intérêt cynégétique du coin, l’organisation de gestion de l’école de ses enfants, le CETA mais aussi la frcuma et Entraid.
Découvrir
« Ça me permet de sortir de ma région, de voir d’autres choses, de comprendre les autres et de sortir la tête du guidon, déclare-t-il. Par ces engagements, j’espère rendre service aux autres, donner un peu de matière grise pour faire avancer les choses. Je sors de ma zone de confort pour parfois découvrir des métiers que je ne connaissais pas. On travaille en équipe avec des salariés, on débat, mais on peut aussi s’effacer. Je suis convaincu que ces moments sont utiles, mais je prends garde à ne pas être instrumentalisé, car je n’ai aucunement envie de faire de la politique. » C’est là aussi la richesse d’un groupe.
Ni donneur de leçons, ni extraverti, François-Xavier Sainte Beuve a aménagé son poste de travail pour qu’il réponde à son état d’esprit. Propulsé par le collectif et les échanges, il l’avoue à demi-mot, « parfois j’aimerais avoir plus de temps pour réfléchir à de nouveaux projets », mais pour cet agriculteur, c’est surtout l’ennui qui lui fait peur.
François-Xavier Sainte Beuve en trois dates
- 2012: commence son activité de conseiller en gestion de patrimoine
- 2016: reprise de l’exploitation familiale
- 2022: devient administrateur Entraid
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