Quel était le but de ce voyage et pourquoi le Canada ?
L’objectif était à la fois technique et social. Emmener hors de France des agriculteurs concernés par la thématique, soit en phase de démarrage, soit en rythme de croisière, pour rencontrer des experts et voir les techniques et astuces adaptables sur notre sol. In fine créer du lien et cultiver l’ouverture d’esprit.
Le Canada présente l’intérêt d’être à des latitudes similaires à l’Hexagone, même si le climat est différent du fait de l’action du Gulf Stream. Mais les techniques canadiennes sont plus facilement adaptables que celles du Brésil par exemple. Les experts accessibles, comme Odette Ménard, ont également poussé vers le Canada.
Que faut-il retenir du modèle canadien ? Peut-on l’importer ?
Tout d’abord l’approche pragmatique des agriculteurs rencontrés, avec la recherche de la rentabilité et de la préservation de la structure des sols. Ensuite leur grande technicité pour l’implantation des cultures de printemps : le choix du matériel, la gestion de la fertilisation… Ils sont clairement en avance sur nous. Selon moi, ce sont les systèmes en semis direct sous couverts (SDSC) qui fonctionnent le mieux pour la vie des sols et la préservation de la structure (cf portrait de Jocelyn Michon et Dereck Axten).
Ils ont des outils que nous n’avons pas, notamment les ogm « Round-up ready » et une contrainte hivernale bien plus marquée que chez nous, mais oui, il y a des idées à adapter en France, notamment concernant les techniques des cultures associées et des cultures intercalaires. Par exemples : une association soja-maïs est faisable en France, tout comme une implantation lin-oléagineux-pois chiche ou encore une association crucifères de printemps et légumineuses de printemps.
S’il ne faut ramener qu’une chose de ces rencontres, c’est l’approche « comment se servir des plantes et des couverts pour gérer la vie du sol et le désherbage ? » Anticiper l’arrivée des adventices et les gérer via le choix des couverts. Aujourd’hui, nous avons un assolement et lorsqu’on observe des adventices on traite avec la chimie. Demain, il faudra les gérer avant leur arrivée et limiter la chimie. Je ne suis pas contre la chimie, mais nous pouvons diminuer son emploi.
Faut-il être en bio pour se lancer dans le semis direct ?
Non ! Ni en bio, ni en pratique de TCS depuis longtemps. Le passage au semis direct peut se faire depuis n’importe quel itinéraire technique.
Quelles sont les précautions à prendre ? Par quelle(s) culture(s) commencer ?
Avant toute chose, il faut regarder l’état des sols. S’ils sont compactés, qu’ils ne permettent pas des échanges de gaz, alors la vie bénéfique du sol ne peut pas se mettre en place. Donc pas de minéralisation ni de disponibilité des éléments. Il faut des sols bien structurés et bien drainés. La disponibilité des éléments est aussi un facteur clé de succès, si besoin il faut donc assurer des apports de fertilisants (idéalement organiques). Attention aussi aux pH trop acides.
En somme, il y a un cercle vertueux à mettre en place. Si les plantes ne poussent pas, il n’y a pas de vie biologique dans les sols, donc pas de stabilité structurale et les sols deviennent moins productifs.
Un autre point fondamental est de s’entourer et de se former pour éviter les catastrophes ! Le groupe est une force pour se lancer dans le SDSC. Le partage du risque et le soutien psychologique d’autres agriculteurs dans la même démarche sont déterminants dans la réussite.
Le blé d’automne assolé (surtout pas paille sur paille) est une bonne culture pour se lancer dans le semis direct : l’hiver peut corriger un éventuel problème lié à l’implantation et il y a peu de problématiques ravageurs comparé à un colza par exemple. Une erreur en colza ou en maïs ne pardonne pas. En blé, il y a un peu plus de tolérance grâce à la capacité de taller de la plante.
Comment choisir ses couverts végétaux ? Y-a-t’il des associations à éviter ?
Pour bien choisir ses couverts végétaux, il faut d’abord savoir comment les détruire, c’est un critère indispensable et incontournable. Ensuite, il faut sélectionner ses objectifs prioritaires liés à ces couverts : leur impact sur la structure du sol, faire du carbone, gérer un problème d’adventices etc.
Il est important de diversifier les familles par rapport aux assolements : se servir des couverts pour amener de la diversité et casser les rotations pour une meilleure gestion des maladies et des ressources du sol. Il faut aussi de la densité pour les couverts et viser les 300 pieds/m2. Un couvert est là pour faire un maximum de photosynthèse, du carbone et de la matière organique, que l’on les exporte ou pas.
Les couverts sont à raisonner comme une culture et il faut y mettre les moyens, avec un semis soigné et une fertilisation si nécessaire.
Ce qu’il faut éviter à tout prix, ce sont les couverts monospécifiques ou monofamiliales. Attention aussi à ne pas trop densifier les crucifères dans les mélanges, il y a un risque d’étouffer le couvert. D’une manière générale, l’élément limitant lorsqu’on passe au SDSC sera l’azote, il faut donc privilégier les légumineuses. Un ratio à avoir en tête : augmenter de 0,1% le taux de MO, c’est séquestrer 250 unités d’azote !
Comment valoriser économiquement ses couverts ?
Même si c’est difficile à estimer, la fixation de l’azote avec les légumineuses représente un vrai retour sur investissement quand on voit le prix de l’azote (0,70 à 1 €/uN). Il y a quelques marchés de niche : le sarrasin, le blé dur ou le seigle par exemple. Les dérobées pour l’alimentation animale peuvent être également une voie à explorer, de même que la méthanisation. Mais attention à ne pas être trop gourmand et à trop exporter, sinon le sol ne gagne rien et on revient au problème de départ.
La première valorisation économique des couverts végétaux reste la préservation des sols. Et avec le dérèglement climatique, il sera de plus en plus important d’avoir des sols plus tolérants aux grosses périodes d’humidité et de sécheresse. Un sol couvert gère mieux ses ressources en eau.
Qu’est-ce que « l’inter-cropping » ? Comment ça marche ?
A la différence du relay-cropping où on implante une culture de d’été dans une céréale d’automne, l’inter-cropping consiste à semer deux cultures au même moment ou en décalé (en semant sur des bandes de terres laissées libres en fermant un rang sur deux lors du premier semis) pour les récolter à la même date et bénéficier de la complémentarité des cultures.
L’objectif final est d’augmenter le rendement de manière globale, ou d’avoir une meilleure maîtrise du désherbage. On peut également associer une culture rampante à une culture tutrice pour en faciliter la récolte. L’inter-cropping est là pour produire un gain économique ou technique pour l’agriculteur.
Il faut décider, selon le mélange, quelle est la culture principale : l’espèce à laquelle on veut donner les meilleures conditions d’exploitation (date, densité de semis, etc).
Que peut-on associer à un maïs ? Et à un blé ?
Avec un maïs, il faut faire attention, car il ne supporte pas la concurrence durant ses phases juvéniles. Il faut donc être prudent et ne pas créer de concurrence sur la ligne de maïs qui limiterait le rendement. Une association intéressante pour les éleveurs est le couple maïs (semé à 75 cm) – soja (semé à 75 cm décalé de 37,5 cm par rapport au maïs). Pour les densités de semis, il faut conserver celle du maïs comme s’il était cultivé seul et doser le soja à 70% de la densité lorsqu’il est cultivé seul. Le mélange peut être ensilé (avec un taux de protéine intéressant pour l’alimentation animale) ou récolté à maturité avec une barre de coupe à céréales.
Pour le blé, il est intéressant de faire appel à des légumineuses d’hiver en prenant garde au désherbage, par exemples un pois fourrager d’hiver ou un pois protéagineux d’hiver.
Y-a-t’il des pièges à éviter ?
Il faut bien anticiper le désherbage. Pour gérer une association de cultures, on ne pourra utiliser qu’un désherbant toléré par les deux. Le choix de la matière active sera donc restreint.
Le deuxième piège, c’est de cultiver deux plantes qui ne seront pas à maturité en même temps. D’ailleurs, d’une manière générale, on observe que les mélanges ont tendance à « précocifier » la maturité de la culture la plus tardive.
Un autre piège à éviter est de sous-densifier le semis. Il ne faut pas mettre 50% de l’espèce A et 50% de l’espèce B, sinon la population végétale ne sera jamais assez dense, avec toutes les complications que cela entraine. En réalité, il faut plutôt compter 80% + 60%, voire 100% + 60 %.
Enfin, il faut bien-sûr être en mesure de séparer les deux cultures après récolte. En outre, il est quasi-impossible de séparer une lentille d’une vesce.
Et pour la récolte : comment ça se passe et combien ça coûte ?
Les deux cultures sont récoltées en même temps, puis trier. Le coût du tri est variable et à anticiper ! Il peut rapidement atteindre 50 à 60 €/t en prestation. Sinon, une enveloppe de 30 000 € permet de s’équiper confortablement, avec des trieurs à secoueurs capables de traiter 10 t/h en grosses graines et 3 t/h en petites graines. D’une manière générale, les trieurs à secoueurs effectuent un travail plus propre que les système de tri rotatifs.
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