La création d’une unité de méthanisation agricole collective en injection à Picauville (50) est le fruit d’une collaboration exemplaire entre agriculteurs. Tout a commencé en 2011, lorsque Bruno Martin, alors président de la cuma de Picauville, a lancé l’idée : « Et si on se faisait une méthanisation tous ensemble ? » La SAS Agri métha groupe des marais voit le jour en 2014, avec le soutien de la fédération des cuma. Neuf exploitations s’y impliquent, dont la ferme de l’Esat Béthanie de la Fondation Bon Sauveur. Leur initiative est audacieuse. Cependant, le chemin vers la concrétisation n’a pas été de tout repos.
Un parcours semé d’embûches pour la méthanisation agricole collective
Les agriculteurs ont eu besoin de plus de dix ans pour passer de leur idée à la production effective de kilowattheures. De surcroît, leur premier projet n’avait pas abouti en raison de difficultés de financement, d’inflation sur les coûts des services et des matériaux, sans oublier les impacts de la pandémie de covid-19. Malgré ces obstacles, le groupe est resté soudé et déterminé à avancer.
Début 2022, après de nombreuses études, le projet prend un nouvel élan. Deux agriculteurs se sont retirés pour se consacrer à d’autres projets, tandis qu’un nouvel associé a rejoint l’aventure : la société d’économie mixte départementale West Énergies. Le conseil départemental et le syndicat départemental d’énergies de la Manche en sont les actionnaires majoritaires. Bruno Martin souligne l’importance de trouver les bons interlocuteurs : « On s’aperçoit qu’il faut être accompagné si l’on veut être écouté et s’ouvrir les bonnes portes. »
En outre, le groupe a sollicité l’accompagnement de la fédération des cuma pour la partie ‘gestion des transports des matières’, ainsi que le CER, pour un appui technique et administratif. Au sein du groupe, Alexis de Beaurepaire de West Énergies et des membres de la Fondation Bon Sauveur ont été aussi été des soutiens importants, tout comme l’épouse de Bruno. Elle assurait au quotidien le suivi des dossiers de subventions. En résumé, un véritable travail collectif et engagé aura fait aboutir le projet de production de biogaz à Picauville.
L’investissement est significatif…
L’investissement total pour celui-ci s’élève à 5 500 000 €. Le groupe a néanmoins bénéficié d’aides de l’Ademe, de l’Europe et de la région Normandie. Bruno Martin confie : « Sans nos financeurs, nous n’aurions pas pu concrétiser ce projet. »
En juillet 2023, la vanne a enfin été ouverte pour injecter du biométhane dans le réseau de gaz de GRDF. Cette unité, située à quelques kilomètres du bourg, est bien accueillie par la population. Elle devrait produire plus de 9 000 mégawattheures. D’après GRDF, cela équivaut au besoin de chauffage de 600 foyers de consommation moyenne.
Méthanisation agricole collective : un nouveau souffle en 2022
La SAS travaille en étroite collaboration avec la cuma locale pour une très grande part des chantiers d’épandage du digestat. C’est un volume significatif chaque année pour la coopérative qui a d’ailleurs recruté un second salarié à plein temps. « Nous ne craignons pas de manquer de matières, car nous sommes sept exploitations agricoles associées. C’est un grand avantage d’être en collectif », affirment les représentants du groupe. Pour ses ensilages, la société énergicole fait intervenir la cuma de Sainte-Mère-Église.
Outre le poste ouvert à la cuma de Picauville, en grande partie pour la gestion du digestat, la SAS embauche aussi un salarié chargé du suivi du méthaniseur. Vincent Duvernois, le nouveau président de la SAS agri métha groupe des marais, gère actuellement la partie administrative. Il intervient aussi dans le roulement des astreintes du week-end, avec le salarié de la SAS et un chauffeur de la cuma.
Aujourd’hui, la cuma envisage de déménager et de construire un nouveau bâtiment plus fonctionnel à proximité du site de méthanisation. Les deux structures mutualiseraient ainsi encore davantage leurs moyens humains et matériels, preuve supplémentaire du véritable partenariat qui les unit.
Impact positif
Après un an de fonctionnement, les associés de la SAS ne s’attendent pas à récupérer des dividendes immédiatement, mais ils sont déjà fiers de leur réalisation. Grâce à celle-ci, ils réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre et réalisent des économies sur leurs intrants. « Le digestat est un excellent fertilisant naturel », conforte Vincent Duvernois en chiffrant : « Par exemple, j’économise plus de 10 000 € sur ma ferme pour cultiver 50 hectares de maïs. » Cette aventure humaine à Picauville illustre parfaitement comment la coopération et l’engagement collectif peuvent mener à des solutions durables et bénéfiques pour l’environnement et les agriculteurs.
La société de méthanisation a confié l’intégralité de ses épandages à la cuma et un prestataire local. Le chef d’équipe salarié de cette dernière est chargé de la gestion des plannings d’épandage. Depuis le démarrage du méthaniseur l’année dernière, le volume annuel d’effluent liquide épandu est passé à 50 000 m³. En d’autres termes, le volume que gère la cuma de Picauville a doublé. Dès 2020, avec la fédération des cuma, les adhérents avaient évalué l‘impact de la méthanisation sur le temps de travail et les coûts de transport et d’épandage. À l’occasion de ce travail, le groupe a défini ses besoins en matériels, en main-d’œuvre et l’organisation nécessaire.
700 heures de travail salarié supplémentaires
Dans les faits, l’activité génère au moins 700 heures de travail salarié supplémentaires. Sans fosse tampon, le stockage se fait sur site et l’épandage est réalisé directement au champ. En amont, la cuma transporte, en prestation complète les lundis et jeudis, les 6 000 m²/an de lisier depuis les élevages tandis que les adhérents apportent directement le fumier (14 200 t/an). Ils récupèrent le digestat en fonction des valeurs NPK du fumier.
La coopérative a déjà remplacé sa tonne à lisier de 16 000 l (avec des buses à palette) par une tonne de 18 500 l équipée d’une rampe à pendillards. Cette année, elle a renforcé son parc en achetant une nouvelle tonne de 12 000 l avec pendillards à patins. Plus léger, ce second matériel sera un atout précieux en conditions difficiles. De plus, les adhérents pourront si besoin recourir à l’ETA d’un membre de la société de méthanisation.
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