Un nouveau groupe d’une dizaine de personnes
Ils sont une dizaine à adhérer à la cuma du Bocage nantais depuis 6 ou 7 ans, et louent désormais en toute légalité ces terres où, en ce mois de juin pluvieux, les digitales et les ronces s’en donnent à coeur joie sous les arbres, dans les haies et les fossés.
Haies et fossés d’où l’on les voyait émerger il y a une dizaine d’années, en tenue de camouflage pour éviter les barrages de CRS et les tirs de grenade. Ce long épisode de guérilla rurale, a, un temps, fracturé la communauté agricole locale. Beaucoup de « contre » l’aéroport, assimilés à des zadistes pour le soutien qu’ils leur apportaient. Quelques « pour » aussi. Des années d’incertitudes et de confortables compensations pour certains. Le tout pour un projet qui finalement ne verra jamais le jour.
Un groupe qui a tenu bon
Les étiquettes, les paroles d’alors et les primes sont toujours dans les esprits. Mais la volonté est désormais de « revenir à ce qui les concerne ». À l’image de la cuma la Landaise (qui a depuis fusionné avec d’autres pour devenir celle du Bocage), dont 30 % de l’activité était directement impactée par l’emprise de l’aéroport via le foncier des adhérents. Le groupe a tenu bon, motivé par la volonté que cette cuma, qui était par ailleurs le plus gros employeur de la commune, et qui reste pourvoyeuse de lien social et d’entraide.
L’étincelle des ensileuses
Concrètement, l’emprise de l’aéroport, sur laquelle s’est développée la ZAD, a coupé pendant de longues périodes les routes départementales qu’empruntait l’ensileuse de cette cuma, mais aussi celles des autres de ce secteur.
« Je suis entré à ce moment-là à la cuma la Landaise », se remémore Mathieu Drouet, l’actuel président de la nouvelle cuma. À cette époque, ce dernier est un soutien actif dans la lutte contre l’aéroport, donc techniquement zadiste. Il est également fils du président de la cuma, et reprend une exploitation laitière. « Je n’ai aucune affinité avec les matériels, dit-il en souriant. Par contre, animer un groupe, même important, ne me fait pas peur. Voire, j’aime ça ! »
Et de fait, le groupe s’apprête à s’agrandir. Les cuma entament doucement un rapprochement. L’étincelle viendra des ensileuses. « À ce moment-là, aucune des cuma locales ne pouvait renouveler la sienne, en raison des coûts de ces matériels et des incertitudes qui planaient de tous côtés. Pendant deux campagnes, nous avons fait des plannings en commun. Dès la première année, l’une des quatre machines nous a plantés. Mais on a réussi à passer outre », indique l’agriculteur.
Pas un, mais deux groupes de fauche !
« Puis la cuma de Grands Champs a mis en route un groupe de fauche, souligne Bruno Civel, administrateur. Les demandes ont fusé de toutes parts. Le deuxième groupe de fauche a été aussi vite saturé, avec notamment la proposition en service complet. »
Mathieu Drouet reprend : « Ça prenait bien entre nous. Tout le monde était lucide : certaines des cuma étaient en fort déclin, d’autres moins. Mais nous devions tous insuffler de l’énergie à nos conseils d’administration. C’est finalement l’harmonisation du capital social qui a constitué le plus gros morceau. »
L’urgence, au début de cette fusion de cinq cuma : faire groupe, y compris du côté de la douzaine de salariés que compte la nouvelle équipe. Car la nouvelle cuma, désormais baptisée « du Bocage nantais », regroupe deux ateliers. Chacun est doté d’une équipe et d’un hangar, situés plutôt au nord-ouest d’une zone d’un rayon de 30 km, avec des manières de travailler très différentes, côté salariés comme adhérents et responsables.
Assurer la continuité de service
Évidemment, il faut aussi assurer la continuité du service aux adhérents. Cela n’est pas une mince affaire, dans cette configuration. Mais cinq ans après, le pari est réussi. Une centaine d’adhérents, 1,7 million d’euros de chiffres d’affaires, douze salariés… et les adhérents présents ce jour-là autour de la table, ne disent pas autre chose : le service est là. Ils saluent la compétence de l’équipe, salariés comme responsables, l’efficacité des réunions, les efforts pour informer de manière efficace, l’organisation qui rend les matériels disponibles, le rapprochement qui a permis de diversifier les machines du parc pour des exploitations de tailles différentes…
La plupart soulignent aussi les liens qu’a permis de tisser la nouvelle cuma, malgré les distances. Car les stratégies des fermes reposent sur la cuma, conçue, selon l’expression consacrée comme « le prolongement de l’exploitation ». Sans elle, ça serait compliqué.
Ce qui ne les empêche pas de garder les yeux ouverts sur les « travers » du groupe : « Les adhérents qui viennent de cuma sans salariés ont, par exemple, tendance à davantage s’impliquer que ceux qui avaient déjà l’habitude de déléguer à des salariés », analyse Kévin Brodu, vice-président.
L’implication, l’engagement, notamment dans le conseil d’administration, c’est bien cette inquiétude, partagée par bien des responsables de cuma, qui pointe dans les propos de chaque participant ce jour-là : comment renouveler cette équipe ? Les adhérents le voient bien : ceux qui portent la cuma sont essentiellement issus des rangs de gaec laitiers, et une grande partie souhaite se retirer, après avoir beaucoup donné à la cuma.
Se sentir légitime
L’équipe de responsables s’est investie de manière remarquable pour accueillir de nouveaux adhérents, ex-zadistes ou non. Cette année, ils ont impulsé une journée de convivialité pour tous, adhérents et salariés. Elle organise depuis quelques années des journées portes ouvertes pédagogiques dédiées aux nouveaux arrivants sur le territoire, pour expliquer le fonctionnement de la cuma de A à Z. A conçu, avec l’appui d’une animatrice de sa fédération de cuma de proximité, un guide pratique pour que d’autres cuma se saisissent de cette démarche. Car elle est efficace puisque la cuma a intégré de nouveaux adhérents par ce biais. Mathieu Drouet, dans son intervention auprès des cuma du Sud-Ouest, a aussi décrit la volonté de la cuma à accueillir des volontaires agricoles.
Malgré tout, les reprises d’exploitations classiques, laitières, fortement capitalisées, sont peu nombreuses. « Et ne nous rassurent pas plus que ça car l’intensité du travail y est énorme. Ces nouveaux installés sont souvent dans des situations limites, débordés notamment par l’aspect administratif de leur travail », analyse Jacky Blandin, trésorier de la cuma.
D’un autre côté, les adhérents moins classiques, notamment les ex-zadistes, ne se sentent pas légitimes pour gérer la cuma. D’ailleurs, aucun n’est entré au conseil d’administration.
Un renouveau qui commence bien
Une voix s’élève autour de la table : « Effectivement, eux aussi apprennent leur métier, ce ne sont pas eux qui font le chiffre d’affaires… » Mathieu Drouet note que depuis leur intégration, le chiffre d’affaires n’a pas baissé, bien au contraire. « Le prix des machines a augmenté, le coût des salariés aussi. Et, on est juste au début de tout cela, mais les nouveaux ex-zadistes ou pas, peuvent avoir tendance à solliciter un niveau de service plus poussé, un besoin de conseil, même. » Dans la cuma, se pose la question d’installer un coordinateur salarié pour alléger le travail, en l’occurrence l’animation du collectif « mais en gardant la main sur des décisions ».
Fait intéressant que pointe le président de la cuma du Bocage nantais : « Ces nouveaux types d’installés, non-issus du milieu agricole, ont une culture de la coopération, via leur parcours et leur engagement… mais ce n’est pas la même que nous, qui avons le plus souvent suivi nos parents dans leur engagement à la cuma. Cette culture du travail ensemble, ils l’ont sur d’autres sujets… » Il s’interroge à voix haute : « Leur laisse-t-on assez de place ? »
La question reste en suspens. Mais exprimée dans ce groupe d’une maturité coopérative rare, où la liberté de parole est peu commune, elle sera entendue.
Pourquoi ce sujet ?
J’avais rencontré Thierry Drouet, le père de Mathieu, ainsi que l’équipe de la Landaise, lors de l’hiver 2012. À ce moment, la lutte contre le projet d’aéroport était à son comble. Mais le groupe entendait tenir au cœur de ce chaos, et envisageait déjà des restructurations. Douze ans plus tard, j’ai entendu le témoignage de son fils Mathieu lors de l’assemblée générale des cuma Béarn – Landes – Pays basque, sur tous les dispositifs d’ouverture et d’accueil mis en place à Notre-Dame-des-Landes. Un reportage s’imposait !
* ZAD = zone d’aménagement différé, le sigle ayant été détourné lors de cet épisode pour signifier ‘zone à défendre’ par les militants anti-aéroport. Le terme a depuis fait florès et désigne un (ou une) militant(e) opposé(e) à un grand projet d’aménagement, souvent pour des raisons environnementales.
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