La technique du strip-till n’est pas nouvelle. Au seuil des années 1930, les États-Unis sont confrontés à une sécheresse qui engendre un phénomène exceptionnel baptisé “Dust Bowl”, avec des tempêtes de poussière dévastatrices. Les effets de l’érosion éolienne se sont révélés aussi puissants que l’érosion hydrique. Les sols travaillés et nus apparaissent alors plus exposés aux aléas climatiques. Cela altéra donc dangereusement leur fertilité. Ébranlés par les conséquences écologiques et économiques qui s’en sont suivies, les cultivateurs américains se mettent à développer une agriculture dite de conservation des sols. Elle a pour but de protéger les terres contre l’érosion, en jouant essentiellement sur la couverture végétale et la diminution du travail du sol. C’est ainsi qu’au détour des années 1950, les premières cultures en semis direct furent lancées. Et, 30 ans après, la pratique du strip-till à proprement dit.
Travail du sol et semis direct
En anglais, “strip” signifie bande et “till” travail du sol. Le strip-till désigne donc une technique qui vise à sécuriser le semis en travaillant uniquement sur le futur rang.
Il permet notamment :
- de bénéficier d’une terre fine pour le positionnement de la graine,
- de réchauffer le sol au niveau de la ligne de semis,
- d’obtenir une levée régulière et rapide,
- de faciliter la gestion des couverts végétaux,
- de localiser potentiellement l’engrais.
À ces avantages s’ajoutent les atouts agronomiques du semis direct au niveau de l’inter-rang. Ainsi, en conservant l’humidité et en limitant les effets de l’évaporation, de l’érosion et de la battance, le strip-till préserve la structure et la vie biologique du sol. En outre, il permet un gain de temps et d’argent en réduisant le nombre de passages pour la préparation du sol et en localisant la fertilisation. Nous relevons cependant deux inconvénients : le coût de l’investissement de départ et les fenêtres d’intervention qui, lorsque les conditions météo sont défavorables, se révèlent étroites pour des sols argileux.
Une démonstration de strip-till s’est déroulée le 20 avril dernier à Lafrançaise. Les constructeurs Duro, Kuhn, Agrisem et Valentini ont fait évoluer leurs machines dans un couvert assez dense de féverole (100 kg/ha) et de seigle (80 kg/ha) semés le 3 octobre 2022.
Le strip-till, plus rapide et moins onéreux
Sachant que le coût de revient de l’utilisation d’un strip-till dépend de plusieurs paramètres, à savoir le type d’outils (à dent ou rotatif) et les options choisies lors de l’achat (disque ouvreur, chasse-débris, attelage combiné), nous avons estimé un prix moyen, en tenant compte de l’ensemble de ces facteurs. Pour le calcul du coût de l’itinéraire, nous avons pris en considération les prix du tracteur, du carburant et du strip-till, sur la base d’une utilisation moyenne sur 150 ha.
Dans ce cadre, un passage de strip-till revient à 60 €/ha. Selon le contexte pédoclimatique des exploitations, on observe des itinéraires avec deux passages de strip-till (un en automne ou en hiver et un de reprise quelques jours avant le semis). Cela génère un coût légèrement inférieur à 120 €/ha, le second passage réclamant moins d’effort de traction et donc une consommation moindre. À titre de comparaison, le coût d’une implantation classique (déchaumage, décompactage, hersage) se situe aux alentours de 180 €/ha.
Au-delà de l’impact économique, le gain en temps de travail est également appréciable. Un itinéraire simplifié (strip-till x 2 et semis) requiert environ 1 h 20 à l’hectare, alors que l’itinéraire classique nécessite presque le double, à savoir 2 h 30/ha. Signalons enfin que la vitesse de travail optimale se situe dans une fourchette de 8 à 12 km/h pour un strip-till à dent ou à disque, tandis qu’elle oscille entre 5 et 6 km/h pour un strip-till rotatif.
Comment choisir son outil pour le strip-till ?
Avant l’achat, il est important de configurer le strip-till en fonction des conditions dans lesquelles il va évoluer. Le premier point d’attention se situe au niveau de la sécurité de la pièce travaillante (non-stop hydraulique ou boulon de -sécurité), ce choix résultant de la quantité de cailloux sur le parcellaire. En présence d’un couvert végétal ou de résidus, opter pour un disque trancheur et un chasse-débris rotatif apparaît indispensable.
En effet, ces équipements facilitent le travail de la dent, limitent le risque d’effet “râteau” et réduisent la présence d’obstacle sur la ligne travaillée pour permettre de semer dans de meilleures conditions. Dans le cas de zones compactées en profondeur, il peut s’avérer utile d’équiper le strip-till d’ailettes au niveau de la dent. Le rouleau (à doigt ou pied de mouton) est lui aussi indispensable pour assurer un bon rappui de la ligne et un émiettement de qualité. Enfin, lors d’un achat en groupe ou pour une utilisation avec des écartements de semis variables, il faut veiller à ce que la machine soit capable de passer aisément d’un écartement à l’autre.
Témoignage : « des économies importantes »
Cela fait bientôt dix ans que Benoît Legein a opté pour l’agriculture de conservation des sols (ACS). Et, pour rien au monde, il ne ferait machine arrière. « Au début, je n’étais guère convaincu, mais je -voulais forger ma propre expérience. Il fallait donc que j’essaie par moi-même », explique-t-il. Installé avec son épouse à Lafrançaise sur 130 hectares de superficie agricole utilisée (SAU), il exploite un troupeau de 400 chèvres laitières et un poulailler pour produire des volailles valorisées (poulets et pintades) en vente directe.
Sur son exploitation, la rotation est assez longue : blé, orge, avoine, féverole, maïs et, de temps en temps, sorgho et colza. Benoît met en œuvre deux types de couverts : seigle et féverole pour l’hiver, sorgho type Piper, tournesol et gesse pour l’été. « On a basculé en ACS en 2013. L’idée nous a été soufflée par un copain qui voulait acheter un semoir pour du semis direct. Tout a bien fonctionné pour les cultures d’hiver, mais le résultat fut catastrophique pour celles d’été. On procédait comme avant, sans adapter le travail du sol, et on s’est plantés deux ans de suite. »
Une approche innovante
La raison de cet échec ? La température du sol. « Comme je n’irrigue pas, je suis contraint de semer assez tôt, et, sous les couverts, les terres étaient bien trop froides, se souvient-il. Cela mettait donc un temps fou à germer ». Benoît et son épouse décident alors de supprimer les cultures d’été. Heureusement, durant ces quatre années, de nouvelles idées ont -émergé. « Nous ne pouvions pas nous passer complètement du maïs, car il en fallait pour les chèvres, souligne-t-il.
Dès lors, j’ai construit mon propre strip-till pour pouvoir en remettre dans l’assolement sur la base d’un châssis auto-construit. Je l’ai équipé de dents Michel courtes et espacées de 80 cm, soit l’inter-rang du maïs. J’ai ajouté une rotobineuse, puis un rouleau barre. Chaque élément travaille une largeur de 20 cm, celle de la ligne de semis. Ensuite, j’ai rajouté une trémie Accord, afin de pouvoir incorporer l’azote à la préparation. Le seul bémol est la vitesse d’avancement, limitée entre
5 et 6,5 km/h à cause de la rotobineuse ».
Aujourd’hui, après s’être équipé d’un matériel dédié, il gère toutes les cultures de printemps en strip-till et celles d’hiver en semis direct sous couvert. « Il n’y a pas de recette miracle, mais, quand on est en sec comme moi, sans irrigation, on protège la structure du sol. Il faut être en mesure d’avoir un couvert important et de trouver l’outil qui va passer à travers. Avec le strip-till, je suis content, les inter-rangs restent bien paillés, c’est très propre, à condition de privilégier les graminées plutôt que les légumineuses et d’apporter l’azote un peu plus en amont. »
Des rendements inchangés
Lorsque l’on n’irrigue pas, le paillage permet de préserver le niveau de la réserve utile en eau. Quant aux différences de température, elles sont flagrantes. « Nous avons -mesuré entre 5 et 7 degrés d’écart entre un sol couvert et un autre nu », indique Benoît Legein. Quant aux rendements, il avoue ne pas avoir enregistré de fortes variations. « On ne fait pas d’économie sur l’azote, parce qu’il est positionné plus en amont pour aider à la dégradation du couvert et au démarrage de la plante, argumente-t-il. Le gain se situe surtout au niveau du coût de production. Grâce à la réduction des charges de mécanisation, on gagne beaucoup de temps. S’équiper d’un autoguidage n’est vraiment pas un luxe, car la préparation et le suivi des lignes de semis réclament de la précision ».
Témoignage « choisir ses couverts végétaux »
Il a fallu plusieurs années à Guillaume Pagès pour dompter les couverts. « Les cultures spécialisées et particulièrement le maïs semences sont un peu le nerf de la guerre chez nous. Mais cela ne nous a pas empêchés d’évoluer vers une agriculture plus durable et plus vivante, qui nous a permis de lever quelques obstacles, notamment au niveau de la fertilité des sols », analyse-t-il. Pour Guillaume, qui est installé à Génébrières sur 180 ha, dont 140 irrigués, c’est l’adoption des couverts végétaux qui a tout changé. Il aura quelque peu tâtonné avant de trouver le bon équilibre. « Nos débuts remontent à 2014. On faisait déjà des cultures en dérobé et on constatait que les sols étaient moins tassés.
Cela nous a mis la puce à l’oreille. C’est un peu grâce à l’irrigation que nous avons pu basculer vers cette gestion, parce qu’en sec, la présence des couverts entame trop la réserve utile des sols. Plus que le relargage de l’azote, souvent présenté comme la première qualité des couverts, nous cherchions à résoudre un problème de pH. Chez nous, il monte à 8,5 dans les argilocalcaires. Les féveroles nous ont permis d’acidifier les sols. Autour des racines, on peut même descendre à 4 ou 4,5. Et c’est encore mieux pour les cultures qui suivent. » Les rencontres au sein du réseau Agro d’Oc l’ont aidé à la conversion, tout comme les voyages d’études dans le nord de la France qui lui ont permis de « voir comment nos collègues procèdent là-bas ».
Et en été ?
« Concernant les couverts d’hiver, l’une des clés a été la multiplication des espèces, sept ou huit, souligne Guillaume Pagès. Nous avons réussi à obtenir jusqu’à 16 t de matières sèches à l’hectare. Ensuite, c’est subtil, tout se joue autour de la date de destruction. Il faut parvenir à une production satisfaisante de matière sèche, tout en veillant à ne pas dégrader la réserve hydrique du sol pour la culture d’été ». Là, ce fut une autre paire de manches.
« Nous sommes dans une région très sèche, qui nous contraint d’avoir une gestion opportuniste. Nous avons sélectionné des espèces plus tolérantes, comme le colza et le sorgho type Piper, avec lesquelles il n’y a pas de problème de destruction. Le seul élément à prendre en considération, c’est la biomasse. S’il ne pleut pas, ça ne pousse pas et c’est moins joli. Il importe d’engager cette réflexion d’un point de vue économique. Bien que le couvert d’été soit plus cher, on n’obtient pas toujours les résultats escomptés. » D’autre part, il faut bien garder à -l’esprit que le couvert en lui-même ne restructure pas le sol, il lui conserve sa bonne structure… à condition que celle-ci existe. C’est pourquoi « il faut parfois décompacter la terre avant l’implantation du couvert ».
Comment procéder ?
La date de -destruction est elle aussi une pro-blématique complexe à résoudre. « Si j’opère plus tôt, je perds de la biomasse et ça fait mal au cœur, indique Guillaume. Désormais, nous détruisons les couverts d’hiver dans le courant du mois de février, à 6 ou 7 t/ha. Cela laisse un temps suffisant pour la dégradation. Je conseillerais donc, d’abord, de commencer avec son propre matériel, sans investir, du moins au début, dans l’achat d’un semoir. Le second conseil que je donnerais est de bien analyser la terre dont on dispose, parce que chaque type de sols nécessite des couverts différents. Le troisième serait de bien évaluer le coût
de l’implantation et, enfin, de sécuriser la destruction en se basant sur l’humidité du sol pour ne pas épuiser la réserve utile ».
Informer les adhérents
« Le strip-till et le semis direct étant encore peu développés au sein des cuma, il est important pour nous de bien expliquer les bénéfices qu’ils apportent, souligne Gabin Garrigues, animateur. Un événement comme la démonstration du 20 avril coorganisée avec la chambre d’agriculture permet de communiquer sur le sujet auprès des agriculteurs du département. Le fait qu’ils soient organisés en coopérative leur permet, d’un point de vue économique, de se lancer plus sereinement dans ces techniques ».
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