Les robots se multiplient en agriculture et soulèvent des questions inédites. On assiste désormais à l’avènement de robots de plus en plus indépendants de l’action humaine qui évoluent en milieu ouvert. Pour ces biens de haute valeur technologique, les agriculteurs qui en sont les propriétaires et utilisateurs, sont de moins en moins en situation de maîtriser les risques inhérents à ces équipements. A qui en revient la responsabilité? Questions à Charlotte Chartier de la direction agricole de Groupama.
Quels risques convient-il d’assurer pour ces nouveaux équipements?
Les robots agricoles sont présents depuis plus de 15 ans dans le domaine de l’élevage notamment (robot de traite, d’alimentation du bétail, de nettoyage). Ce sont des matériels soit statiques, soit mobiles dans un milieu limité (à l’intérieur d’un bâtiment, dans l’enceinte du corps de ferme et/ou sur des rails). Selon leur mobilité ou non, leur poids et leur périmètre d’action, nous assurons ces robots à travers le contrat de l’exploitation ou bien par un contrat individuel de matériel agricole.
Qu’en est -il des nouveaux robots mobiles en milieu ouvert?
Ces dernières années, les progrès techniques permettent en effet le développement de robots de plus en plus indépendants de l’action humaine tels que les robots «assistants» avec un conducteur présent à bord mais qui ne se consacre pas à 100% à la conduite (type pilotage automatique), les robots télécommandés, pilotés par un tiers non à bord du robot ou du véhicule, et enfin des robots 100% autonomes, se repérant par eux-mêmes, soit via des capteurs, soit par signal GPS, ainsi que par rapport à d’autres engins.
Ces robots, au degré d’autonomie variable, sont alors amenés à sortir des bâtiments et à réaliser des travaux dans les parcelles (désherbage mécanique, chimique, travail du sol, etc.). De fait, la question de responsabilité se pose en cas de sinistre impliquant un tiers ou l’utilisateur du robot, notamment en cas de circulation sur les voies routières : qui est responsable de l’action du robot au moment du sinistre? Le propriétaire du robot, son utilisateur, son concepteur, le fabricant de ses composants? Selon les conditions de l’événement, est-il possible d’affecter la responsabilité à tel ou tel intervenant?
Les autres spécificités de ces matériels à intégrer dans l’analyse du risque sont l’équipement technologique important (ordinateurs, GPS, capteurs), la sécurisation des données (potentiellement stratégiques) lors de leur transit, leur stockage et les conséquences d’une mauvaise analyse ou d’un bug du robot lors d’une opération sur la production.
Enfin, une particularité de valeur chez les robots pour les assureurs ainsi que pour tous les acteurs du secteur (constructeur, vendeur, utilisateur), c’est que le robot est capable d’apprendre de ses erreurs, par itération et reprogrammation. On pourrait en effet imaginer, par retour d’expérience après sinistre, améliorer les robots pour qu’ils puissent «prendre les bonnes décisions» dans des situations à risque.
Pour ces robots connectés, quelle est l’échelle des responsabilités entre propriétaire, fabricant, vendeur?
Pour le moment, il n’existe pas de réglementation européenne ou française qui établit les règles de responsabilité en cas de sinistre. En février 2017, les députés du parlement européen ont soumis un rapport à la commission européenne en leur demandant de proposer des règles sur la robotique et sur l’intelligence artificielle. Le rapport des parlementaires fait état de différentes pistes pour, notamment, encadrer l’activité naissante liée aux robots autonomes.
Certaines propositions visent directement les problématiques assurantielles avec un régime d’assurance obligatoire pour les utilisateurs ou les fabricants de robots ainsi qu’un fonds de garantie afin d’indemniser les sinistres, y compris en l’absence de couverture. Le rapport suggère également la création à terme d’une personnalité juridique aux robots les plus sophistiqués, prenant des décisions autonomes ou qui interagissent de manière indépendante avec des tiers. En effet, plus un robot est autonome, moins il pourra être considéré comme un simple outil contrôlé par un autre acteur (le fabricant, l’opérateur, le propriétaire, etc.).
Tout comme les voitures, et à des fins de vérification de la souscription à une police d’assurance, il est également proposé de créer un système d’immatriculation pour ce nouveau type de matériel. Enfin, le rapport suggère une normalisation technique qui assurerait l’inter-opérabilité des robots autonomes. L’accès au code source, aux données d’entrée et aux détails de construction pourrait être disponible en cas de besoin, afin d’enquêter sur les accidents et les dommages causés par des «robots intelligents» (gestion et expertise sinistre) et de garantir la continuité de leur fonctionnement, de leur disponibilité, de leur fiabilité, de leur sûreté et de leur sécurité.
Dans l’attente d’une législation sur la répartition des responsabilités liées à l’activité des robots, Groupama fait valoir son devoir de conseil en considérant, par analogie, les robots autonomes comme des véhicules terrestres à moteur. De fait, les robots autonomes sont soumis à l’obligation d’assurance pour les dommages engendrés aux tiers, la responsabilité civile, édictée par l’article L. 211-1 du code des assurances. L’évolution de la réglementation à l’avenir sur ce sujet reste à surveiller.
Tous les dommages causés par un robot sont-ils assurables?
L’ensemble des dommages habituels sont assurés dans l’offre pour les robots. La responsabilité civile automobile permet d’indemniser les dommages que votre robot peut causer aux autres. La garantie accident corporel du conducteur protège l’agriculteur, en tant qu’utilisateur, des dommages que le robot pourrait lui causer (lors de sa mise en service, durant les opérations de maintenance ou de chargement/déchargement de marchandises). Enfin, les garanties Dommages couvrent l’ensemble des dégâts causés au robot (tels que la collision, le vol, l’incendie ou les dommages électroniques).
Y a-t-il des dommages qui ne le seraient pas?
En termes de dommages du robot sur la production de l’exploitation, il convient de distinguer les robots à poste fixe des robots mobiles. Pour la première catégorie, dont les robots de traite font partie, la perte d’exploitation (un impact sur les animaux ou sur la production) peut être couverte si le dommage qui en est à l’origine est garanti (un bris, un dommage électronique, etc.). A contrario un défaut de réglage du robot ne sera pas couvert.
Pour la seconde catégorie, Groupama couvre l’ensemble des dommages matériels subis par le robot lors d’événements garantis dans le contrat. En revanche, les conséquences sur la production d’un dysfonctionnement interne du robot ou d’une mauvaise utilisation par l’opérateur appartiennent respectivement à la responsabilité du constructeur ou de l’utilisateur même du robot. Notre partenariat avec Naïo Technologies, qui développe des robots principalement utilisés en maraîchage et viticulture, nous permet d’adapter nos garanties à ces nouveaux besoins.
Comment appréhendez-vous cette irruption de la robotique dans le secteur agricole?
La robotisation s’accélère en agriculture et fait émerger de nouvelles façons de produire, de nouvelles opportunités. C’est une agriculture de précision optimisant les rendements et les investissements tout en soulageant l’agriculteur et en dégageant du temps qu’il pourra valoriser par ailleurs. Au-delà des problématiques assurantielles, l’arrivée des robots dans les champs ouvre un large panel de questionnement relatif aux procédures de certification, de normalisation, de traçabilité et enfin aux problématiques éthiques.
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