Maintenir le paysage
Retour en arrière, dix ans auparavant. Le parc naturel des caps et marais d’Opale, structure du territoire, a réuni tous les agriculteurs du secteur pour tenter de faire émerger des projets de circuits courts. Le but ? Maintenir la biodiversité et les paysages de bocage qui caractérisent les collines verdoyantes du Boulonnais.
« Mon mari s’y est impliqué, et j’ai suivi le développement de ce projet, qui a duré trois ans, avec mon œil d’épouse et avec du recul », admet Clémence Ducroquet, qui précise qu’il y avait autant de réunions que de semaines. En effet, entre-temps, un noyau d’éleveurs s’était regroupé avec pour ambition de valoriser davantage leurs productions afin d’avoir plus de visibilité et rendre le métier attrayant. Tout en maintenant le système extensif qui définit le Boulonnais.
En 2017, la coopérative Lait prairies du Boulonnais voit le jour, dans l’optique de créer un outil au service des éleveurs dans la continuité de leur exploitation. Et de donner un rôle social et solidaire à cette nouvelle activité. Chacun prend des responsabilités et chaque année, le chiffre d’affaires augmente de 20 %. Une croissance qui nécessite d’embaucher des salariés qui gèrent l’opérationnel, mais qui demande également beaucoup de temps aux responsables.
Se structurer
En 2021, Clémence Ducroquet rejoint l’aventure, non plus en tant qu’épouse d’éleveur, mais en tant que directrice de la coopérative. Un projet qui a du sens à ses yeux, puisqu’elle a étudié le déploiement des filières agricoles dans les pays en voie de développement. « Il n’y a pas que dans ces pays-là qu’il y a besoin de commerce équitable et au service d’un territoire », lance-t-elle.
À cette époque, les éleveurs se posaient beaucoup de questions concernant l’avenir de la coopérative. « Les locaux étaient devenus trop petits, se souvient-elle. Il fallait réinvestir dans un outil de transformation, mais personne n’avait le temps pour structurer le projet et aller chercher des subventions. C’est pour cette mission que j’ai été embauchée. Bien sûr, les éleveurs membres du conseil d’administration et du bureau gardent leurs responsabilités. »
Une fois arrivée dans l’entreprise, la nouvelle directrice et les responsables veulent donner un nouvel élan à leur coopérative. Car qui dit investissement, dit risques. « Nous avons donc retravaillé la mission que nous nous sommes donnée, explique la jeune femme pleine d’allant. Notre ambition et ce qui nous animait : pérenniser les exploitations laitières telles qu’elles existent, et sécuriser un système agricole laitier de qualité. Nous voulions construire un outil de production, mais aussi une entreprise où les salariés s’épanouissent, où ils ont un vrai rôle dans l’économie territoriale. »
Équité, humilité et gourmandise
Il était donc primordial pour ce groupe de respecter l’équité entre eux, mais aussi sur la chaîne de valeur. « Nous achetons la totalité du lait produit par les éleveurs adhérents et en transformons 6 %. Le reste est revendu à une autre coopérative de la région qui a à cœur de maintenir l’élevage français. Sur le lait transformé en yaourt, on atteint un prix d’achat de 500 €/1 000 litres. Un prix fixe et sécurisé », estime-t-elle dans un souci de transparence.
Le groupe d’éleveurs tient également à communiquer sur leurs métiers en toute humilité. « Ils n’estiment pas tout savoir et tentent de s’améliorer sans cesse, poursuit la directrice. D’autant que nous essayons d’avoir une démarche vertueuse pour l’environnement. C’est aussi pour cette raison que nous voulons conserver le modèle extensif qui qualifie nos exploitations. » Enfin, les éleveurs, à chaque nouvelle création, ont pour ambition de proposer un produit sain et goûteux. Trois valeurs qui ont eu pour bénéfice de fédérer autour du projet tous les adhérents, non sans une certaine adaptation.
Nécessité de consommer local
Venue pour gérer un projet immobilier dans l’entreprise, et forte de ses expériences dans l’agroalimentaire, cette jeune femme manage désormais une dizaine de salariés qui, ensemble, produisent 17 000 yaourts, une tonne de fromage blanc et 800 litres de lait cru chaque semaine. « Nous déménageons en fin de semaine dans nos nouveaux locaux, s’enthousiasme-t-elle lors de notre rencontre. Plus de 1 000 mètres carrés seront consacrés à notre activité. Nous avons décidé d’utiliser une chaudière au bois plaquettes pour valoriser la ressource bocagère des adhérents. »
Avec une énergie débordante, courant partout dans le labo, Clémence Ducroquet garde les pieds ancrés dans son territoire, avec un combat qui continue de l’habiter. « Je veux redonner de la valeur au métier d’éleveur laitier, dans l’image véhiculée, mais aussi au niveau économique. Avec des élevages laitiers qui arrêtent chaque jour, je me demande bien comment on va pouvoir nourrir les Français, s’inquiète-t-elle. Je suis fière de mon mari, mais je veux aussi que nos enfants voient dans son travail la passion qu’il y met. J’essaye de m’impliquer dans la construction du monde de demain. Il y a tellement d’enjeux et je pense qu’il est primordial d’expliquer au consommateur pourquoi il est nécessaire de favoriser les filières locales. » Une chose est sûre : avec cette jeune femme à la tête de la coopérative, les vaches du Boulonnais peuvent dormir sur leurs deux oreilles, les bocages sont bien gardés.
La coopérative en trois dates
- 2017 : Lait prairies du Boulonnais vendent leur premier yaourt
- 2021 : Clémence Ducroquet est embauchée en tant que directrice
- 2023 : Déménagement vers un plus grand atelier de transformation