Nouvelles générations : salariés et employeurs agricoles en pleine mutation

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Nouvelles générations : salariés et employeurs agricoles en pleine mutation

Les participants au Forum emploi du réseau cuma ont rencontré les responsables de deux cuma locales du secteur d'Audinghen, dans le Pas-de-Calais, tout près du cap Gris Nez, dont Christophe Thuillier, président de la cuma du Cap Gris Nez, spécialisée en production de plants de pommes de terre.

Le Forum emploi du réseau cuma s’est tenu du 7 au 9 novembre à Blériot-Plage, tout près de Calais dans les Hauts-de-France. Avec pour thème principal l’attractivité des métiers proposés par les cuma, notamment pour les salariés et les jeunes générations.

Les nouvelles générations étaient sous les feux des projecteurs. Les animateurs du réseau cuma spécialisés sur l’emploi s’étaient donné rendez-vous près de Calais, début novembre, pour échanger sur leurs pratiques et les situations rencontrées dans les cuma de leurs secteurs respectifs.Un moment de débat ponctué par une table ronde sur les tendances liées au travail, associant salariés et employeurs. Entre 2003 et 2016, le salariat en agriculture a évolué, ont résumé les intervenants. Car on note une tendance de fond concernant la population agricole, qui influe sur l’emploi.

La table-ronde avec Axel Magnan (Ires) et Caroline Mazaud (ESA d’Angers).

« Le nombre d’exploitants a diminué de 22 %, et les aides familiaux et cotisants solidaires également, a fait remarquer Axel Magnan, chercheur à l’Institut des recherches économiques et sociales (Ires). Par conséquent, cette main-d’œuvre a dû être remplacée. Le nombre de salariés a alors augmenté. »

Davantage de salariés embauchés hors exploitations

Mais de manière générale, « ce sont des emplois dits précaires, saisonniers, à durée déterminée ou en intérim. Par ailleurs, de plus en plus de salariés sont portés par des entreprises autres que les exploitations », souligne-t-il. Ce sont donc les cuma, groupements d’employeurs ou ETA qui embauchent.

Si les contrats à durée indéterminée (CDI) se font rares en agriculture, ils concernent principalement les emplois avec davantage de responsabilités mais ils sont aussi les moins pourvus. C’est la raison pour laquelle la durée des autres types de contrats s’allonge.

Mêmes évolutions pour les salariés et les employeurs

« La population salariale évolue dans la même veine que celle de leurs employeurs, ajoute le chercheur. En CDI, la moyenne d’âge est de 53 ans. Alors qu’en contrat précaire, les salariés sont plus jeunes. »

En revanche, question rémunération, les salaires en agriculture sont plutôt homogènes. Ainsi, la moitié est rémunérée un peu plus qu’au smic (1 €/h supplémentaire). Et un quart d’entre eux sont payés plus de 3 €/h en plus du smic.

Enfin, la grosse majorité des emplois concernent des postes de saisonniers professionnels (ils font une ou deux saisons de récolte), qui sont pourvus principalement par des Français et de manière plus épisodique par des étrangers.

Les tâches courtes et peu qualifiantes sont encore bien pourvues. « Il faut également avoir en tête que le turn-over est assez important, précise Axel Magnan. 50 % ne font qu’une saison. 90 % des salariés partent au bout de deux ans. En revanche, les 10 % restant travaillent encore dans le milieu agricole dix ans après. »

Fidèles saisonniers ? Les étudiants… et les retraités

Ces 10 % d’emplois sont en majorité tenus par des retraités qui veulent arrondir leurs fins de mois ou par des étudiants. En 2016 les cuma étaient les structures qui payaient le mieux et qui proposaient le plus de d’emplois qualifiés en CDI.

Cependant, l’emploi en agriculture reste freiné par des aspects psychologiques. « Avant d’embaucher dans la cuma, nous avons échangé pendant plus de dix ans », avoue Franck Mallet, de la cuma Arc-en-Ciel. Cette dernière compte embaucher un salarié. « Il y a un manque d’habitude à déléguer le travail, le coût que l’on redoute mais aussi une société qui change. Les jeunes veulent préserver l’équilibre vie professionnelle et personnelle », reconnaît-il.

« Et les retraités n’ont plus forcément envie d’aider dans l’exploitation, ils veulent profiter », note-t-il. C’est également une prise de conscience quant à la transmission des exploitations. « Il faut que nos fermes donnent envie, et nos horaires de travail ne font pas rêver », regrette l’agriculteur.

Délégation croissante

Constat que partage et généralise Caroline Mazaud, sociologue à l’École supérieure d’agriculture d’Angers.

« La jeune génération n’a plus envie de reproduire le schéma du monde agricole, estime-t-elle. C’est bien pour cela que c’est nouveau. Ils ont dorénavant un emploi à l’extérieur avant la reprise de l’exploitation. De plus, le conjoint n’est pas forcément du milieu agricole et a d’autres exigences vis-à-vis du travail. Cela incite les jeunes installés à déléguer le travail et à embaucher de la main-d’œuvre. »

Autre moment intense d’échange : l’intervention d’une enseignante, conférencière et autrice, Élodie Gentina, experte des comportements de la génération Z (personnes nées entre 1996 et 2010, qui ont donc entre 13 et 27 ans actuellement).

Génération « esprit d’équipe »

« Le premier critère de fidélisation professionnelle de cette génération, c’est l’esprit d’équipe », a-t-elle rappelé avant d’enchaîner sur leurs diverses caractéristiques. À savoir la préférence pour des systèmes collaboratifs, l’importance de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle – le travail n’étant plus vécu comme central —, la remise en question de l’autorité en tant que telle, un rapport plus émotionnel au travail ainsi qu’un retour au local, à la proximité.

Elodie Gentina, conférencière, enseignante spécialiste de la Génération Z

« Les représentants de cette génération restent dans une entreprise parce qu’ils s’y sentent bien. Cette entreprise doit être partageante, apprenante pour eux. Il faut leur proposer des missions plus qu’un CDI », a-t-elle résumé. « L’entretien individuel annuel n’est donc pas forcément adapté, ou suffisant, pour ces profils, qui préfèrent avoir un retour continu », a-t-elle observé.

Génération « Expérience »

Élodie Gentina a également nuancé le rapport au numérique : « Oui, ils sont accros aux vidéos, mais pour eux, la première relation est réelle. Le téléphone vient la prolonger. Ce sont des personnes qui préfèrent l’expérience, l’usage à la possession. »

Elodie Gentina, conférencière, enseignante spécialiste de la Génération Z, présente la couverture de l’édition d’Entraid de juin 2023 sur la fidélisation des salariés.

Elle qualifie donc cette génération de « post-matérialiste » et militante. « Attention, bien des facteurs influent sur leurs comportements au-delà de ces caractéristiques, tels que le fait d’habiter à la ville ou à la campagne, le nombre d’années d’études, les milieux familiaux et sociaux et, bien sûr, la catégorie socio-professionnelle », a-t-elle nuancé.

Les témoignages des responsables salariés de cuma locales (cuma atelier Galaxie et cuma de la Vallée bleue) ont illustré de manière très directe les propos d’Élodie Gentina.

Avec le cas d’un salarié « boomerang », plus à l’aise dans ses missions en CDD que lors d’un premier CDI. Ou bien encore ce jeune salarié qui demande un boîtier Karnott, alors que le précédent « ne voulait pas être fliqué ». Mais aussi le fait que le salaire n’est pas l’élément primordial – même s’il aide à fidéliser. Ou encore l’attention des responsables à proposer des missions variées, à rester attentifs aux zones de confort de leurs salariés. Et à leur proposer de conduire des matériels imposants.

Génération « perle », qui ne demande qu’à briller

« Si j’avais un souhait… et bien ce serait que mes collègues suivent des formations au management. Quand les salariés prennent un café en début de journée, ils ne sont pas « cool la vie ». C’est un moment nécessaire pour l’équipe. Les employeurs, et les adhérents, doivent être en mesure de le comprendre. L’important, c’est que le travail soit bien fait », soulignait Alexandre Bonneville, de la cuma Galaxie.

Christophe Thuillier, de la cuma du Cap Gris Nez, témoigna au côté de sa collègue Gladys qui devrait reprendre la présidentce de la cuma?.

Cette séquence a illustré le fait qu’il existe des solutions pour cette « génération perle » qui ne demande qu’à briller. Mais également le fait qu’il reste, globalement, du chemin à parcourir en termes de management pour les responsables employeurs agricoles. Lesquels privilégient en général une très – trop ? – large autonomie pour leurs salariés.

Monsieur Carlu, de la cuma Dessilex, a évoqué l’organisation de la cuma, qui repose aujourd’hui sur l’embauche de plusieurs salariés dont un pour la conduite d’une dessileuse automotrice.

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