Va-t-on vers une obligation de réduire ses émissions de gaz à effet de serre ?
D’ici cinq à dix ans, je n’exclus pas que les entreprises de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de l’agro-industrie doivent respecter la réglementation des industries polluantes. Elle consiste à réduire obligatoirement les émissions de gaz à effet de serre et de compenser lorsque les objectifs chiffrés ne sont pas atteints. Je ne serais pas étonnée non plus que les marchés réglementaires et volontaires fusionnent. Cela serait peut-être utile aux agriculteurs qui pourraient ainsi vendre leurs crédits carbone sur un marché comprenant plus d’acheteurs. Ce serait, en contrepartie une manière de mieux valoriser les crédits carbone.
Quelles questions se poser avant de se lancer dans une agriculture bas carbone ?
Avant de se lancer dans n’importe quelle démarche, l’agriculteur doit définir ses objectifs. Est-ce qu’il veut réduire ses émissions de carbone ? De gaz à effet de serre ? Ou augmenter le stockage du carbone dans ses sols ? Quels sont les cobénéfices attendus ? Quelles sont les structures qui peuvent l’accompagner, le conseiller, mesurer ses efforts dans la durée ?
Les réponses détermineront la méthode et les outils adéquats pour valoriser ses efforts. Ceux-ci seront à déterminer selon le type d’exploitation et les mesures déjà mises en place par l’agriculteur.
Quelle est la réglementation aujourd’hui ?
À ce jour, tout le monde n’est pas d’accord sur le principe de l’agriculture bas carbone. La question de ce qu’on comptabilise est encore très ouverte au niveau européen.
En France, nous avons déjà tranché et les pouvoirs publics ont lancé un des cadres de certification accessibles pour les agriculteurs de l’Hexagone, le label bas carbone. Celui-ci prend en compte tous les gaz à effet de serre émis en agriculture : le protoxyde d’azote, le méthane et le dioxyde de carbone. Pour simplifier, nous utilisons une même unité quel que soit le gaz : la tonne équivalent CO2 [teqCo2].
Le label bas carbone comptabilise également le carbone stocké dans les sols agricoles. Il prend ainsi en compte l’amélioration du bilan carbone total, comprenant les émissions et le stockage, en partant de la situation initiale, mesurée à l’aide d’un diagnostic effectué dès l’engagement.
Au niveau européen, la Commission n’a pas la même façon de voir le sujet que nous. Elle a tout récemment proposé un cadre de certification qui ne prendrait en compte que le stockage de carbone, ne considère la réduction des émissions de dioxyde de carbone que comme un cobénéfice et ne tient pas compte des autres gaz à effet de serre.
Or en agriculture, le CO2 ne représente que 13 % des émissions totales de gaz à effet de serre et est bien souvent lié à l’utilisation de carburant. Même si l’Europe semble avoir moins d’ambition que la France, les discussions à venir au Conseil et au Parlement européen vont certainement faire évoluer le texte.
Quels sont les objectifs d’une démarche bas carbone ?
Outre rémunérer les efforts des activités polluantes, l’objectif est bien de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Chaque secteur d’activité y contribue et l’agriculture a aussi son rôle à jouer. D’autant plus qu’elle est l’une des seules activités, avec la forêt et les océans à pouvoir stocker le carbone grâce à ses sols et la photosynthèse.
Le carbone capté par la plante est restitué dans les sols. L’agriculture de conservation des sols est l’un des piliers de la démarche bas carbone. En ne travaillant pas les sols, en favorisant une biomasse toujours présente sur les sols, en allongeant les rotations ou en diversifiant les cultures, l’agriculture est capable d’inverser la tendance du déstockage actuel. Bien sûr cela demande aussi beaucoup d’efforts et les résultats escomptés ne sont pas constatés avant une dizaine d’années au moins.
Comment massifier les démarches ?
Ces transitions demandent de vraies connaissances techniques mais aussi que de nouvelles filières rémunératrices s’implantent. Ce n’est pas si facile que ça n’y paraît. À l’heure actuelle, cette démarche ne concerne qu’une petite partie de la population agricole déjà sensibilisée, qui a la curiosité ou les reins solides pour prendre quelques risques ou déjà convertie à ce type de pratiques.
Selon moi, la massification de cette démarche se fera à l’aide des organisations qui gravitent autour des agriculteurs. Un agriculteur seul, s’il n’a pas le caractère d’un pionnier, ne se lancera pas seul dans une révision de ses pratiques. Pour éviter cela, il faut que les techniciens et conseillers puissent proposer des scénarios adaptés à l’exploitation et qu’ils soient accompagnés pour atteindre les objectifs économiques et environnementaux fixés par le programme.
À l’image de Vivescia par exemple. La coopérative propose à ses adhérents un diagnostic carbone simplifié rapide et gratuit des émissions et du stockage des gaz à effets de serre au sein d’une exploitation. Cela leur permet ensuite d’identifier les agriculteurs qui peuvent s’intégrer facilement dans les filières bas carbone.
Comment ne pas en faire un objet uniquement marketing ou une certification supplémentaire ?
Pour cela, il faut prouver ce qu’on affirme, sinon c’est du greenwashing. C’est là où, en agriculture, le bât blesse car les pratiques évoluent selon les conditions climatiques. Il s‘agit donc de mesurer et d’appliquer de la traçabilité dans les actions mises en œuvre. Une photo doit être prise à l’instant T lors du démarrage de la démarche, et les mesures doivent se poursuivre tout le long de l’engagement pour suivre l’évolution du bilan carbone de l’exploitation.
Pour cela, il faut s’appuyer sur les moyens technologiques dont on dispose : capteurs, suivi GPS, analyses de sols, de l’air, etc. L’autre manière, plus simple, est de se baser sur des modèles déjà établis sur le territoire. Nous ne sommes plus dans l’obligation de moyens mais bien de résultats. D’un point de vue technologique, nous sommes prêts.
Tous ces efforts demandent des investissements, comment peut-on en retirer de l’argent pour les rendre plus lucratifs ?
Pour se rémunérer, il y a plusieurs voies. Celle des financements publics, celle de la vente de crédits carbone et celle qui permet d’acquérir des primes filières.
Cependant, le marché du carbone volontaire accessible au secteur agricole reste peu élevé. Les crédits carbone sont valorisés en France entre 20 et 50 € en France, soit dix fois plus que les crédits carbone dans les pays en développement, où les grandes entreprises françaises et européennes ont l’habitude d’acheter des crédits carbone pour compenser leurs émissions.
Il faut donc que nous arrivions à inciter ces industriels à acheter des crédits carbone locaux dix fois plus cher. Pour eux, c’est à la fois une manière de se conformer à la réglementation. Mais aussi de financer la transition agroécologique vers la neutralité carbone de la France et de l’Union européenne.
Au-delà de cela, ces changements de pratiques sont source de cobénéfices non négligeables. Réduire les émissions de gaz à effet de serre ou stockant davantage de carbone dans les sols permet une réduction des intrants et une amélioration de la fertilité et de la biodiversité des sols agricoles. Une donnée non négligeable qui contribue à valoriser le foncier.
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