L’agriculture ukrainienne face à la guerre : récits d’entrepreneurs

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L’agriculture ukrainienne face à la guerre : récits d’entrepreneurs

Clément Coussens (à g.) dirige une exploitation de 20 000 ha en Ukraine. Gérald Thomasset (à d.) y a développé une filière avicole. Ils témoignaient au Space 2024, accompagnés de Pascal Hiéronimus, 'Est expansion).

Deux entrepreneurs français témoignent de leur expérience de l'agriculture en Ukraine et de ce que la guerre a déjà changé pour leur structure qui se tourne, avec volonté, vers l’après.

L’envie de poursuivre a prévalu le 24 février 2022 sur l’exploitation que dirige Clément Coussens. « Ça leur était inconcevable d’abandonner un champ et les grains de blé qu’ils avaient semés », témoigne le Français établi en Ukraine depuis une dizaine d’années. Retour sur le témoignage des deux entrepreneurs sur l’agriculture en Ukraine en temps de guerre. 

L’agriculture en temps de guerre

Ce jour d’entrée en guerre est de ceux qui marquent une vie : « Dans la nuit, j’épandais de l’engrais à ce moment-là. Il était 3 h 25. » À 7 heures, la centaine de salariés de l’exploitation sort de réunion. « Je leur ai proposé de partir ou de continuer. » La fertilisation reprend. « Avec la peur au ventre, et les premiers mois, de l’effroi, précise le directeur. Mais les salariés sont restés très calmes à leur poste. »
Deux ans et sept mois plus tard, Clément Coussens témoigne ainsi au Space sur l’agriculture en Ukraine. Malgré les horreurs de la guerre, l’activité continue. À ses côtés, Gérald Thomasset partage le résumé. En Ukraine depuis bientôt trente ans, il découpe, transforme, abat et élève de la volaille au nord-ouest de Kiev. « Je devais avoir une livraison de canetons ce jour-là. » À 6 h 20, une annonce le réveille. « Puis à 8 heures, on entend une déflagration. On comprend que c’est l’aérodrome à quelques kilomètres. Le 25, mon activité était stoppée. Nous avons distribué nos produits autour. » Quant à l’élevage, privé d’électricité et d’eau : « Nous avons fini par ouvrir les portes aux 18 000 canards. »

L’agriculture en Ukraine : incité par les clients à redonner activité et espoir au personnel

Après quelques semaines en France, l’entrepreneur revient mi-mai : « Le site de transformation avait été bombardé. Un bâtiment d’élevage brûlé. Et là, j’ai vu que la guerre, ce n’est pas un trou noir. Notre personnel était toujours là. »

Tout comme les clients, en attente de savoir si les livraisons reprendraient. « Mon réflexe a été de répondre : oui, on va retravailler. » La conjoncture aidant, l’entreprise avait récupéré ses 3 M€ de chiffre d’affaires en un an, et investissait 150 000 € pour internaliser l’alimentation. « La guerre nous contraint à des changements plus radicaux, à accélérer nos projets pour faire face aux marchés et améliorer la stabilité de notre système », analyse Gérald Thomasset.

Sa ferme n’ayant pas été touchée, « quasiment rien n’a changé dans mon activité par rapport à avant. Nous avons conservé notre fonctionnement, mais on anticipe encore plus dans les moindres détails », prolonge Clément Coussens.

Outre l’évolution des mentalités et des priorités de chacun, l’impact pour son entreprise était sur la trésorerie et la logistique. « Les ports étaient bloqués. On a dû trouver des solutions. » Il narre l’achat de 20 camions, soit 2 M€ d’investissement, « pour acheminer nos céréales », ou ses projets de construction de silos et de poulaillers, avant de conclure : « La résilience est une histoire assez partagée dans l’ensemble du pays. » Son voisin de table complète : « Aujourd’hui, tout le monde sait que l’Ukraine est un pays autonome. C’est une chance pour l’après-guerre qu’on a décidé de préparer dès maintenant. »

Évolution inéluctable du travail

Hors prime, le salaire mensuel d’un tractoriste représente 1 000 € net sur l’exploitation de Clément Coussens. « L’an dernier, ils ont eu entre 5 et 10 000 € net de prime. » Gérald Thomasset complète : « Quelqu’un qui découpe de la viande touche environ 750 € net et sur l’élevage, c’est de l’ordre de 500 €. »

Toutefois, il s’attend à un changement radical lorsque viendra le temps de la construction : « Les petits salaires vont très vite être oubliés et on va rattraper rapidement la Pologne. » Les deux Français constatent aussi l’appétit ukrainien pour les nouvelles technologies, dans tous les domaines. Un atout pour pallier le manque croissant de main-d’œuvre qui s’annonce.

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