Coincée entre les canaux et une immense digue, sur un terrain plat argileux, se trouve la ferme Karolina. Celle qu’exploite Kees Breure et David Kleiss. Si les moutons, bandes enherbées et cultures de betteraves et pommes de terre font penser à la nature, détrompez-vous, ici, tout est l’œuvre de la main humaine. « On vit dans une baignoire, s’amuse à dire Kees Breure. Il faut toujours gérer l’eau sinon, nous sommes engloutis. » Pour preuve, en plus des 100 ha cultivés, 10 sont consacrés aux digues entretenues par la quarantaine de moutons et aux canaux. Zoom sur l’agriculture aux Pays-Bas.
L’agriculture aux Pays-Bas, des parcelles bien arrosées
En effet, vieille d’un peu plus de 100 ans, l’exploitation se situe au même niveau de la mer, voire en dessous pour certaines parcelles. Située sur un polder, elle profite d’infrastructures pour offrir de nombreuses productions. « Nous cultivons une centaine d’hectares sur lesquels nous plantons des pommes de terre, des oignons, des haricots verts, des choux de Bruxelles, des betteraves sucrières, mais aussi du blé, liste David Kleiss. Mais pour y parvenir, nous devons évacuer les 800 mm d’eau de pluie l’hiver, pour implanter rapidement les cultures de printemps. » Mais en été, il est parfois nécessaire d’irriguer, c’est l’ambivalence de ce pays.
Pour cela, les deux associés se sont doté d’un canon d’irrigation. De ce point de vue, l’irrigation semble facile. L’eau est pompée à quelques mètres et répandue sur les plantes. Mais les heures consacrées ne sont pas moindres. « En 2022, année de sécheresse, nous avons 480 heures à l’irrigation, dénombre Kees Breure. C’est un coût au niveau de la main d’œuvre, mais aussi de l’usage. Rien que pour alimenter la pompe, il faut compter l’équivalent de 11 € de gasoil par heure. » Seuls les oignons, pommes de terre et haricots sont arrosés, soit un peu plus d’un tiers de la sole.
Entretenir le drainage : une nécessité
À quelques mètres de là se trouve une digue qui permet de contenir l’eau de la mer du Nord. Et de chaque côté des parcelles, les canaux plus ou moins grand permettent d’évacuer l’eau drainée dans les sols. Des pompes entretenues et actionnées par la commission régionale de l’eau permettent de réguler les niveaux d’eau. Il faut en compter cinq pour les 6 000 ha alentours. Ainsi, il y a le niveau d’hiver, assez bas pour pouvoir renvoyer l’eau à la mer. Et celui d’été, plus haut pour permettre aux agriculteurs de pomper l’eau pour l’apporter aux champs.
« Tous les dix voir quinze ans, nous renouvelons une partie de nos drains, explique l’agriculteur. Nous les plaçons tous les 20 cm à une profondeur entre 90 cm et un mètre. » Chaque génération y ajoute son drain. Mais ce n’est pas sans conséquences financières. Sans drainage, les deux agriculteurs ne seraient pas sereins. Sans cette installation, ils seraient toujours en proie de la remontée capillaire.
Égaliser le terrain
Même bien équipés, le changement climatique n’aide pas ces deux agriculteurs associés. À l’image de l’automne et hiver 2023 où ils étaient incapables de mettre une roue de tracteur dans leur parcelle. « C’était un désastre, lance David Kleiss, encore bouleversé. Nous avons dû laisser des pommes de terre dans le sol. »
Outre le drainage indispensable à leurs activités, les deux compères doivent également égaliser le niveau de leur parcelle afin qu’elles soient le plus plat possible. « Avec les machines, le changement climatique, ou l’eau stagnante trop longtemps, le sol se déforme et on peut voir des flaques, explique David Kleiss. Tous les cinq à six ans, nous utilisons une machine pour niveler le sol. » Pour cela, ils sont assistés d’une cartographie GPS qui les aide à déterminer les niveaux au sein de la parcelle. « S’il le faut, nous pouvons aussi amener de la terre pour combler certains creux, mais on évite le plus possible. » Parfois, il peut y avoir 25 cm de différence entre le point haut et bas de la parcelle.
L’agriculture aux Pays-Bas : conserver la qualité des sols
De tels chantiers ont des conséquences économiques qui pèsent sur les coûts de production. « Pour le nivelage, nous avons une machine en commun avec notre voisin, précise-t-il. Mais il faut compter 600 à 1500 €/ha. Cela dépend des travaux à effectuer. » Les agriculteurs préfèrent réaliser ces travaux en été, d’où l’intérêt d’insérer des céréales dans la rotation.
Avant tout ces travaux, le plus important aux yeux de David Kleiss et Kees Breure, c’est la fertilité de leurs sols. Si la couverture des sols n’est pas obligatoire l’hiver, faute de pouvoir les semer et les détruire, les deux Néerlandais s’appliquent à apporter de la matière organique chaque année sur leurs sols. « Ça permet de conserver l’eau dans le sol, comme une éponge », lance l’un deux. Ces investissements ne se voient pas, mais sont primordiaux pour continuer à exploiter ces polders. « On peut avoir un beau tracteur, mais si on n’entretient pas nos sols, ça ne sert à rien », ajoute Kees Breure. Ici, plus qu’ailleurs, les agriculteurs luttent constamment contre la nature et travaillent pour les générations futures.
Des coûts de production élevés dans l’agriculture aux Pays-Bas
Alors forcément, cette énergie et cet argent passé, il faut qu’il soit rentable. « Si on ajoute les coûts du foncier qui s’élèvent à plus de 130 000 €/ha en moyenne, comprenez bien que cultiver du blé n’est pas rentable, avoue David Kleiss. C’est avant tout pour diversifier notre rotation et pouvoir travailler dans nos champs en fin d’été. Nous devons cultiver des plantes à forte valeur ajoutée, donc aussi plus risquées. »
Pas non plus le droit à l’erreur, la technique est essentielle aux Pays-Bas. « La plupart des Néerlandais pensent que les agriculteurs sont arriérés et peu formés, mais ce n’est pas le cas, pour gérer une exploitation dans de telles circonstances, il faut un sacré niveau d’études, sinon c’est la clé sous la porte », ajoute Willeke Breure lasse.
Réduire les coûts de production et obtenir de bons rendements, c’est le credo, des Hollandais qu’ils ont dû apprendre, un peu forcé par les choses. « Pour un kilo de pommes de terre, mon coût de production est en moyenne de 0,20 euro, illustre David Kleiss. Les courts doivent être élevés pour que je rentabilise mon activité. » Pour cela, une partie de sa production est contractualisée avec une usine de frites, Lambweston. L’autre partie, il la stocke afin de la vendre au meilleur prix. « Je préfère les années sèches, car le marché est plus réactif et les prix augmentent plus rapidement », avoue-t-il. Pour rentrer dans ses frais, l’agriculteur tente d’atteindre les 60 t/ha, mais ce n’est pas toujours aisé.
Partage du matériel
Cette année, la campagne de pomme de terre est maussade. Même si ce n’est que le début de la récolte, les plantations tardives retardent les arrachages. « Nous avons planté nos pommes de terre le 1er juin, elles sont encore en train de défaner, montre Kees Breure en pointant la parcelle voisine de la ferme. Dans quelques jours, nous pourront commencer la récolte, si la météo le permet. »
Il faut dire que pour cela, ils sont équipés. Leur arracheuse, achetée avec un voisin, une Dewulf, quatre rangs, est équipée de chenilles, pour pouvoir travailler même dans des conditions humides. « J’espère que mes bâtiments seront remplis d’ici à une semaine, montre David Kleiss. Chez mon voisin, les rendements frôlent les 45 t/ha, ce n’est pas notre objectif, mais ce n’est pas catastrophique. Nous avons la chance d’avoir des terres riches. » Décidément, l’agriculture aux Pays-Bas est bien différente de la nôtre.
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