Champs plats à perte de vue entrecoupés de fossés, voilà le paysage typique du Calaisis. Ce jour d’août 2024, Guillaume Wullens, agriculteur à Nouvelle-Église, manie sa mini-pelle à proximité de son exploitation. « Je profite du temps sec pour entretenir les cinq kilomètres de fossés de mon exploitation et ainsi favoriser l’évacuation de l’eau de mes parcelles cet hiver. » Le ton est donné. Retour sur la gestion de l’eau à Calais avec Guillaume Wullens.
Eau, principale préoccupation
Situées dans le delta de l’Aa, rivière du Pas-de-Calais, les exploitations de ce territoire bien spécifique bénéficient d’un aménagement hydraulique vieux de plusieurs siècles qui permet d’assécher les terres marécageuses. « Ici, nous avons trois sujets de préoccupation sur l’eau, lance l’agriculteur. Le premier est d’évacuer l’eau en hiver lorsque les précipitations sont abondantes. Le second est d’apporter de l’eau à nos cultures l’été, qui se trouvent sur des sols sableux donc assez filtrants. »
Et enfin, le dernier concerne les conséquences du réchauffement climatique avec la montée des eaux. « Ici, nous sommes à moins de deux mètres au-dessus du niveau de la mer, indique l’agriculteur. Nous craignons de futures submersions marines avec l’arrivée d’eau salée dans nos nappes et sur nos terres. Avec des vents forts et de grandes marées, le cordon dunaire qui nous protège est en recul constant. »
Gestion de l’eau à Calais
Ces singularités, Guillaume Wullens et ses voisins ont appris à les apprivoiser. Pour cela, ils s’appuient notamment sur un système hydraulique pensé il y a plusieurs siècles. « Nos parcelles sont entourées de canaux qui nous permettent l’hiver d’évacuer l’eau en excès dans nos parcelles drainées, précise Guillaume Wullens. L’eau est ensuite pompée et envoyée dans la mer à quelques kilomètres d’ici. »
À l’inverse, l’été, l’eau du bassin-versant envoyée à la mer par les canaux est retenue par des systèmes d’écluses qui permettent aux agriculteurs d’avoir une réserve d’eau à proximité de leurs parcelles pour les irriguer. « C’est de l’eau de surface qui de toute façon est perdue puisqu’elle est destinée à être envoyée dans la mer. »
Des cultures risquées
Ce système hydraulique a fait ses preuves, mais demande une grande attention. Il faut entretenir les canaux et les pompes. Pour Guillaume Wullens, qui cultive 75 ha, cela lui permet, comme à ses voisins, de produire des pommes de terre, des betteraves et du lin. Des cultures exigeantes, risquées, mais à forte valeur ajoutée. Des cultures nécessaires, d’autant que la zone est très densément peuplée, qu’elle accueille de nombreuses usines de transformation agroalimentaires et est tournée vers l’export avec deux ports (Dunkerque et Calais).
Avec 800 millimètres d’eau tombés chaque année, et aucune évacuation gravitaire, le drainage est quasiment obligatoire pour cultiver ces zones. Les ouvrages et investissements datent donc des années 70. « Nous sommes équipés de nettoyeuses de drains et régulièrement, nous remplaçons des tuyaux de meilleure qualité maintenant, précise le Calaisien. Le drainage nous permet d’avoir un sol plus vite ressuyé et d’ainsi travailler dans de meilleures conditions au printemps pour respecter nos sols. »
Apporter de la matière organique
Une fois, la période sèche engagée, c’est une autre tâche qui attend cet agriculteur : l’irrigation. Équipé depuis 2017, Guillaume Wullens arrose la moitié de sa SAU, exclusivement les cultures de printemps. « J’ai acheté un canon d’irrigation et une pompe, cela m’a apporté beaucoup plus de souplesse pour assurer le rendement de mes cultures, avoue-t-il. Mais j’arrose avec parcimonie. À partir de début août, j’arrête l’irrigation, car ce n’est plus nécessaire et cela risque d’endommager les sols pour la récolte. »
Pour tenter de dompter l’eau de ses sols, Guillaume Wullens apporte de la matière organique dans ses sols via du compost, du digestat, des écumes, de la vinasse, et broie la totalité de la paille de ses céréales. En revanche, il investit peu de temps dans le couvert de ses parcelles. « Avec la moisson tardive, c’est assez compliqué de semer mes couverts en août, regrette-t-il. L’hiver, mes parcelles sont peu accessibles, car elles sont trempées. La destruction des couverts est alors assez délicate. Et je préfère travailler mes sols pour qu’ils aient une bonne structure avant l’hiver. »
Gestion de l’eau à Calais : adapter ses plannings
Dans cette veine, l’agriculteur a également adapté le calendrier d’implantation et de récolte de ses cultures. Pour assurer une récolte sans tassement et sans abîmer ses sols, il a opté pour les arrachages de betteraves en préplanning, début septembre. Le sol y est plus sec. Pour ses pommes de terre, il choisit des variétés hâtives pour les récolter avant la mi-octobre. Enfin, pour ses semis de céréales, il estime qu’ils doivent être réalisés avant le 15 octobre, quitte à perdre en rendement.
Après cette date symbolique, l’agriculteur estime qu’il lui est difficile d’intervenir dans ses parcelles. Il n’effectue, d’ailleurs, que très peu de labours d’hiver, faute de périodes de gel assez importantes et de portance de ses sols. Il est alors équipé d’un panel d’outils de travail du sol en cuma : déchaumeurs, décompacteurs, rotatives… L’objectif est de conserver la réserve utile du sol et sa structure dans une fenêtre d’action restreinte.
Suréquipement pour la gestion de l’eau à Calais
Cuma, ETA, tout comme les exploitations du coin, sont suréquipées avec de nombreux outils pour pouvoir répondre aux exigences du sol et de la météo. « Cela représente un surcoût pour notre production, tout comme nos investissements dans le drainage ou l’irrigation, conclut-il. Mais ce système pérenne, c’est aussi ce qui assure la valeur de nos exploitations et de notre territoire. »
Le changement climatique, on le sent
En bordure côtière, en plein milieu du front de la remontée des eaux de mer, le Calaisis ressent bien le changement climatique. Plus intenses, les précipitations, sécheresses et épisodes de vent incitent les agriculteurs à revoir leurs pratiques. « Pour s’adapter, nous devons avoir les moyens d’anticiper, d’être réactifs et d’avoir des sols et ouvrages hydrauliques entretenus, estime Guillaume Wullens. Notre territoire en est conscient. Un Papi (programme d’action de prévention des inondations) est mis en place depuis 2016. Il permet aux acteurs du territoire de réfléchir aux moyens pour faire face à ce dérèglement climatique dans notre zone très spécifique et artificialisée du delta de l’Aa. »
Un territoire densément peuplé
Des associations de riverains et d’agriculteurs organisent cette gestion différenciée de l’eau. Dans cette zone du delta, qui représente plus de 1 500 kilomètres de canaux, 120 000 hectares, les 450 000 habitants, entreprises et agriculteurs paient une taxe selon la surface pour le fonctionnement des canaux et leur entretien, gérés par une vingtaine d’associations de sections.
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