Franck Michel de la chambre d’agriculture Nouvelle-Aquitaine a ausculté, chiffres à l’appui, les changements agricoles à l’œuvre dans les exploitations agricoles en 2050. Il pose un constat qui vaut pour les Deux-Sèvres, mais aussi pour d’autres départements : « L’agriculture perd un quart de sa main-d’œuvre tous les 10 ans ! » Cette augmentation de la productivité du travail est corrélée à l’évolution des revenus : « C’est la baisse de la main-d’œuvre agricole qui permet la croissance des revenus de ceux qui restent. Les aides PAC expliquent la moitié de cette progression depuis les années 90 », analyse Franck Michel, qui précise cependant que depuis les années 60, « 85 % des gains de productivité du travail ont échappé aux agriculteurs ».
Changements agricoles : plus d’aides que de revenus
Autre constat qui n’est probablement pas spécifique aux Deux-Sèvres : « Il y a plus d’aides PAC que de revenus agricoles générés ces quinze dernières années ! », constate cet observateur attentif pour qui « l’évolution des exploitations est très fortement conditionnée par l’accès aux aides PAC ». L’attribution d’aides surfaciques peut constituer de ce point de vue une passerelle vers l’agrandissement.
Explications : « L’augmentation de la valeur ajoutée et du revenu par actif passe par l’optimisation de travail à l’hectare, avec une extensification ou carrément l’abandon de l’élevage. L’extensification du travail (moins d’heures à l’hectare) entraine une baisse de la valeur ajoutée par hectare, et donc un appauvrissement du territoire (emplois agricoles ou induits), moins de diversité… ».
Quels changements de la PAC ?
Les contours de la prochaines PAC 2028-2034 sont encore flous (aides sur 1er/ 2e pilier ? aides à l’actif et/ou aides contractuelles MAEC, PSE, stockage CO2… ?). Cependant, l’influence des enjeux climatiques devraient probablement peser davantage encore dans l’avenir. Les éco-régimes et le renforcement des règles de conditionnalité pourraient donc s’intensifier.
Prix de l’énergie multiplié par 2 et dérégulation des marchés
Concernant les futurs changements agricoles, Franck Michel attire l’attention également sur la dérégulation des marchés énergétiques et la décarbonation : « L’énergie sera au moins deux fois plus chère qu’avant 2022 (hors inflation)», prédit Frank Michel. Il souligne aussi l’impact de la dérégulation des marchés agricoles : « Avec un ciseau des prix (produits X intrants) totalement imprévisible, problématique dans une activité d’investissements longs. » L’instabilité économique résulte d’une mise en concurrence mondiale avec la multiplication des accords de libre-échange avec de grands pays agro-exportateurs : Brésil et Argentine (Mercosur, 2019), Canada (Ceta, 2017), Ukraine (2017), Nouvelle-Zélande (2023)… qui s’exerce sur les mêmes grands marchés agricoles (grains, laits, viandes, etc.).
Des poulaillers ukrainiens jusqu’à 68 000 m² !
Cette trajectoire est d’autant plus redoutable que la concurrence apparait inégale. « Ainsi, un poulailler ukrainien fait 68 000 m², un céréalier canadien ou argentin cultive plusieurs milliers d’hectares », relate Franck Michel. Il insiste aussi sur les normes discriminantes par rapport à la règlementation européenne : « Par exemple, 42 substances phytosanitaires et vétérinaires sont autorisées au Canada et interdites en Europe. » Cette mise en concurrence s’opère aussi à l’échelle intra-européenne avec des différences de productivité du travail abyssales avec certaines agricultures des pays d’Europe centrale et orientale ou d’Europe du Nord, sur la plupart des filières agricoles.
« Dans ces conditions, les exploitations agricoles françaises ne seront jamais compétitives (structurellement) », affirme l’économiste. Elles doivent en plus supporter des injonctions contradictoires entre les incitations au verdissement et l’absence de « clauses miroirs » dans les négociations internationales en cours.
Les cuma au cœur de la transition
Les logiques d’agrandissement pourraient bousculer les cuma en place. Mais d’autres facteurs peuvent leur être favorables : « En particulier l’optimisation des nouvelles technologies au service de troisième révolution agricole qui représente un accès très coûteux (investissements, maintenance, formation…), de fait réservé à la petite partie des agriculteurs en capacité d’investir. Il y a donc une obligation d’économies d’échelle », analyse Franck Michel. Certains territoires comme les Deux-Sèvres, qui sont un berceau du mutualisme, peuvent saisir cette opportunité. D’autant plus si les projets collectifs sont reconnus, voire mieux financés. Parallèlement, la transition agroécologique demande généralement plus de travail, plus de capital et un « paquet technique renouvelé ». L’occasion pour les cuma de prouver, dans ce registre, toute leur utilité.
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