Les femmes sont-elles condamnées à ne pas participer au renouvellement des actifs en élevage ? L’Institut de l’élevage et le GIS Avenir Elevage (1) révèlent au travers d’une étude menée en 2024 les difficultés persistantes de l’accès des femmes aux élevages. Que ce soit à l’installation, dans la répartition du travail, dans l’exercice même du métier ou encore dans la reconnaissance, le chemin à parcourir paraît encore long.
94 % des femmes ont connu des difficultés avec un outil
L’enquête, issue de 314 questionnaires et 17 entretiens ciblés, souligne par exemple que l’équipement agricole reste peu adapté aux femmes.
« 94 % des femmes ont connu des difficultés avec un outil, une tâche », expose James Hogge, chargé d’études en sociologie des femmes en élevage. Contre toute attente, 75 % des hommes enquêtés ont déclaré cette même difficulté.
Le poids et l’usage répété arrivent largement en tête des difficultés citées par les deux sexes. L’adaptation à la taille et la complexité de l’outil arrivent ensuite.
Accès des femmes aux élevages : les charges lourdes en cause
Plus exactement, l’étude montre que les femmes doivent faire face à une contrainte physique forte. « Parce que le problème, ce sont les charges lourdes, en agriculture, tout est dimensionné pour des hommes, pour leur puissance physique », témoigne l’une des femmes interrogées. L’étude évoque une dépendance aux hommes ainsi qu’une tendance à vouloir diminuer la pénibilité du travail.
Trois solutions ont été observées en ce sens :
- Forcer jusqu’à ce que ça marche et se faire potentiellement mal ;
- Demander de l’aide ;
- Innover en contournant la tâche.
2,8 fois plus de troubles musculosquelettiques que les agriculteurs
Pour la première solution, « forcer », James Hogge rappelle que « les agricultrices ont 2,8 fois plus de troubles musculosquelettiques que les agriculteurs ». Pour ce qui est d’innover, il s’agit de transformer l’outil, de changer de pratique ou de changer de génétique. Enfin, une autre difficulté soulevée est le risque et la peur liés au contact avec les animaux, notamment les bovins allaitants.
Rare point positif, lorsque les femmes innovent pour se faciliter le travail en élevage, l’étude met en avant que « c’est l’ensemble du collectif, et parfois les animaux, qui en bénéficient ». En guise de conclusion sur les équipements et les outils, elle souligne « le besoin de formation sur toutes les activités de l’élevage, notamment mécaniques, et préférentiellement en non-mixité ».
Les obstacles à l’accès des femmes aux élevages
Hors équipement, ce projet sur les spécificités de l’accès et de l’exercice des métiers de l’élevage pour les femmes identifie certaines problématiques à l’installation. « L’homme est vu comme le propriétaire et transmetteur », relaie l’étude. Une femme raconte par exemple que pour acheter des terres, le vendeur « a d’abord voulu voir [son] père ». Une autre témoigne de remarques au sujet de son projet. « Comment ? des brebis, toute seule, avec un enfant ? Mais vous rêvez complètement. Ça ne va jamais marcher. » Ainsi, les femmes s’installent pour 33 % d’entre elles chez leur conjoint, et 52 % sur la ferme parentale. Contre 87 % des hommes sur la ferme parentale.
Pour être reconnues comme éleveuses à part entière, 39 % des femmes se disent tout à fait d’accord sur le fait qu’elles aient dû faire leurs preuves, contre 22 % des hommes. L’étude soulève aussi une répartition très genrée du travail : l’équipement pour les hommes, les tâches administratives pour les femmes. Ce qui constitue avec d’autres facteurs « un frein à la circulation des savoirs et à l’innovation ».
Les femmes faisant face à une répartition inégale du travail domestique, l’étude pointe leurs difficultés à participer aux instances agricoles et à leurs réunions en soirée. Enfin, l’étude soulève une autre piste d’amélioration pour les services de remplacement. « Ils sont à renforcer si l’on souhaite attirer et maintenir les femmes en poste. Il y a des cas de congés maternités non remplacés, de salariés ne souhaitant pas effectuer le travail de l’éleveuse ou de lui obéir, des difficultés pour recruter des salariées femmes. 70 % des femmes ont continué à travailler pendant leur congé maternité. »
Le métier se masculinise
Pour les auteurs de l’étude, il y a urgence à agir. « Le métier se masculinise, notamment en bovin lait et en caprin, décrit James Hogge. Les femmes ne représentent que 26 % des chefs d’exploitation au global. Elles sont plus représentées en filières circuits courts, en bio. Et de 42 %, on passe à 20 % de femmes devenant agricultrices. »
Pour Marie André Luherne, agricultrice, présidente de la fdsea 56, vice-présidente de la FNPL, présidente déléguée du Cniel, « cette enquête est un constat. Il faut maintenant proposer des solutions ».
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(1) Le GIS Avenir élevages fédère des partenaires de la recherche, de la formation, du développement et des filières du secteur de l’élevage. Il a pour objectif, la production et la diffusion de connaissances et d’innovations.