Les dépassements du temps de travail, c’est une problématique que connaissent beaucoup de cuma. Les employeurs agricoles ne le font pas par plaisir. Mais c’est une réalité : l’agriculture est un secteur « à risque » pour ces dépassements des durées maximales du temps de travail. En raison notamment des pics d’activité saisonniers. Les cuma de certains départements en ont fait l’expérience ces dernières années, après des vagues de contrôle de l’Inspection du travail. Elles ne sont bien entendu pas les seuls employeurs agricoles concernés. Exploitations et entreprises de travaux agricoles sont contrôlées sur les mêmes bases. Et affrontent les mêmes problématiques
Dérogations
La profession agricole, dont des fédérations de cuma, demande chaque année des dérogations à la durée maximale. Cette dernière s’élève à 48h de travail hebdomadaire. Cela permet de répondre aux besoins de main-d’œuvre des travaux saisonniers sur des fenêtres de temps très étroites. À certaines périodes déterminées, les semaines de travail de leurs salariés peuvent par exemple atteindre 60, 66, voire 72h. Malgré ces aménagements, les dépassements du temps de travail réglementaire existent encore, et de loin.
Que risquent les employeurs en cas de dépassement de la durée légale du travail ?
- une contravention de classe 4 par salarié,
- une amende administrative. Elle peut atteindre 4 000 € par salarié et par semaine de dépassement constaté de la durée maximale du travail,
- le salarié peut également se retourner contre son employeur simplement pour violation de la durée du travail, sans avoir à prouver le préjudice spécifique subi,
- sans compter le risque accru d’accident du travail pour les salariés, fatigués par ces périodes de haute intensité.
- En cas d’accident concomitant à un dépassement de la durée du temps de travail, l’employeur prend un risque majeur. Il engage à la fois ses responsabilités civiles et pénales. Les sanctions et réparations dépendent dans ce cas de la gravité de l’accident, mais ne sont en aucun cas légères.
Pourquoi ces dépassements du temps de travail sont-ils aussi fréquents ?
Pour bien comprendre ce qui se joue, il faut aller au-delà des clichés sur les salariés, leurs patrons et l’administration. Les abus existent, bien sûr, mais la réalité est souvent beaucoup plus complexe.
Côté salariés : «On veut bosser !»
Première particularité du monde agricole, y compris côté salariés : «la valeur «travail» y est très forte», explique une animatrice en charge de l’Emploi au sein d’une fédération de cuma. «Les salariés veulent «faire des heures», notamment parce que c’est l’une des facettes valorisées de la compétence dans les métiers de la production agricole. Parce que, qu’ils soient chauffeur ou mécanicien, ils aiment souvent beaucoup leur métier. Et bien sûr, pour augmenter leur rémunération.»
Ce Responsable Salariés, va plus loin : «Si je leur demande de faire strictement leurs heures, ou même de réduire les heures supplémentaires, je risque de perdre mes salariés. Ils me disent très clairement : «je veux bosser !».
Si je ne leur propose pas «assez d’heures», ils vont voir ailleurs, en ETA ou autre. Or, en ces temps de pénurie de main-d’œuvre, chacun d’entre eux est précieux.»
Ce qui amène Laurent Guernion, éleveur dans l’Ouest et précédemment responsable Emploi à la Fédération régionale des cuma de l’Ouest, à s’interroger : «Dans bien des cas, c’est le nombre d’heures faites qui déterminent le salaire final du salarié. On entend quelquefois que les heures supplémentaires sont devenues un acquis social des salariés de cuma…»
«Je renvoie la question aux personnes dans les délégations employeurs : quel salaire pour quel profil des salariés ? Le niveau de rémunération, à terme, doit-il être aussi corrélé aux heures de travail ?»
Cela soulève de multiples possibilités, à la fois du côté de la rémunération «de base» des salariés de cuma. Mais aussi en allant explorer les nouveaux types de contrats qui apportent de la souplesse quant à la gestion des heures et aux plafonds légaux… au moins au niveau hebdomadaire.
Côté adhérents : des calendriers chaotiques
Les adhérents-agriculteurs sont de plus en plus seuls sur de grandes exploitations. Lesquelles, restructurées, sont aussi relativement plus rentables. La délégation des travaux se développe donc naturellement…
Mais ce manque de main-d’œuvre dans les exploitations, conjugué aux perturbations climatiques et à une demande accrue en technicité (et en interventions), aboutit à des phases de travaux des champs très intenses et fréquentes, qui se télescopent les unes avec les autres.
Cette année, moisson, semis, ensilages et vendanges se sont entrechoqués, sans compter les tours d’irrigation. On peut aussi citer les périodes d’épandage et les semis de printemps, ou encore de fenaisons, pendant lesquelles les fenêtres d’intervention se «raccourcissent» en raison des alternances de phases très ensoleillées et très pluvieuses.
En bref, analyse ce responsable salariés : «on n’est jamais vraiment au calme. Sur notre secteur, on a une petite période d’accalmie de début décembre à mi-janvier.»
Des phases de travaux chahutées, qui interrogent : la notion de «pic de travail» a-t-elle encore un sens, pour les agriculteurs comme pour les salariés ?
Côté administration : protéger les salariés, faire respecter le droit
Les inspecteurs du travail sont au fait de cette réalité, à la fois des contraintes de la production agricole et des dépassements de durée de travail sur le terrain.
Jusqu’à présent, la plupart des amendes -qui peuvent être très élevées- sont « rediscutées ».
Mais même si des sanctions administratives et des amendes ne sont pas systématiquement prononcés, il ne s’agit pas d’une tolérance.
Car des contrôles peuvent être menés à tout endroit et à tout moment ; et les « discussions » pour la réduction des amendes pourraient ne pas toutes aboutir. Les inspecteurs « ont toute diligence pour mener les contrôles qu’ils souhaitent opérer, en toute autonomie », explique un animateur Emploi du réseau cuma, suite à une réunion avec la Dreets de son département.
« Des contrôles identiques sont menés dans les Entreprises des territoires (les ETA, ndlr) », précise-t-il. Les services de l’État doivent faire appliquer le droit sur le terrain, un droit construit pour concilier activité économique et droits des salariés de tous les secteurs. D’autant plus qu’il existe des souplesses parfois méconnues et légales : la durée maximale annuelle du travail pour les cuma atteint tout de même 2000h, soit quasiment 9h de travail effectif par jour.
Finalement, le risque le plus difficile à affronter pour les responsables de cuma est celui qui concerne les accidents du travail.
Car un salarié fatigué par de trop longues heures de travail est aussi un salarié moins vigilant.
Or, l’agriculture est l’un des secteurs professionnels les plus accidentogènes, à la fois en termes de fréquence et de gravité des accidents.
Outre l’aspect tragique, cela met les responsables de cuma dans une situation très risquée au plan personnel, qu’il s’agisse du président, ou à la personne à laquelle il a officiellement délégué la gestion des salariés.
Côté responsables : «entre le marteau et l’enclume»
Une accumulation de risques qui fait dire à ce Responsable Salariés d’une cuma de l’Ouest : «Je me sens avec une épée de Damoclès en permanence au-dessus de la tête.»
Pourtant, il décrit d’emblée «l’ADN» de sa cuma : «l’entente et le respect des salariés.» Avec deux temps plein et deux saisonniers depuis longtemps, la délégation des travaux aux salariés représente une routine.
«Jamais, en tant que Responsable salarié, je n’aurais forcé un salarié à faire des heures en plus s’il ne le souhaitait pas.» Pourtant, ce responsable a raccroché les gants. «ça devenait intenable.»
En cause, la gestion de multiples risques et pressions décrits précédemment, de la part de l’administration, des adhérents mais aussi des salariés.
Quelles sont les durées maximales de travail?
- 10 h/jour voire 12h sous conditions (plafonnements). A l’inverse, minimum 11h de repos consécutives / jour sauf dérogation, + 24h obligatoire pour la journée de repos hebdomadaire.
- 48 h/semaine de travail effectif à condition que la moyenne sur l’année n’atteigne pas plus de 44 h en moyenne. Dérogations possibles négociées auprès des Dreets par les fédérations de cuma (par exemple 60, 66 ou 72 h/ semaine pendant quelques semaines par an à certaines périodes).
Dans tous les cas
La surveillance et la gestion du temps de travail restent de la responsabilité de l’employeur. Même si les conventions de forfait supposent une forte autonomie de la part du salarié, c’est l’employeur qui reste garant du respect de la loi et des conditions de travail du salarié.
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