Les huit tours antigel dans les vignobles Bergeracois arrivées dès fin mars 2021, sur les 22 que comptait la commande, ont permis de sauver la récolte du gel dans leur périmètre d’action de 6ha, quelques jours plus tard.
«En protégeant une seule récolte, on rentabilise l’investissement», souligne Éric Chadourne, président de la Fédération des vins de Bergerac et de Duras.
Tours antigel dans les vignobles: une nécessité pour l’avenir
Le gel de printemps n’est pas une nouveauté dans le Périgord. «Nous avons eu un épisode de gel sévère en 1991. Et puis, hormis les parcelles très sensibles, la plupart des viticulteurs du secteur ont été épargnés jusqu’en 2017», analyse Michel Durand, le viticulteur qui a impulsé le projet. Après l’année 2017, marquée par des gelées de printemps, le phénomène se reproduit en 2019. Puis dans une moindre mesure en 2020. Et enfin les 7 et 8 avril 2021.
Par contre, dans ce laps de temps, la durée d’exposition des bourgeons au risque de gel a fortement augmenté, avec l’avancée du débourrement des vignes. Le changement climatique et les températures, plus clémentes durant l’hiver et au début du printemps, y sont bien sûr pour beaucoup.
Les viticulteurs régissent en taillant plus tard leurs parcelles les plus précieuses et/ou les plus gélives. De façon à retarder au maximum le départ en végétation. «Mais nous ne pouvons plus continuer à trembler comme des feuilles, tranche Michel Durand. Car il ne s’agit pas seulement de protéger les raisins. Mais de conserver nos marchés, sur lesquels nous sommes très vite remplacés. Les assurances fonctionnent et indemnisent. Mais elles ne remplacent pas le raisin.»
D’où l’idée de Michel Durand, de s’inspirer de ce qui fonctionne déjà en Dordogne, chez les arboriculteurs. Et notamment le pomiculteur Castang. «Les arbres fruitiers fleurissent tôt. Et cette entreprise fait fonctionner des tours antigel depuis une trentaine d’années.»
Un responsable de Castang lui recommande les tours américaines Chinook, fixes, mais inclinables pour mieux pouvoir disparaître du paysage et plus faciles à entretenir. Leurs pales, conçues par Boeing, déplacent un volume d’air important et assèchent la végétation de manière efficace.
À lire aussi : Ils utilisent aussi dans tours antigel dans les vignobles en Charentes.
Se poser les bonnes questions
L’un des voisins de Michel Durand se montre intéressé. À deux, ils arrivent vite à la conclusion qu’ils doivent encore s’ouvrir à d’autres pour bien protéger les secteurs. Se posent rapidement des questions complexes:
- Comment formaliser le partage d’une tour implantée chez un viticulteur, et dont l’aire d’action déborde chez d’autres?
- Par quels moyens se protéger juridiquement les uns et les autres?
- Comment rendre attractif l’adhésion à ce fonctionnement, même aux propriétaires de petites surfaces?
«Le plus gros risque finalement, ça serait de protéger les parcelles d’autres viticulteurs qui ne s’investissent pas! Il fallait être en mesure de proposer un dispositif attractif», pointe le viticulteur.
Au-delà de ces questions techniques, il existe des subventions pour ces matériels, perçus comme une manière de protéger les viticulteurs des conséquences du changement climatique. «Dès qu’on est deux ou plus, les dossiers de demande de subventions deviennent très complexes.»
Pour toutes ces raisons, Michel Durand s’adresse à deux organisations. D’une part la Fédération des vins de Bergerac et du Duras. Qui peut faire connaître l’initiative à ses 800 adhérents, et créer une dynamique d’achat groupé. D’autre part la fédération des cuma de Dordogne, reconnue pour son expertise sur le montage des dossiers et la sécurisation des aspects juridiques.
Aujourd’hui, les 22 tours sont installées et protègent des secteurs des vignobles de 16 adhérents à la cuma Environnement Périgord Services. Mais elles devraient rapidement faire l’objet d’une création de cuma dédiée. Une deuxième vague d’investissements est en cours. Pour une trentaine de tours supplémentaires.
Tours antigel dans les vignobles: les chiffres
Les 22 tours Chinook, importées et installées par la Somaref, ont coûté lors de cette première vague d’investissements 44.400€ l’unité (leur prix atteint aujourd’hui 60.000 €). Les adhérents ont versé des parts sociales d’un montant de 10% (au prorata des 6 ha protégés par machine). Ensuite ils versent 400€/ha/an sur la durée d’amortissement (quinze ans).
La Région Nouvelle-Aquitaine, le conseil départemental et l’agglomération du Bergeracois ont subventionné les 22 premières tours à hauteur de 50% (30% + 10% + 10%). Aujourd’hui, de nouvelles conditions s’appliquent: pas plus d’une tour par exploitation, montant plafonné à 40.000 €, type de matériel respectant le paysage, etc. Mais l’investissement reste fortement soutenu.
Les moteurs des tours sont alimentés au GPL. Ils consomment 23kg/h (environ 80cts/kg) distribués par deux citernes de 500kg pour chaque tour (soit 23h d’autonomie, environ 2 nuits), fournies par Antargaz pour 300 €/an. Une réflexion devrait émerger sur un approvisionnement local en biogaz. Plusieurs cuma en Dordogne portent en effet des projets de méthanisation. L’entretien annuel des tours est assuré par la Somaref et facilité par l’inclinaison des mâts des tours (il faudrait des nacelles sinon). Il comprend notamment une vidange annuelle pour un montant de 250€/an.
On ne peut pas tout sauver
Le gel n’est pas toujours le même. Il existe les fameuses gelées blanches, le traditionnel gel de printemps, qui touche en Dordogne davantage les plaines que les coteaux, la nuit, par temps calme. Elles sont dues à l’inversion thermique qui se produit lorsque le sol restitue à l’atmosphère la chaleur emmagasinée le jour. L’air chaud monte et les couches basses se refroidissent.
«Les 7 et 8 avril 2021, nous avons eu une gelée noire», analyse Éric Chadourne. Il s’agit d’une masse d’air froid, polaire, qui de jour comme de nuit peut venir «s’étaler» sur un territoire comme de la confiture. «Quand la nappe est épaisse, il est très difficile d’aller attraper les couches d’air plus chaudes pour les mélanger», souligne le président de la FVBD.
«Ces nappes peuvent en outre être très froides. Celle d’avril l’était modérément. Ce qui fait que les tours ont été efficaces», analyse-t-il. Des dispositifs de chauffage au gaz sont en cours de test sur les tours antigel notamment dans le Cognac. Les coûts et l’efficacité étant encore discutés.
«Qu’il s’agisse d’aspersion ou de mélange des couches d’air, il faut énormément d’énergie pour aller contre la nature», souligne Éric Chadourne. Ce dernier appelle à mettre en balance les coûts (y compris les ressources en énergie ou en eau) et les bénéfices. «Lorsque le gel atteint -7°C sur de longues périodes, il devient difficile de sauver la récolte», pointe-t-il.
D’autres solutions ?
Les viticulteurs avaient jusqu’à présent davantage recours aux brûlages ou à l’aspersion.
L’efficacité des brûlages se retrouve aujourd’hui remise en question. Les résultats préliminaires produits en 2020 par l’Université de Bourgogne indiquent que les brûlages ne produisent «aucune modification des températures, en comparaison à celles mesurées avant brûlage.»*
L’autre solution: l’aspersion. Soit la création d’un cocon de glace qui protège les bourgeons. Une technique très efficace, reconnaissent de concert Éric Chadourne, président de la Fédération des vins de Bergerac et de Duras, et Michel Durand. Elle réquerre cependant des quantités d’eau phénoménales, auxquelles les viticulteurs ont peu accès (sans compter les barrières réglementaires).
«La protection par aspersion nécessite 40 m3/h/ha», souligne Michel Durand. « Il faut démarrer à 0 °C et arrêter quand la glace fond, en moyenne une dizaine d’heures par séquence de gel. Cela fait 400m3 à multiplier par le nombre de nuits de gel, qui s’est élevé cette année à huit dans mon secteur.»
À lire également: Gel: faut-il s’équiper de moyens de lutte ou diversifier ses cultures?