Le niveau de rémunération peut influencer le degré d’engagement du salarié. Mais aussi les perspectives de sa fidélisation dans un contexte où le marché du travail est tendu. Des salaires agricoles mal ajustés au regard du savoir-faire requis, de la pénibilité, des horaires ou des responsabilités réelles qui incombent au(x) salarié(s), risquent de parasiter durablement les relations entre les deux parties. D’où l’importance d’une stratégie salariale adaptée. A la fois au cadre réglementaire, au marché du travail, mais aussi aux espoirs de rentabilité liés aux performances du salarié.
Préserver le pouvoir d’achat
La question du pouvoir d’achat s’impose dans le débat public. En cause : l’inflation qui a bondi en 2023 selon l’Insee de 4,9 %. Cette hausse du coût de la vie est ressentie durement par les ménages des classes populaires. Or, la majorité des salaires agricoles sont dans des fourchettes de rémunérations basses. Souvent plus basses que la médiane des salaires tous secteurs confondus, estimée autour de 2 000 € par mois.
Les employeurs agricoles réévaluent rarement d’eux-mêmes la rétribution des salariés. Ils préfèrent suivre les relèvements de salaires agricoles applicables avec la convention collective nationale (CCN) de la production agricole et des cuma. Les trois premiers paliers (sur les 12 de la CCN) ont d’ailleurs été surpassés momentanément par la revalorisation du Smic. Ils viennent donc d’être relevés : 11, 65 €/h brut pour le palier 1. Soit le taux actuel du Smic.
21 000 € de coût total pour l’employeur
En net, le salarié concerné touchera 1 377 € par mois. En incluant les cotisations sociales y compris patronales, on atteint 22 128 € de coût total annuel pour l’employeur. Ajoutons, à ce chiffre, les charges indirectes. Ce sont principalement l’achat des équipements de protection (EPI), l’aménagement du poste de travail, les frais de gestion (fiche de paie, DSN).
En revanche, dans le coût réel du salarié, on peut déduire les économies d’impôts et de cotisations sociales liées à cette charge salariale. Pour les exploitants ayant un taux de prélèvement obligatoire (MSA + IRPP) de 40%, 100 € de charges salariales ne vont en réalité générer qu’une dépense nette de 60 €.
Pas de tractoriste avec une offre au Smic
Actuellement, il est inutile d’espérer décrocher la perle rare avec des offres de salaires agricoles basées au Smic. « Proposez une offre d’emploi d’un tractoriste au Smic, personne ne se présentera. », explique Régis Mouneau, chargé de mission emploi/formation à la Fnsea. En effet, on ne peut pas déconnecter le niveau des salaires agricoles proposés du marché de l’emploi. Même s’il n’y a pas vraiment d’indicateurs de « prix de marché pour un salarié agricole ».
Mais comment dans ces conditions savoir quel est le juste salaire ? Pour Cristina Tolentino, responsable des ressources humaines pour la fncuma, l’employeur peut se renseigner auprès de structures homologues ou de la concurrence.
L’embauche est un investissement
L’embauche est un investissement, qui s’amortit dans le temps. Un salarié qui ne reste pas, un turn-over important, est équivalent à une perte sèche pour l’entreprise. Pour les profils très recherchés, les enchères montent. En Bretagne, quelques chefs d’élevage porcins avec expérience pointent à plus de 3 000€.
L’augmentation des coûts des salaires agricoles peut inciter certains employeurs à remplacer le travail humain par des outils de production plus modernes, de manière à s’affranchir des contraintes de l’emploi.
« Mais on ne parle jamais de ce que rapporte le salarié ! » fait remarquer Joël Tromeur, éleveur en Gaec laitier dans les Côtes-d’Armor et responsable cuma à la fédération des cuma de Bretagne : « Heureusement que le salarié est là, sans quoi il n’y aurait pas eu semis. Un salarié est aussi un investissement, un allié dans les problèmes et les réussites… »
Une rémunération minimum « améliorable »
Reste que pour certains exploitants, il est difficilement concevable de verser un salaire qui serait supérieur à ce qu’ils touchent eux-mêmes, au regard de leur temps de travail et de leur responsabilité. « Les paliers de la convention sont un minimum », rappelle pourtant Benoît Delarce, secrétaire national interbranche agricole de la CFDT. Les tensions sur les salaires sont une constante dans l’histoire sociale française, où la culture du compromis n’est pas spontanée.
« Au sein de l’exploitation, les salariés agricoles ne savent pas toujours négocier », observe Eric Passetemps, président de l’association nationale des salariés agricoles : « Le salaire, mais aussi les conditions de travail, le respect des horaires… »
Pas de retour en arrière sur les salaires agricoles
À l’échelle de la branche professionnelle, le dialogue se crispe parfois. En particulier avec certaines organisations syndicales plus radicales. Dans la commission mixte des Deux-Sèvres qui fixait les revalorisations salariales avant que celles-ci ne soient désormais discutées à l’échelle nationale, Alain Benoist, agriculteur et représentant des cuma dans le collège employeurs, se rappelle des discussions parfois âpres entre partenaires sociaux. Certaines organisations comme la CGT étant enclines à demander toujours plus…
Parfois le consensus, y compris entre les différents représentants des organisations patronales, n’était acquis qu’après de longues suspensions de séance… « On ne revient pas en arrière sur les salaires agricoles dès l’instant où l’on accorde une augmentation, alors qu’en face, l’agriculteur n’a pas l’assurance d’un revenu régulier », observe Alain Benoist, en Gaec caprins et céréales. Il est lui-même employeur d’un salarié présent depuis plusieurs années sur l’exploitation, payé 2 000 € net par mois. Celui-ci apprécie en particulier la diversité des tâches à réaliser sur la ferme. Et la proximité avec son lieu d’habitation.
Tout mettre à plat
Plus globalement, Benoît Delarce constate, au sein des employeurs agricoles, des carences qui existent parfois dans la gestion des ressources humaines et le management. Tous les employeurs réalisent-ils par exemple l’entretien annuel avec leurs salariés ? Ce temps privilégié permettrait pourtant de mettre à plat l’ensemble de ce qui va ou ne va pas. Cela peut être la rémunération. Mais aussi le besoin de formations, les compétences, les outils, la sécurité, la pénibilité, les perspectives…
Pour autant, le permanent syndical n’est pas sourd aux problématiques de revenu des agriculteurs employeurs. C’est d’autant plus sensible que le coût des salaires agricoles représente une part importante du coût de revient final du produit dans certaines filières. Ainsi dans le maraîchage, cela représenterait environ 60% du coût du produit.
Label social
Une mauvaise conjoncture économique peut dont compromettre une politique salariale volontariste. L’économie agricole soumise à la concurrence ne tient pas compte en effet des conditions de rémunération des salaires agricoles. Les critères sociaux sont absents des règles de conditionnalité des aides de la PAC.
Dans ce contexte, la FNAB a élaboré un label social pour corriger cette situation. Avec plusieurs préconisations :
- mise à disposition d’un livret d’accueil pour les salaires agricoles
- réunions d’équipes régulières
- engagement des agriculteurs à suivre régulièrement des formations sur le rôle d’employeur
- programmation d’au moins deux jours de formation tous les deux ans pour des salariés en CDI
Et aussi l’engagement de l’exploitant bio d’instituer des pratiques salariales « mieux-disantes ». Exemples : avantages en nature, reprise de l’ancienneté pour les salariés saisonniers qui reviennent régulièrement sur la ferme, système d’intéressement pour les salariés permanents …
13ème mois et prime d’intéressement
L’employeur peut aussi actionner d’autres compléments de rémunération tels que le 13e mois ou le principe de l’intéressement. Le salarié est réellement partie prenante de la réussite de son entreprise, reconnaissent aussi certains employeurs.
Cet encouragement financier peut être calculé au prorata de l’évolution du chiffre d’affaires ou du revenu. Mais cette disposition présente toutefois un caractère aléatoire étant donné la versatilité des cours des produits agricoles. Des aléas complètement étrangers au degré d’engagement du salarié, analyse Régis Mounot.
D’autres critères de performances, plus objectifs, seraient préférables. Parmi eux, la conduite économique alors que le prix du GNR augmente, ou les performances techniques du troupeau (indice de consommation, GMQ, taux de mortalité…).
L’important est d’être clairvoyant sur les seuils de déclenchement. Il faut expliciter en toute transparence pourquoi on retient ces critères, précise Régis Mouneau. Ces suppléments de rémunération des salaires agricoles peuvent être versés sur un PEE (plan épargne entreprise), un PEA (plan épargne en actions), ou un PERCO (plan d’épargne pour la retraite collectif).
Cela permet aux salariés de se constituer une épargne. Et les sommes investies bénéficient d’un cadre fiscal avantageux (plus-values potentielles exonérées d’impôt même si l’épargne reste soumise aux prélèvements sociaux (CSG et CRDS).
Chercher la souplesse
L’entreprise bénéficie elle aussi d’avantages fiscaux, les contributions étant exonérées de cotisations sociales. Pour apporter de la souplesse, beaucoup d’employeurs agricoles préfèrent moduler la rémunération en privilégiant les primes, telles que la prime de la valeur (comme la ‘ »prime Macron »). Cela donne un avantage aux salariés sans versements supplémentaires de cotisations sociales.
Un avantage que nuance Eric Passetemps, qui souligne que ces primes n’ouvrent pas de droits supplémentaires aux salariés en termes de prestations de retraites, indemnités chômage et maladies. D’autres éléments complémentaires aux salaires peuvent être négociés au sein de l’entreprise. Via éventuellement un accord d’entreprise. Ou bien à l’échelon territorial : dispositif de prévoyance, complémentaire santé ou grille d’ancienneté.
Alors que les plus grandes entreprises offrent des avantages matériels via leur comité d’entreprise, certains départements ont également mis en œuvre des systèmes avantageux. Ils sont accessibles aux salariés du secteur agricole, tels que les chèques vacances ou des chèques culture.
Citons le comité d’entreprise des salariés agricoles du Finistère (CESA 29) dont le budget est financé par une cotisation patronale obligatoire de 0,5% de la masse salariale collectée par la MSA et versée au CESA 29.
Une « trappe » aux bas salaires ?
Les incitations telle que les exonérations Tode (travailleurs occasionnels agricoles) ou l’allègement Fillon, sont seulement réservées aux bas salaires. Attention donc aux effets de seuil, puisque ces mesures sont susceptibles d’inciter les employeurs à maintenir de bas salaires, observe Benoît Delarce de la CFDT.
Au-delà des considérations financières susceptibles de conforter l’attractivité et la fidélisation, le ciment de la relation professionnelle repose aussi de la fluidité des relations humaines entre les deux parties. La reconnaissance d’un travail dûment accompli et conforme aux attentes invite aussi tout simplement à savoir dire « merci ».
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