Un effet direct sur les sols
Dans cette urgence, qui pose parfois la question de la survie des exploitations après un été 2022 marqué par des sécheresses records, Jean Bugnicourt espère que ce type d’épisode ne se répète pas. Mais les données fournies par les scientifiques du Giec laissent penser le contraire.
« Les impacts du changement climatique vont s’accentuer au fur et à mesure du réchauffement mondial. Cela concerne les extrêmes de températures, l’intensité des précipitations, la sévérité des sécheresses, l’augmentation en fréquence et intensité des évènements climatiques rares… » notait le gouvernement dans son résumé du sixième et dernier rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
Des événements qui ont un effet direct sur les sols : l’augmentation de sa température, les périodes très sèches et l’eau qui s’abat ensuite, fragilisent déjà les structures et affectent les écoulements en profondeur. Sachant que la France fait partie des zones du globe qui se réchauffent plus rapidement que la moyenne.
Du Nord au Sud, dans les territoires, l’érosion revêt des facettes différentes.
De nombreuses organisations, syndicats de rivière et de bassins-versants, Chambres d’agriculture notamment, travaillent depuis longtemps sur ces phénomènes. Elles ont acquis au fil des années des données précieuses, sur un phénomène qui commence juste à être appréhendé globalement en France.
L’enjeu n’est pas seulement agricole
Plus visible lors de fortes intempéries, l’érosion reste un enjeu collectif. Du point de vue de la sécurité publique, l’écoulement d’eau chargée en particules de terre peut impacter les riverains, les voiries, l’équilibre écologique des rivières et cours d’eau, jusque dans la mer.
« À l’image, assez édifiante de la Saâne qui a déversé de l’eau boueuse dans la Manche à la suite d’un épisode orageux le 18 juin, illustre Pierre-Marie Michel, chargé de projets de restauration de milieux aquatiques en Haute-Normandie (voir photo d’ouverture). Sans en arriver à ce point, les particules de terre emportées par l’eau sont aussi chargées de phosphore, de matière organique et de produits phytosanitaires qui peuvent être responsables de l’encombrement et l’eutrophisation des cours d’eau. Et même de l’envasement des ports. »
Ces conséquences représentent des coûts importants pour les collectivités. Que ce soit dans la gestion de l’érosion, mais aussi dans la prévention, l’entretien des ouvrages et la recherche d’atténuation.
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Quantifier les pertes
La perte moyenne de sols atteint 2,46 t/ha/an au niveau européen(1). En Aveyron, le syndicat mixte du Bassin-versant du Viaur a tenté dès 2013 de quantifier localement le risque d’érosion. Dans ce secteur, des épisodes ‘éclair’ peuvent affecter les cultures d’automne, comme de printemps.
L’équipe du syndicat mixte du Bassin-versant du Viaur a ainsi déterminé que les pertes s’échelonnent dans ce secteur de 2,25 t/ha pour des parcelles à 7 % de pente, à 16,2 t/ha pour les pentes à 12 %. En analysant la composition des sols et masses de terre, elle s’est également rendu compte que 17 % du volume érodé ne se retrouvait pas en fond de parcelle. La fraction sableuse reste, et comme limons, argiles et matières organiques sont davantage charriés vers la rivière, elle augmente en proportion relative. Ce qui quitte la parcelle est la fraction la plus précieuse des sols, et ce qui garantit leur fertilité. L’équipe a constaté que le taux de matières organiques chute de 1,5 % sur les zones érodées.
« Nous quittons le confort d’un climat tempéré «
L’analyse de Franck Chevallier (Paysages Fertiles, consultant spécialisé dans le « KeyLine Design », méthode de gestion des eaux de ruissellement pratiquée dans les pays anglo-saxons) : « Les principales causes à l’origine de l’érosion sont le contexte météorologique qui évolue. En ce qui concerne l’érosion, nous faisons face à des pluies torrentielles d’intensité et de fréquence plus importantes qu’avant. De plus, les fertilisations azotées minérales participent à la déstructuration des argiles. Associée à un travail du sol répétitif, la ‘peau’ du sol est fragilisée. Enfin, l’économie agricole pousse à l’agrandissement des parcelles. Ces trois phénomènes concourent à la déshydratation des paysages agricoles, dont l’érosion n’est que la partie visible.
Par ailleurs, la distribution de la pluie est plus irrégulière, que le vent et la chaleur augmentent. Désormais, l’évapotranspiration potentielle est plus élevée que la pluviométrie. Nous quittons le confort d’un climat tempéré pour un climat sec.
Ce qui signifie que nous ne récolterons plus partout tous les ans. La rétrogradation du potentiel agricole des terrains est en marche. Si nous n’y prêtons pas plus attention, des régions entières finiront en parcours à brebis. »
Effort de recherche
Les instituts techniques et scientifiques s’intéressent aujourd’hui de très près aux phénomènes érosifs. Ainsi, l’Inrae est en train de concevoir l’outil Transitool avec la Chambre d’agriculture du Gers, destiné à sensibiliser et lutter contre l’érosion. De son côté, le Centre d’études spatiales et de la biosphère (Inrae, Cnes, CNRS, IRD) a porté cet été travail spécifique pour caractériser les ‘hotspots d’érosion’ par des approches géophysique, radar et lidar.
(1)The new assessment of soil loss by water erosion in Europe, 2015, Galagos et. al
Ce dossier comporte aussi un volet « Solutions Érosion : que faire, à l’échelle de la parcelle, de l’exploitation, du bassin-versant ? », à lire en octobre 2023 dans le magazine mensuel Entraid, ou directement sur www.entraid.com (bit.ly/erosion_solutions)
Pour plus d’information, retrouvez aussi ces articles sur www.entraid.com :
Érosion : les solutions à la parcelle, sur l’exploitation et avec ses voisins (à venir, suite du dossier)
Dérèglement climatique : préserver le capital sol
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