Le coproduit d’une fabrication de gaz
« Nous avons sur nos territoires des biomasses, sous-produits de nos filières bois énergie ou méthanisation notamment. Nous avons eu l’occasion de mener des essais pour leur trouver des exutoires grâce à des systèmes de gazéification et de pyrolise », pose Marc Le Treïs, responsable du secteur biocombustibles d’Aile dans l’introduction des travaux.
Le biochar est un résidu solide obtenu par cette pyrolyse de la biomasse, qui se présente sous forme de charbon d’origine végétale. Il s’envisagerait donc plutôt comme un coproduit d’une fabrication d’énergie. Mais derrière la définition, le matériau et ses propriétés diffèrent selon la biomasse initiale, le process mis en œuvre… Ainsi, il s’utilise dans différents domaines : le traitement de l’eau, les cosmétiques, l’industrie, la construction, ou l’agriculture.
Trois défis s’imposent à la filière naissante, selon Marc Le Treïs. « Le premier est la maîtrise de la qualité des produits. Ensuite, il y a sa complémentarité avec les autres valorisations de la biomasse. » Enfin, le biochar devra valider le postulat de son effet de séquestration du carbone. Car c’est une des vertus que se donne le charbon biosourcé.
Séquestration du carbone, mais avec quels impacts ?
Christhell Andrade Diaz, doctorante sur les stratégies de bioéconomie durable (Université de Manabi et Insa Toulouse) appuie : « Quand on applique du biochar dans le sol, 80 % du carbone est séquestré pour 100 ans. » Pour autant, ce n’est pas parce qu’on met du biochar dans le sol que l’on réussit le pari de la séquestration du carbone. Aïcha El Khamlichi, coordinatrice technique produits biosourcés à l’Ademe, rebondit : « Il faut regarder quelle biomasse est utilisée, quel procédé est mis en œuvre… » La doctorante soutient le conseil de « valoriser le biochar comme un coproduit. » Dans cette logique, le process fournit de l’énergie en séquestrant du carbone, sans quoi, « le bilan global n’est pas si bon. »
Lionel Limousy, directeur de l’institut Carnot Mica, va plus loin : « Le retour au sol du biochar uniquement pour la séquestration de carbone, c’est aberrant. L’effet est indéniable, mais il y a d’autres voies à regarder. » Et l’expert veut voir le biochar dans ce cas plutôt comme un matériau fonctionnel qui apporte de réelles propriétés d’amendement. « Peut-être que le retour au sol n’est pas la plus importante des valeurs ajoutées pour un biochar », commente Marc Le Treïs. Et la multitude de fonctionnalités envisageable « pose aussi clairement la question des qualités. »
Du biochar dans le Cognac
Sur le domaine viticole Boinaud, « le biochar pourrait être un véritable atout pour lutter contre le stress hydrique », envisage Sophie Deterre, responsable conception-développement de Maison Boinaud. Le producteur de Cognac signait fin 2022 un partenariat avec Carbonloop, pour installer sur son site une unité de production de gaz et de cogénération.
« L’électricité et la chaleur seront valorisées sur place, par Maison Boinaud », explique la directrice générale de Carbonloop, Claire Chastrusse. En amont du process, Maison Boinaud fournit la biomasse. En aval, ce sont aussi ses vignes qui valoriseraient le biochar. Le domaine en escompte des effets agronomiques, facilitant notamment l’atteinte de son objectif d’une production ‘zéro phyto’ d’ici 2030.
Ces espoirs se fonderaient entre autres sur des premiers résultats d’études en Toscane, démontrant l’intérêt d’un biochar pour lutter contre le stress hydrique de vignes. Avec le biochar, l’étude italienne constate « une augmentation du rendement. La disponibilité de l’eau était supérieure de 45 %. Il y avait plus de grappes. Et c’est sans impacter la qualité », rapporte Claire Chastrusse, en évoquant en même temps des effets bénéfiques de décompactage du sol ou d’élévation de son pH.
Difficile d’extraire un biochar intégré dans un sol
En France aussi, des essais dévoilent des bénéfices concrets, déjà dans le domaine de la dépollution. Domenico Morabito montre par exemple la photo d’un terrain « où rien ne poussait depuis 100 ans. On est parti d’un sable riche en plomb, on était à 20 g/kg, et en arsenic. Grâce à l’utilisation de ces biochars, nous avons réussi à y implanter des végétaux », narre le maître de conférences à l’université d’Orléans.
Maud Tragin, chargée d’expérimentation à Astrodhor, alerte néanmoins : « Il est très difficile d’extraire un biochar intégré dans un sol. S’il n’a pas l’effet escompté, on peut très bien constater un effet dépressif et à long terme sur la parcelle. » Devant le besoin d’éclairages, le biochar n’a pas fini d’animer les mondes scientifique comme économique. Jacques Bernard (référent bois et économie circulaire à Aile) remarque en effet : « À notre salon de l’énergie Bio360, le mot biochar n’existait pas avant 2020. À la dernière édition, nous avions 63 exposants autour de ce sujet. »
2023 : année des premières assises nationales des biochars
Aile, B2E et Unilasalle organisaient en mars, à Rennes, les assises nationales des biochars. Elles concrétisent les travaux du programme européen Interreg Three C qui se consacrait au développement des filières de charbons bio-sourcés, durables et respectueux des enjeux climatiques.