La microméthanisation agricole à la croisée des chemins

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La microméthanisation agricole à la croisée des chemins

Des solutions de micromethanisation se montrent complémentaires aux ateliers d'élevage des exploitations agricoles.

Les objectifs poursuivis par les agriculteurs qui se lancent dans la microméthanisation concernent à la fois la recherche d’un revenu complémentaire, l’autonomie énergétique et la réduction de l’empreinte carbone. Quels sont les éléments clés pour se lancer dans un projet ? Quels sont les formats de la microméthanisation, mais aussi les freins, les challenges… Des acteurs de la production de biogaz à la ferme répondent.

En France, est reconnu comme microméthanisation agricole tout ce qui en dessous de 80 kW. Les schémas administratifs dans ces cas de figure, sont plus simples que dans le cadre de structures de méthanisation plus importantes. « L’idée, c’est d’avoir une solution de méthaniseur à la taille de la ferme, en économie circulaire, sans aucun intrant venant de l’extérieur », résume Sigrid Farvacque, responsable commerciale chez Bioelectric.

115 installations de méthanisation en France

Cette société belge existe depuis une quinzaine d’années. Elle fait partie des acteurs majeurs de la microméthanisation. Elle compte 350 installations en Europe, dont 115 en France. Surtout sur les territoires d’élevage du Grand Ouest, des Hauts-de-France et du Grand Est. « Pour avoir ce système, on reste en voie liquide uniquement. On peut faire une soupe avec un peu de matière solide mais il faut que ça soit pompable », poursuit la responsable commerciale. Les unités Biolectric, de formats allant de 11 kW à 74 kW, fonctionnent donc en voie liquide, sur la base de lisiers frais.

S’inspirer du modèle allemand

11 kW, c’est environ l’équivalent d’un élevage de 50 vaches laitières. À l’opposé, 74 kW correspondent plutôt à un modèle pour 450 vaches laitières. Née de la rencontre de trois ingénieurs, pour les fondateurs de la société. « L’idée était de s’inspirer du modèle allemand en se focalisant directement sur la microméthanisation agricole qui apportait une réponse à la taille des exploitations laitières, qui représentent le cœur de notre métier », explique Sigrid Farvacque. (NDLR : 90 % des clients Bioelectric sont éleveurs laitiers).

Une solution à la taille de la ferme

Concrètement, comment ça fonctionne ? « Le lisier frais est pompé directement dans le silo et y est mélangé à une température constante (39-42°C). Les organismes anaérobies produisent alors du méthane, qui est détourné vers le conteneur. Ensuite, nous filtrons le soufre et produisons de l’énergie et de la chaleur à l’aide d’un moteur à combustion et d’un générateur. Après la digestion, le digestat est plus liquide », détaille Sigrid Farvacque.

De quoi couvrir largement le besoin en électricité de l’élevage

L’électricité est consommée à l’instant T ou vendue via le réseau. Si on prend l’exemple d’une ferme laitière représentative de la filière française : 120 vaches, deux robots de traite… La consommation annuelle d’une telle structure est de l’ordre de 80 000 kWh. Avec une microméthanisation de 22 kW l’éleveur va produire au moins 8 000 heures par an. Soit au minimum 176 000 kWh sur l’année. Sur la partie chaleur, plus ou moins 30 % de la chaleur produite va être utilisée par l’installation pour maintenir la température du digesteur à 42 degrés. Les 70 % restant sont donc disponibles pour couvrir d’autres besoins des agriculteurs.

Objectifs multiples

La représentante du constructeur précise que l’objectif de l’agriculteur est de diversifier son revenu. Egalement d’atteindre l’autonomie énergétique et de réduire son impact environnemental. Quand on traite les lisiers du jour on est capable d’aller récupérer 82 % des émissions de méthane qui s’y trouvent. Si on admet que dans une ferme laitière 30 % des GES proviennent des lisiers, sur ces 30 % on en récupère 82 %. Des chiffres intéressants donc, notamment pour les coopératives dans leur démarche bas carbone et Cap’2ER par exemple. Ce qui a d’ailleurs permis à Bioelectric de signer des partenariats, comme avec Sodiaal.

Partenariat Sodiaal et Bioelectric

Sodiaal et Biolectric signaient en décembre 2023 un partenariat. L’objectif : déployer en cinq ans un parc de 100 microméthaniseurs auprès des adhérents de la coopérative laitière. Grâce à l’appui technique et financier de Nestlé, l’éleveur bénéficie d’une aide à l’investissement de 50 000 €. Pour la coopérative, ce partenariat s’inscrit dans sa trajectoire de décarbonation.

Une production de biogaz sans recours aux matières extérieures

En termes de bénéfices recherchés, (dégagement de revenu complémentaire, autonomie énergétique et réduction de l’empreinte carbone) la société Enerpro, créée en 2015 et basée à Vern-sur-Seiche tient le même discours. « L’idée était de proposer une alternative avec des systèmes qui soient adaptés à l’échelle de l’exploitation. Tout ceci sans avoir à recourir à des transports de matières qui génèrent transport et GES », explique Alexandre Bougeant. Autrement dit, avoir une valorisation et un traitement au plus proche de la source.

Cette autonomie vis-à-vis des matières extérieures, c’est un autre avantage d’un modèle tel que la microméthanisation agricole au regard de l’acceptabilité sociale. « On rencontre beaucoup moins de difficultés. Ceci ne veut pas dire qu’on n’est pas exposés à ces questions. Mais dans les faits on constate très peu de réticences, car on n’engage pas de transports spécifiques », confirme Alexandre Bougeant.

Enerpro propose une micro méthanisation en voie solide appelée Ener’Silo, qui permet de valoriser les fumiers pailleux à partir de 2 000 tonnes par an. « C’est une solution particulièrement fiable et robuste. En même temps elle présente l’avantage d’être extrêmement sobre en électricité et en eau », met en avant Alexandre Bougeant.

L’autre volet proposé par la société est la solution Ener’Kub, une micro méthanisation en voie liquide réalisée avec des digesteurs modulaires de 100 m3 qui sont alimentés par une trémie d’incorporation équipée d’un broyeur et d’un agitateur. Un système de recirculation de biogaz assure le brassage des matières dans les digesteurs. D’une part, ce schéma limite fortement la consommation électrique de l’unité. D’autre part, l’absence de pièce tournante à remplacer simplifie la maintenance. Ener’Kub permet de valoriser les lisiers et tout type de résidus agricoles, pour alimenter une cogénération d’une puissance allant de 50 à 120 kW.

Une réglementation plus restrictive

Côté réglementation, la petite méthanisation reste soumise aux mêmes exigences que sa grande sœur. « La réglementation est la même pour tous les acteurs du marché. Dès lors que notre unité de méthanisation est chauffée, agitée et qu’elle produit du biogaz à partir d’une biomasse, on est soumis à cette réglementation », poursuit le représentant d’Enerpro. À ceci près, qu’il y a trois régimes ICPE, (déclaration, enregistrement et autorisation), selon la taille de l’installation. Le classement dans le régime ICPE de la méthanisation tient compte du tonnage quotidien de matière entrante. Inférieur à 30 t/j, entre 30 et 100 t/j, et au-dessus de 100 t/j). Un deuxième critère rentrant en ligne de compte concerne la typologie des déchets.

Un sacré challenge pour les constructeurs qui sont obligés de prévoir une infrastructure minimum (torchère, capacité de rétention de la matière…). Qu’elle soit pour traiter une tonne ou dix tonnes. Des prescriptions, fussent-elles nécessaires, mais qui entraînent de fait un frein sur les petits projets (hors installation de microméthanisation passive type Nénufar). Elles poussent donc la taille minimum des installations vers le haut.

Inflation des coûts et baisse du prix de vente

Les autres défis auxquels doivent faire face les prescripteurs sont nombreux. L’inflation des coûts de construction, des matériaux, le prix de vente et l’électricité. Ce dernier baisse en effet de 0,5 % tous les trimestres comme prévu dans le contrat BG 16 avec EDF OA, signé en 2016.

C’est d’ailleurs le message d’alerte que porte Jean-Marc Onno, vice-président de l’association des méthaniseurs de France et président de l’antenne bretonne. « Si on veut faire de la microméthanisation et vendre de l’électricité, il va falloir que le coefficient K soit mis en place. On ne peut que l’espérer. » Ce coefficient utilisé dans la formule du tarif d’achat du biométhane dit en « guichet ouvert » en limite la décroissance. « L’idée c’est de tenir compte de l’inflation depuis la signature du contrat. » Les agriculteurs méthaniseurs se lançant dans la vente d’électricité accèderaient à un tarif de base du kilowatt, « de 23 ou 24 centimes », estime Jean-Marc Onno.

De la compréhension et de l’accompagnement

Et si les adhérents de l’AAMF ne sont pas des microméthaniseurs, « quand on milite pour un nouveau tarif K, c’est pour tous les porteurs de projets. » Le représentant professionnel reste par ailleurs persuadé que « même les porteurs de projet de microméthanisation ont un besoin de compréhension et d’accompagnement ». C’est pourquoi l’association bretonne a fait une proposition à quelques représentants de ce secteur. Celle d’adhérer avec un statut particulier afin de leur proposer une plateforme d’échange. « La balle est dans leur camp ! », lance Jean-Marc Onno. Et de rappeler deux conseils : attention au coût d’investissement et vigilance sur les rendements des moteurs. Car pour lui, « globalement aujourd’hui si on veut être cohérent économiquement et environnementalement, il faut valoriser la chaleur en cogénération ».

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