L’agriculture de conservation de sols en zone sèche ? Une possibilité explorée par ces deux agriculteurs audois rencontrés dans le courant de l’automne. Il y a de l’ironie à se rendre dans l’Aude, chez David Vincent, pour parler sécheresse et moyen de lutter contre le manque d’eau alors que les nuages traînent sur le sol, apportant une humidité devenue rare.
David Vincent, viticulteur audois face à la sécheresse
Installé depuis 25 ans au nord-ouest de Carcassonne sur 190 hectares, David Vincent subit comme tous ses confrères les conséquences liées au manque d’eau, lui qui, en plus, ne peut pas compter sur l’irrigation.
Coincé entre deux réseaux d’irrigation qui s’arrêtent aux portes de son exploitation, il est complètement tributaire du régime pluvial. « Le problème, c’est qu’il y a moins d’eau et qu’en plus, elle est mal répartie. Depuis deux ans, nous avons des pluies en avril et mai qui permettent d’assurer des récoltes plus ou moins bonnes sur les cultures d’hiver. Cette année par exemple, nous avons eu 120 mm en mai. Ainsi placées en fin de cycle, ces pluies sont très bénéfiques, car elles permettent aussi d’implanter les cultures d’été. »
C’est ensuite que les choses se compliquent. Avec l’absence de pluie et la chaleur, « les cultures d’été sont aujourd’hui régulièrement catastrophiques ». Il témoigne du changement à l’œuvre, même s’il espère que ce n’est qu’un cycle. « Ici, la moyenne historique, c’est 680 mm par an. En 2022 on a eu 370 mm, en 2023 503 mm, en 2024 à mi-octobre 490 mm », liste-t-il. « Depuis 2021, aucun fossé n’a plus débordé. C’est le signe que la réserve utile des sols n’a plus été remplie depuis lors. »
Agriculture de conservation des sols en zone sèche : garder la continuité verticale
Alors pour mieux résister, il fait confiance aux plantes et se félicite de s’être engagé dans la voie de l’agriculture de conservation des sols dès son installation, par palier. « Avec les rotations, chaque plante travaille le sol différemment à différentes profondeurs, selon les caractéristiques des racines.
Certaines vont aller profond, jusqu’à deux mètres, d’autres rester en surface à 40 ou 50 centimètres. Ne pas travailler le sol, c’est laisser ce travail se faire. Quand les racines sont mortes, elles sont décomposées et cela créée comme des canalisations dans le sol qui permettent à l’eau, même le peu qui tombe, de s’infiltrer et de descendre. Quand vous labourez, vous détruisez cette continuité verticale », explique-t-il.
« Cela permet de stocker l’eau dans le sol quand d’autres pratiques favorisent plutôt le ruissellement. » Il estime de 10 à 15 jours d’eau le gain qu’il obtient avec l’ACS par rapport à une conduite plus conventionnelle dans ses sols, des limons sableux profonds, jusqu’à 2,50 m, à la réserve utile assez limitée, quand il ne pleut pas. Pourtant, ce n’est pas la problématique eau qui l’avait motivé à adopter ce mode de conduite pour lequel il a tâtonné et développé le système qui va bien à son exploitation. C’était surtout une question économique, les couverts permettant de se passer de nombre de travaux avant les cultures. Le système a pourtant des limites qui sont chatouillées par les conditions météo estivales, notamment.
« Pour les couverts, comme pour les cultures, il faut de l’eau. C’est donc compliqué quand il n’y en a pas. Et en été, les températures qui dépassent parfois 40 °C coupent la pousse des végétaux. Seul le maïs s’en sort avec ce type de conditions et peut reprendre sa pousse après un coup de chaud. C’est le principal problème aujourd’hui pour l’implantation des couverts, le manque d’eau entre juin et septembre et les coups de chaud. »
L’irrigation sert à éviter le pire
Non loin de là, Hubert Deltrieu en est resté aux techniques simplifiées. « Je n’ai jamais osé franchir le pas des couverts végétaux », avoue-t-il, concédant une certaine appréhension à ce changement de technique. Même s’il a conscience des limites de son système. « Quand j’ai adopté les techniques simplifiées, la motivation ce n’était pas l’eau, mais bien les économies que je pouvais réaliser et de conserver en surface toute la matière organique possible. »
Lui dispose de l’irrigation sur une partie, 60 hectares environ, des 200 hectares qu’il exploite près de Carcassonne. Il est même président de l’association syndicale autorisée. « Avec les conditions qui sont les nôtres aujourd’hui, l’irrigation sert juste à éviter le pire, le plus souvent cela permet de maintenir les cultures en vie, en particulier pour les cultures pérennes. »
Pour faire face aux éléments, il essaye donc de ménager ses sols. « Quand on laboure tout et qu’on sème, s’il ne pleut pas, il n’y a pas de levée. C’est ce que je vois chez mes voisins. Il y a aussi les bio qui labourent beaucoup pour maîtriser l’enherbement, et qui récoltent peu par ici. Alors avec un déchaumage et un semis direct, on s’en sort parce que c’est la réserve utile du sol qui fait la différence. J’essaye donc même de ne pas trop aérer le sol pour limiter l’évaporation et préserver cette réserve », détaille-t-il.
Pas de solution miracle dans le cadre de l’agriculture de conservation des sols en zone sèche
Les années de sécheresse le poussent-elles à regarder plus loin, du côté des couverts permanents comme chez David Vincent ? Pas sûr, les freins restent puissants. « Sincèrement, les couverts m’intéressent beaucoup, mais ils ont un coût et on n’est pas vraiment aidé pour ça. Les couverts ne sont pas rémunérateurs, il faut investir et là, franchement, vu les conditions économiques, ce n’est pas le moment », analyse-t-il. « Bref, je n’arrive pas à y consacrer du temps pour y penser et sauter le pas ! »
David Vincent reconnaît aussi que l’agriculture de conservation des sols et ses trois piliers, absence de modification des sols, couverts permanents et rotation diversifiée, n’est pas une solution miracle. « Il n’y a pas de référence nationale et ces techniques sont beaucoup liées à la capacité d’adaptation financière et intellectuelle des agriculteurs. Et il existe un système par terroir, presque pour chaque exploitation », reconnaît-il.
Et elle ne fait pas pleuvoir. « Il faudrait que nous puissions créer des petites réserves d’eau, mailler le territoire, afin de pouvoir amener de l’eau quand il faut aux cultures. » Car même si les sols ont toutes les caractéristiques pour mieux conserver et rendre l’eau aux plantes, s’il ne pleut pas, ils n’y peuvent pas grand-chose !
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