« J’essaie de sourire et de me prendre des crises de fou rire le plus souvent possible », a raconté Isabelle Boulanger, éleveuse de la Manche, lors d’un casse-croûte/débat organisé jeudi dans le cadre du Salon international de l’élevage (Space) de Rennes.
En 2011, l’agricultrice a lancé « Les Agri-Nanas », un groupe d’échanges pour les agricultrices. « Après la crise laitière de 2009, il y avait une ambiance morose dans les campagnes », explique-t-elle.
Les premières années, « il y a eu beaucoup d’écoute » car « il y avait des cas de détresse importants », dit-elle. Onze il y a sept ans, les Agri-Nanas sont désormais quatre-vingts et travaillent en atelier sur la gestion du stress, la méditation, les mini-siestes ou le yoga du rire.
« Le yoga du rire, c’est génial! On essaie d’avoir des trucs au quotidien pour évacuer le stress », explique Isabelle Boulanger. « Ça fait un bien fou à l’entreprise, comme à la vie familiale. »
Comme elle, une dizaine d’éleveurs ont raconté durant ce temps d’échange comment ils cultivaient leur bien-être au quotidien, comparant souvent leur expérience avec l’immense désarroi subi pendant les crises laitières. En 2009, les éleveurs laitiers avaient enregistré un taux de suicide supérieur de 47% à la moyenne nationale, selon une étude de Santé Publique France.
« moins de charge mentale »
C’est un atelier « clown » qui a ainsi permis à Hervé Gourbe, éleveur à Villebadin (Orne), d’être « plus dans le moment présent », de « prendre un peu de temps pour soi » et de « revenir sur sa famille » alors qu’il avait tendance à se morfondre en anticipant de nouvelles difficultés. Un film est même né de cette expérience (https://www.youtube.com/watch?v=QYs4JmVTIc8).
Laurent Le Pape, agriculteur à Beuzec-Cap-Sizun (Finistère), avait au contraire « tout le temps la banane », la « positive attitude » jusqu’à ce qu’il se prenne la crise laitière « en pleine poire ». « Soit on arrêtait parce qu’on en avait ras-le-cul, soit on changeait d’optique et on passait au bio », résume-t-il.
Louant le « système beaucoup plus vertueux » de l’agriculture bio, il se dit à nouveau « heureux » et épanoui, avec une « charge mentale » moindre. « Cet été on a pris trois semaines de vacances avec nos enfants, ça ne nous était jamais arrivé en 18 ans », sourit-il.
Lui aussi installé en bio, à Pancé (Ille-et-Vilaine), Cyrille Guilloteau, 37 ans, a choisi une petite exploitation avec son épouse, avec seulement 40 vaches sur 60 hectares, pour pouvoir dégager du temps pour d’autres activités.
Leur revenu est maigre: 1.000 à 1.500 euros/mois pour une cinquantaine d’heures de travail par semaine chacun. « On n’est pas les rois du pétrole mais ça va », dit-il. Surtout Cyrille loue sa « liberté », qui lui permet de profiter de ses trois jeunes enfants de 3, 5 et 8 ans.
Emilien Le Callonec, 25 ans, agriculteur à Mauron (Morbihan), trouve son bien-être dans ses « convictions », dans « le fait de se rapprocher au maximum de la nature »: la ferme qu’il exploite, créée par son grand-père, est bio depuis 50 ans. « On a banni la charrue et tous les ans, on essaie de planter un ou deux kilomètres de haies. Et on pousse beaucoup moins nos vaches, elles vieillissent plus longtemps et on est content de les voir vieillir », dit-il.
Enfin, Isabelle Teurnier, salariée agricole à Pipriac (Ille-et-Vilaine) a trouvé le bien-être dans une bonne relation avec son employeur, après une mauvaise première expérience. « Si vous donnez de la confiance à vos salariés, vous serez gagnants aussi », a-t-elle lancé à l’intention des autres agriculteurs.