« C’est la touche du chef », explique, sourire en coin, Jean-Luc Sylvain, patron de la tonnellerie. Selon la taille du brasero ou le temps d’exposition, ses salariés vont donner aux 30.000 barriques produites chaque année un parfum allant du pain qui sort du four au cacao torréfié, en passant par le moka.
« La tonnellerie française participe à la renommée du luxe français, au même titre que la parfumerie ou la haute couture », clame M. Sylvain.
Ce savoir-faire, plébiscité par les grands crus français, s’exporte tout au long de l’année: les tonneliers français font « 70% à l’exportation », explique-t-il.
« L’Europe nous occupe de maintenant jusqu’à janvier et après, c’est l’hémisphère sud (Amérique du Sud, Afrique du Sud, Australie et Nouvelle-Zélande). Entre les deux, les Etats-Unis bouchent bien la fin de l’hémisphère Sud, fin mars, entre avril et juin », détaille-t-il. De quoi occuper ses salariés, toute l’année, sauf aléas climatiques.
Avec 615.385 unités vendues en 2017, la tonnellerie française a dégagé un chiffre d’affaires de 429 millions d’euros, en progression de 4,6% par rapport à l’année précédente.
La barrique de chêne français, si elle habille les vins de la vieille Europe comme du nouveau monde, ne doit pas les travestir: « La barrique, elle supporte le vin, elle doit le mettre en valeur, elle doit l’aider à grandir, mais en aucun cas, elle ne doit le dominer. C’est de l’éducation », explique Jean-Luc Sylvain.
Pour cette raison, les tonneaux de M. Sylvain sont majoritairement fabriqués à partir de chênes sessiles et de chênes pédonculés: « Ils sont beaucoup plus recherchés que les chênes américains parce qu’ils donnent des vins avec beaucoup plus d’équilibre, laissent la part belle aux fruits ».
« Certains cépages costauds, comme la syrah, vont accepter des bois plus puissants, avec de gros grains, une puissance tannique, alors que le pinot noir, le merlot vont avoir besoin d’un grain plus fin, avec des arômes plus complexes », explique Vincent Lefort, président du syndicat des merrandiers (fabricants de merrains, les parois du tonneau).
Flambée de la matière première
Dans le hangar de Jean-Luc Sylvain, des grumes des forêts domaniales d’Amboise et de Fontainebleau, abattues entre octobre et janvier, attendent d’être débitées en tronçons qui seront fendus au millimètre près pour en faire des merrains.
A l’extérieur du bâtiment, des centaines de merrains empilés, tels de petits gratte-ciels en bois, sont entreposés à la belle étoile, pour sécher pendant deux ans: en tout, ce sont 30 mois de production de barriques qui contemplent le visiteur.
Mais si la tonnellerie de Jean-Luc Sylvain est florissante, à l’image de l’ensemble du secteur dans l’Hexagone, quelques sujets d’inquiétude sont apparus.
La concurrence à l’achat de chênes des Asiatiques et notamment des Chinois, a provoqué depuis plusieurs années une flambée des prix, aggravée selon lui par de nouveaux procédés de ventes mis en place par l’ONF (Office national de forêts).
« Dans nos métiers de tonneliers, ça fait deux ans qu’on a entre 15 et 20% de hausse par an », assure Jean-Luc Sylvain.
« On est aujourd’hui relativement inquiet, pour ne pas dire très inquiet. L’augmentation rapide et non maîtrisée du prix des matières premières va influencer l’emploi et fragiliser les petites entreprises », craint-il.
Autre sujet d’inquiétude, le recrutement. Avec 35 jeunes en formation dans toute la France, « il n’y a pas de candidat, que ce soit des jeunes ou des adultes ». Il revendique pourtant des salaires 30 à 40% plus élevés que dans les autres professions de l’artisanat.
« Le ciel s’assombrit plus qu’il ne s’éclaircit. Pendant 30 ans, on a été gâté, aujourd’hui, il y a plus de difficultés qu’auparavant et de contraintes », déplore M. Sylvain.
« Mes enfants viennent de rentrer dans la société. Parfois je leur dis +je ne sais pas si c’est une bonne idée+ », conclut-il.