A condition que le Conseil d’Etat, saisi par le Jura, ne remette pas d’ici-là ce droit en cause.
« En Corrèze, on ne fait rien comme les autres! », plaisante M. Mage, président de la Fédération des vins de Corrèze, en décrivant ce vin sucré qui se décline en blanc avec des arômes d’abricot sec, d’agrume mûr mais aussi, particularité régionale, en rouge rappelant le caramel et les fruits cuits.
« Nous sommes une des rares régions de France à le faire », souligne ce viticulteur à Chirac, lieu-dit de Beaulieu-sur-Dordogne.
Dans ce vignoble d’une centaine d’hectares dont la moitié est en agriculture biologique ou en conversion, une trentaine de vignerons produisent du rouge principalement, du blanc, du rosé et sur 20 ha du vin de paille, de part et d’autre de Brive-la-Gaillarde.
Ce liquoreux est issu des meilleurs raisins sélectionnés à la main pendant les vendanges. Ils sont ensuite séchés pendant au moins six semaines sur des claies, autrefois en paille. Sans sulfite ajouté, le vin est ensuite élevé trois ans, avec un passage en tonneau pendant 18 mois.
Quelque 50.000 bouteilles sortent des chais chaque année, petit rendement oblige, contre 400.000 pour le rouge et le blanc.
Cette production confidentielle ne plaît guère au Jura, principal producteur de vin de paille en France, et le Conseil d’Etat leur donne raison en 2014 en interdisant la mention « vin paillé » sur les bouteilles corréziennes.
Les viticulteurs contre-attaquent en constituant en 2017 une Appellation d’origine contrôlée (AOC) Corrèze qui leur donnent le droit de produire du vin de paille, comme le fait Tain l’Hermitage (Drôme). « L’AOC, c’est une reconnaissance de la qualité du produit, du travail. On joue dans la cour des grands », estime M. Mage, également éleveur de canards.
« On a l’antériorité »
Tel un ping-pong, la Société de viticulture du Jura, organisme de défense et de gestion (ODG) des vins jurassiens, conteste cette reconnaissance devant le Conseil d’Etat. « On veut conserver notre mention vin de paille. Historiquement, on a l’antériorité », assure son président Nicolas Caire, précisant que le vin de paille figurait déjà au premier concours des vins du Jura en 1836.
Il estime aussi que le cahier des charges corrézien, en particulier la liste des cépages et les conditions de production, ne correspond pas à la définition européenne du vin de paille.
« Les Jurassiens ont raison de se défendre mais on ne leur fait pas de concurrence. Le produit est différent: ce n’est pas le même terroir, les mêmes cépages, le même climat. C’est la façon de faire qui est la même », répond Jean-Louis Roche, président du syndicat des producteurs de vin de paille en Corrèze.
« Le vin de paille, ce n’est pas un produit créé de toute pièce, c’est notre patrimoine », renchérit M. Mage, faisant référence à la réputation des vins de Corrèze du Moyen-Age au XIXe siècle, quand il atteint son apogée: le vignoble y est alors plus grand que celui de l’Alsace aujourd’hui (15.000 ha), précise-t-il.
La crise du phylloxera, l’exode rural et le changement de cultures ont eu raison du vin de Corrèze bientôt cantonné à une simple tradition familiale. Relancé dans les années 80, il s’écoule aujourd’hui dans la région. « On manque de notoriété et c’est un de nos handicaps. Quand on vient en Corrèze, on ne pense pas à la vigne et au vin! », reconnaît Jean-Louis Roche.
Si le Conseil d’Etat donnait raison au Jura, ce serait la première annulation d’une AOC.
« Si on perd l’appellation, sans mauvais jeu de mots, là on sera carrément sur la paille, prédit ce producteur de vin et de noix. On deviendrait un vin passerillé et le consommateur ne saura pas ce que c’est ».