« Je sors tout juste la tête de l’eau. » Paul, éleveur dans l’Ouest, bloquait il y a un an les usines de Lactalis, N°1 mondial des produits laitiers. Un bras de fer long et dur qui, conjugué à une flambée des prix du beurre, lui permet de ne plus vendre son lait à perte.
« Ça peut paraître anecdotique mais 10€ de plus sur le prix, c’est 3.500€ qui rentrent à la maison », explique l’éleveur, basé en Mayenne, bastion de la colère des producteurs de lait, l’été 2016.
Avec d’autres agriculteurs venus de Bretagne, Normandie et Pays de la Loire, ils ont occupé pendant neuf jours un rond-point, rebaptisé « la honte du lait », donnant accès aux usines et au siège social du géant mondial Lactalis à Laval.
Philippe Jéhan, président de la fédération départementale des syndicats agricoles de Mayenne (FDSEA, syndicat majoritaire), « reste très marqué par cette semaine sur le rond-point avec les éleveurs à écouter leur détresse ».
Après cette action de force et sous la pression du gouvernement socialiste, Lactalis accepte de reprendre des négociations. En août 2016, le groupe achetait le lait 280euros les 1.000litres contre 331€ aujourd’hui. Une « main tendue » mais encore « insuffisante », pour M. Jéhan, 46ans.
« A partir de 330-340€ les 1.000litres, les comptes vont être à l’équilibre. L’éleveur va pouvoir se rémunérer un petit peu mais pas non plus avoir un gros salaire: autour de 1.500€ avec derrière 70heures de boulot », estime Paul, producteur laitier depuis cinq ans.
« J’ai pu sauver mon exploitation de 40vaches laitières. J’ai réussi à serrer les boulons pendant les deux années de crise grâce au salaire extérieur de ma compagne. D’autres n’ont pas eu cette chance », explique ce père de famille de 35 ans.
La crise laitière a en fait débuté dès l’été 2014 avec l’embargo russe sur les produits alimentaires venant de l’Union européenne et la baisse des importations chinoises, analyse Benoît Rouyer, économiste au Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel).
Un marché du lait fragile
« A ces deux facteurs, s’ajoute la fin des quotas laitiers au sein de l’Union européenne en mars 2015. On se retrouve avec une accélération de la production dans l’UE et une demande internationale moins soutenue. Cela induit une dégringolade progressive des prix », poursuit M. Rouyer. Pour l’économiste, « la situation du lait en 2017 est positive, tirée par la forte augmentation du prix du beurre sur le marché international qui devrait se poursuivre jusqu’au printemps 2018 », mais il met en garde contre toute « euphorie ».
Face à la surabondance de poudre de lait, la Commission européenne, pour tenter de réguler les prix, en a acheté 350.000tonnes, qu’elle remet au fur et à mesure sur le marché. Ce stockage conséquent rend « le marché fragile », assure Michel Nalet, porte-parole de Lactalis qui affiche un chiffre d’affaires de 17,3milliards d’euros en 2017. « Il n’y aura pas de maintien de la hausse de prix du lait sans un niveau de prix qui sera suivi par les acteurs de la grande distribution », met-il en garde.
Lassés, certains producteurs ont décidé de s’affranchir des géants laitiers et de s’orienter vers des circuits courts ou le bio. Des leviers qui restent des « niches », estime l’éleveur mayennais.
« La vente directe, c’est très bien, elle se fait où il y a le consommateur, Paris, Marseille, Lyon… Nous, en Mayenne, on produit plus d’1 milliard de litres de lait, c’est pas les 60.000personnes à Laval qui vont suffire! », affirme Paul.
Il n’existe pas de « solution miracle » pour les producteurs dit conventionnels, c’est-à-dire 85% des éleveurs français, précise Benoît Rouyer, économiste au Cniel. « Il faut privilégier un outil européen de pilotage de la production en période de crise. » Mais cette initiative lancée par la France a « peu d’écho parmi les voisins européens qui ont une approche libérale », regrette-t-il.