Travail : je veux que mon maïs soit fait dans la journée !

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Travail : je veux que mon maïs soit fait dans la journée !

Benoit Bruchet, directeur de la fdcuma 53 : "Les adhérents de cuma sont de plus en plus pressés par le temps, nous pouvons les aider face aux problématiques travail."

«On est débordé, on a la pression… je ne sais pas comment m’en sortir. Je veux que mon maïs soit fait dans la journée et ne pas y revenir.» Sur les exploitations, la rengaine enfle. Pourtant, dans les cuma, les équipements sophistiqués sont là. Pourquoi ça coince ? Comment sortir de l’impasse ? Interview de Benoît Bruchet, directeur de la fédération des cuma de Mayenne.

La rédaction d’Entraid : Sur les questions de travail, les agriculteurs sollicitent-ils leur fédération de cuma ?

Benoît Bruchet, directeur de la fédération des cuma de la Mayenne : Ils ne nous interpellent jamais spécifiquement sur la question du travail. Les demandes arrivent plutôt par l’angle mécanisation. Mais derrière, c’est souvent lié à des problèmes de main-d’œuvre. On reçoit par exemple des demandes sur des outils grande largeur, pour gagner en débit de chantier. Derrière, ce sont des questions d’organisation de travail des adhérents eux-mêmes. Il y a ceux qui ont moins de temps à consacrer aux cultures (ils étaient en gaec avec des parents qui partent à la retraite). D’autres souhaitent disposer de plus de temps à passer en famille. La base, c’est donc les besoins personnels : «Comment je peux m’arranger pour économiser du temps ?» La façon dont cela va se traduire auprès de la cuma, c’est : «Pour mon maïs, il faut que tout soit fait dans la journée et qu’on ne finisse pas trop tard.» Le point de départ, c’est bien une question de temps de travail / temps personnel. La question du choix de l’outil n’arrive qu’à la fin de la réflexion.

Entraid : La délégation des chantiers en cuma, c’est la solution ?

BB : Pas forcément. Quand on discute avec les adhérents d’une cuma pour savoir s’ils sont prêts à déléguer le chantier pour gagner du temps, la réponse est loin d’être unanimement oui ! Souvent, les gens veulent travailler plus vite, mais tout en continuant à participer au chantier, à conduire, à suivre avec leur remorque, etc. D’autres envisagent au contraire de tout déléguer. Pas toujours facile de concilier tout ça dans un groupe. C’est possible, mais il faut réunir plusieurs conditions : avoir une certaine taille, un ou plusieurs chauffeurs et du matériel avec des débits de chantier importants…

Entraid : Et si la cuma ne fournit pas ce service rapide ?

BB : Si la cuma n’est pas en mesure de proposer des services à la carte, c’est-à-dire dans l’exemple précédent, le choix entre délégation totale ou participation possible de l’adhérent à un chantier rapide, l’exploitant ira chercher le service ailleurs. C’est un grand défi pour les cuma : répondre aux nouvelles exigences – fortes – des adhérents. Des groupes y arrivent. Pour d’autres, la réponse n’est pas totale. Je prends l’exemple d’une Cuma désilage récente. Les adhérents ont réussi à atteindre deux de leurs objectifs : ne pas s’équiper individuellement en matériel de distribution et gagner du temps. Par contre, la question du travail le week-end n’a pas été réglée. Or nombre d’ adhérents souhaitent pouvoir s’absenter le week-end ou pour des vacances. Le chauffeur est en repos les samedi et dimanche. Et il devient difficile de trouver des remplaçants, d’autant que la gestion des troupeaux est de plus en plus pointue.

Entraid : La fédération peut-elle aider les groupes sur les problématiques travail ?

BB : Oui, nous pouvons apporter un appui à la réflexion. On commence par aider les adhérents à poser chacun leurs problèmes et attentes personnelles pour les questions de travail et de temps libre. Puis, dans un second temps, on réfléchit à l’équipement et à l’organisation optimum dans la cuma. Ce travail d’accompagnement, nous le faisons déjà. Nous pourrons le poursuivre à travers le dispositif Dina également. Mais ce service de la fdcuma n’est pas vraiment connu, nous n’affichons pas assez cette compétence. C’est toujours par l’entrée machine qu’on vient nous voir.

Entraid : Chacun a sa façon de voir le travail : ça peut bloquer un projet de groupe ?

BB : Bien sûr, si ce n’est pas pris en compte. Prenons l’exemple d’un projet de désileuse automotrice en cuma qui a capoté. Pourquoi ? Parce qu’on s’est aperçu, trop tard, que parmi les adhérents de la cuma, se trouvait un gaec, dont un des membres avait la responsabilité de la distribution des fourrages. Le projet de désileuse automotrice en cuma le dépossédait de cette mission. Comme la question n’a jamais évoquée et réglée dans le Gaec, il y a eu blocage pour le projet de cuma. Des cas comme ça, il y en a d’autres : on n’a pas pris le temps d’interroger chaque exploitant sur ses attentes et ses craintes. C’est souvent un fait inconnu qui vient coincer le projet. Tant qu’un frein n’est pas posé sur la table, on ne peut pas débloquer les choses.

Entraid : Les agriculteurs auraient des non-dits sur le travail?

BB : Oui, comme tout le monde. Je prends un autre cas où on travaillait sur l’organisation d’un chantier en cuma. Arrive un moment où ça coince, sans qu’on sache pourquoi… En creusant, on se rend compte qu’un des gars voulait récupérer ses enfants à l’école, donc être libre à 16h00, mais il n’avait pas osé le dire aux autres ! Il est important, au départ, de prendre le temps de faire s’exprimer chacun sur ses attentes et ses contraintes de vie.

Entraid : Chacun a sa façon très personnelle de voir le travail, comment mixer tout ça en cuma ?

BB : Pas toujours facile. Au niveau des fédérations de cuma des Pays de la Loire, nous avons mené un travail avec Sophie Chauvat, de l’Idele. Elle explique qu’il y a trois composantes dans le travail et que chacun d’entre nous fait son petit cocktail personnel. La première composante concerne la production, les gens en parlent facilement. Seconde composante : la gestion des tâches. En cuma, il faut faire coïncider les tâches de chaque adhérent… pour aboutir à un planning commun des travaux. Les cuma y parviennent , mais ça devient de plus en plus difficile. A cause des contraintes réglementaires (de moins en moins de temps pour les épandages par exemple). Et de par la pression des nouvelles technologies, qui informent et orientent vers des fenêtres météo très ciblées et courtes (pour les traitements par exemple). Résultat : tout le monde veut travailler au plus vite sur des fenêtres météo plus resserrées. Troisième composante du travail : l’identité professionnelle et personnel que chaque individu y met (je veux du temps pour ma famille, je veux finir plus tôt le soir…). Cette dimension est la plus intime et la plus taboue. Dans certaines cuma, où les gens parlent librement entre eux, ces attentes sur le travail et le temps personnel sont mis sur la table. Mais ce n’est pas le cas partout et ça peut bloquer des projets, comme on l’a vu.

Entraid : Concrètement, comment aidez-vous les cuma confrontées à des adhérents pressés et exigeants ?

BB : En leur faisant prendre conscience qu’il peut suffire d’1 ou 2 heures pour que chaque adhérent évoque sa façon de voir les choses dans son travail. En les convaincant que c’est un point de départ essentiel avant de se lancer dans un projet. Prendre le temps que chacun s’exprime. Que chacun écoute les contraintes des autres (c’est rare). Après ce petit exercice, il devient moins périlleux de mettre en place un projet de groupe. Et qui durera. Je vous cite l’exemple réussi d’une cuma qui vient d’accueillir un nouvel administrateur… divorcé. Le conseil d’administration – au courant – a pris la décision de se réunir exclusivement les semaines où le nouvel animateur n’aura pas ses enfants en charge. C’est un détail en apparence, mais sa prise en compte change tout. Tout le monde y gagne : la cuma va garder ce nouvel administrateur ; le nouvel élu n’aura pas le casse-tête de la garde des enfants. D’où l’importance de mettre sur la table travail et vie extra-professionnelle : on adapte au mieux et on peut continuer à avancer plus durablement.

Entraid : Vous utilisez le photo-langage en cuma, pour faire parler sur le travail et la vie extra-professionnelle… Comment ça marche ?

BB : On étale une trentaine de photos (plutôt sur le travail) sur une table, chaque adhérent en choisi une, puis s’exprime sur son choix devant les autres. C’est un bon moyen de briser la glace. Chacun livre publiquement son ressenti sur le travail et la vie extra-professionnelle. Ça donne par exemple : «J’ai 50 ans je délègue tous mes travaux à la cuma, mais c’est lourd quand même» (…) «Moi, je voudrais aller chercher dans la simplification du travail» (…) «Avec la naissance de mon premier enfant, je voudrais plus de temps disponible» (…) «J’aime mon métier avec un bémol pour le dimanche» (…) «Je trouve que c’est toujours plus de travail pour gagner moins»… Il est important que les gens parlent de la façon dont ils vivent leur travail, leur système d’exploitation et leur vie extra-professionnelle. Car tout le monde se connaît, mais pas dans ces registres- là. Les mettre sur la table, c’est se donner une chance de mieux réussir à finaliser le projet et qu’il convienne à tous. C’est un exercice vraiment utile.

Entraid : Qui dans le mouvement cuma porte cette action sur le travail ?

BB : Nous voulons avancer sur la question du travail au sein du groupe mécanisation Cuma des Pays de la Loire. Il regroupe Philippe Coupard, directeur de l’Union Cuma 72 ; Gérard Pujols, animateur Cuma Union 49 ; Lydia Boudon, animatrice Cuma Union Cuma 44 ; Yvon Guittet, animateur Cuma Union Cuma 85. Les élus : Vincent Douillard, Union des Cuma 85, et Joël Besnard, 53. Marie-Christine Blondiau, de la Frcuma Ouest, assure la relation entre ce groupe et le groupe Frcuma Ouest Charges de mécanisation.

Pour en savoir plus : marie-christine.blondiau @Cuma.fr et benoit.bruchet@cuma.fr

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