Les subventions agricoles aident-elles vraiment les agriculteurs ?
Ou sont-elles davantage bénéfiques aux constructeurs et distributeurs de matériels agricoles ? Pour mieux comprendre comment fonctionnent ces subventions agricoles, nous avons interrogé deux éleveurs du réseau cuma qui ont accepté de débattre sur le sujet.
Des aides intéressantes
Pour Jérôme Arnaud : « les subventions aux investissements en matériels agricoles sont intéressantes pour les agriculteurs. On sait pertinemment que sur les 30 % d’aides en moyenne, concessionnaires et constructeurs se garderont 5 à 10 points de marge supplémentaire. Mais il y aura quand même 20 points, qui retomberont dans la poche de l’exploitant. Donc oui, c’est important malgré tout » précise t-il.
Pour son confrère Philippe Martinot : « Nous sommes conscients que, dès lors qu’il existe une aide de l’État pour accompagner un investissement, tous les matériaux ou les matériels concernés prennent immédiatement des augmentations bien supérieures à l’inflation. C’est valable pour les matériels agricoles comme les biens de consommation courante, comme dans le secteur de la rénovation énergétique par exemple ».
Ces subventions agricoles agissent comme des catalyseurs
L’éleveur des Deux-Sèvres poursuit : « elles permettent aux acheteurs de se diriger préférentiellement vers un type de technologie. Il s’agit en fait d’aides qui soutiennent une filière complète, de l’agriculteur à l’industriel. Dans ma cuma, nous avons investi dans un andaineur à tapis, pour lequel nous avons perçu une subvention impulsée par le Plan de relance, sur le volet «protéines». Il s’agit d’un matériel encore très cher. Mais qui a un réel impact pour préserver la valeur alimentaire des fourrages. Et donc garantir l’autonomie alimentaire des élevages. Nous n’aurions pas pu accéder à ce matériel sans la subvention agricole, et encore moins en tant qu’exploitant individuel, séparément ».
Peut-on rendre ces subventions agricoles plus efficaces ?
« Quand on soutient les investissements collectifs dans les cuma, on sait que l’argent public sera utilisé de manière efficace. D’abord parce qu’un matériel dans lequel investi une cuma profite à sept exploitations en moyenne, ce sont des chiffres que nous fait remonter notre réseau de terrain. Ensuite, parce que dans la plupart des programmes de soutiens régionaux aux investissements collectifs, impulsés par les fonds Feader, ces investissements doivent être couplés à un accompagnement, au-delà du matériel, et à un projet de groupe » explique Philippe Martinot.
Il poursuit : « investir dans un matériel parce qu’on a l’opportunité d’avoir une subvention agricole on peut s’en féliciter. Mais si le matériel n’est pas utilisé comme il se doit, on ne va rien optimiser. Et ce matériel risque de se retrouve dans une cour de ferme à être sous-exploité. Donc il est nécessaire, de mon point de vue, d’y associer un accompagnement de projet comme c’est le cas actuellement ».
Concernant l’efficacité des ces flux d’argent, Jérôme Arnaud, éleveur dans le Puy-de-Dôme partage l’avis de son confrère : « Je rejoins Philippe, il vaut mieux aider une dizaine d’exploitations qu’une seule, c’est du bon sens. Nous mettons aussi en avant le taux de résilience des exploitations en cuma : les fermes qui adhèrent à une cuma tiennent en moyenne mieux le choc, dans la durée, que les autres. En Auvergne-Rhône-Alpes, un critère consiste à octroyer la moitié des points nécessaires au dossier pour passer le stade de la sélection, aux groupes qui font l’effort de se mettre autour de la table pour raisonner leurs investissements, via un DiNA ou une formation. Le but est le même : soutenir des investissements bien pensés qui servent au plus grand nombre ».
Vous semblez plébisciter les aides des régions et de l’Europe, et les autres?
Le secrétaire général de la fncuma estime que « les aides Europe + Régions sont construites. On peut ne pas être d’accord avec une politique régionale. Mais ces aides sont le plus souvent sous-tendues par un projet politique cohérent, qui coïncide avec une vision de l’agriculture et des objectifs. Cela peut être la transition climatique, la performance environnementale, le fait de garder des exploitations économiquement performantes sur l’ensemble des territoires ruraux…».
Certains dispositifs servent davantage les filières de l’agroéquipement
« Ne nous méprenons pas » souligne Philippe Martinot : « le Plan de relance, dont les cuma ont bénéficié, a servi à des groupes qui avaient au préalable identifié leur besoin et réfléchi à leur projet. Il leur a permis d’accéder à des subventions agricoles élevées de manière bien plus rapide que les fonds régionaux et européens. Mais il a aussi prouvé sa capacité, via un fonctionnement «premier arrivé, premier servi», à générer des investissements opportunistes dans certaines cuma, dans les exploitations, sans réflexion sur les besoins. Des renouvellements accélérés, des machines d’appoint ou surdimensionnées par exemple ».
A son homologue de préciser : « Nous avons réussi, nous aussi, en travaillant avec les services de la Région, à construire un système de soutien aux investissements équilibré, avec deux priorités : les projets qui structurent les groupes et les territoires, et l’agroécologie. Le fonctionnement «premier arrivé, premier servi» n’a aucun sens si l’on souhaite appuyer des investissements utiles aux agriculteurs. Je suis aussi très mal à l’aise avec l’aide fiscale à l’achat de matériels agricoles. La fiscalité, je pense qu’il vaudrait mieux l’optimiser en employant un salarié, ou en construisant un bâtiment ergonomique en élevage ».
Quelles mesures proposez-vous pour rééquilibrer ces situations ?
Pour Philippe Martinot : « la fncuma propose de défiscaliser les investissements collectifs, jusqu’à 3 000 € par exploitant. Histoire de rééquilibrer la situation : pourquoi les investissements individuels ouvriraient le droit de défiscaliser, et pas les investissements collectifs ? Cela semblerait être une incitation à adhérer ou à s’engager davantage dans les cuma. Nous avons aussi proposé à Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, lors de son passage au Forum des fédérations de cuma, de s’engager sur le principe d’un diagnostic de mécanisation dès l’installation, pour sensibiliser sur cet aspect dès l’entrée dans le métier ».
« Le rêve d’un jeune agriculteur, ça reste quand même souvent de s’acheter son premier tracteur »
Le trésorier de la fncuma Auvergne Rhônes-Alpes, Jérôme Arnaud, estime que pour les jeunes agriculteurs, l’achat du premier tracteur est souvent primordiale. Son confrère ne le contredit pas mais ajoute que « les charges de mécanisation représentent 30 % des charges des exploitations. C’est une moyenne. Sur certaines exploitations, on est bien, bien au-delà. Cela va parfois jusqu’à plus 50 %. Il y a donc là un potentiel d’économies, et donc de revenus agricoles, à aller chercher. Jusqu’à présent, nous avons eu l’écoute du ministre sur ces sujets. Mais sans engagement concret jusqu’à présent. Ça n’est pas grave, nous remettrons l’ouvrage sur le métier ».
Un nouveau type d’aides se profile sur la planification écologique
« Au total, le ministère indique qu’il va débloquer 732 M€ pour l’agriculture, avec un objectif, celui de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur de 13 Mt/an » précise Philippe Martino. « Il a défini sept axes couplés à des enveloppes, dont certaines vont servir à aider des investissements en matériels. Il y a notamment des plans ‘Haies’ et ‘Protéines’, ainsi qu’une mesure sur les diagnostics. Ces soutiens aux investissements devraient en toute logique être soumis à des critères de réduction des GES. Là encore, les cuma ont de très gros atouts, sur le partage de la traction, la rationalisation de l’achat et de l’usage des machines, l’agroécologie, ou encore l’emploi partagé de chauffeurs formés aux réglages des machines. Le tout, c’est de ne pas se focaliser uniquement sur les machines, mais sur la manière dont on les utilise. C’est ce que nous appelons la mécanisation responsable ».
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