«Etes-vous satisfait de votre formation initiale?» Le détail des réponses à cette question simple, posée à des agriculteurs de tous âges, est riche en enseignements.
Formation: les matières jugées les plus utiles
Certes, les matières techniques ont la cote et chacun voit midi à sa porte. En outre, les éleveurs auraient souhaité avoir plus de ‘zoot’, les céréaliers avoir plus de phytopathologie et tous, davantage d’agronomie. Mais, c’est la grosse surprise de cette étude, ce sont les enseignements liés à l’économie et à la gestion d’entreprise qui remportent le plus de suffrages cumulés. En effet ils concernent tout le monde. Gestion et comptabilité ont été citées spontanément par 42% des répondants comme les matières les plus importantes pour leur activité professionnelle.
Ces matières arrivent en tête, quel que soit l’âge des répondants. Des profils d’âges qui correspondent dans les grandes lignes à ceux du lectorat d’Entraid et des agriculteurs en général en France. En revanche, en termes de formation, les agriculteurs répondants s’avèrent plus formés que la moyenne. Ce qui est tout à fait normal au vu de la question posée d’entrée de jeu.
L’analyse qualitative des réponses est aussi frappante: beaucoup soulignent que sans une bonne maîtrise initiale de ces aspects, point
de salut pour un agriculteur.
C’est l’un des résultats les plus frappants de cette étude. Car ces matières ne sont pas forcément celles qui sont plébiscitées par les étudiants. En effet, ces derniers se montrent souvent plus attirés par les matières ‘techniques’, concrètes.
Et le constat est très cohérent. Il est renforcé et enrichi par l’analyse des matières que ces agriculteurs auraient souhaité avoir dans leur emploi du temps à l’époque de leur formation, mais aussi les domaines investis dans le cadre de la formation continue.
Les coups de cœur pendant la formation initiale…
Entraid avait aussi choisi dans cette enquête d’interroger les agriculteurs sur leurs coups de cœur pendant cette formation initiale.
Et loin, loin devant, il y a l’‘ambiance’, citée par 35% des répondants! Certains racontent leurs meilleurs souvenirs, entre internat, bande de copains, rugby et voyages d’études. Un réseau d’amis et de collègues que beaucoup font vivre durant des décennies, et qu’ils ont manifestement plaisir à évoquer.
Les «profs» , qu’il s’agisse d’un enseignant en particulier, ou bien d’une équipe très mobilisée, viennent ensuite. Ils sont largement cités par les participants qui n’hésitent à évoquer Monsieur Untel, «toujours prêt à illustrer ses cours avec des exemples concrets et passionnants», «qui nous a ouvert l’esprit», ou «qui a développé notre esprit critique!». On le voit: un «prof» peut marquer une carrière à vie.
Dans la même veine, d’autres citent précisément la qualité de l’enseignement délivré dans leur établissement.
Enfin, et c’est le propre des établissements d’enseignement, pour la formation initiale, certains participants évoquent leur envol en dehors du nid familial, la prise d’autonomie et l’ouverture d’esprit qu’ils ont cultivée au contact d’élèves à la fois proches (souvent issus du milieu agricole), mais différents.
… et les «coups de gueule»
L’analyse des matières jugées comme ‘inutiles’, au regard de leur pratique professionnelle, et des ‘coups de gueule’ des agriculteurs répondants donne matière à réflexion. Première conclusion: avec le recul, de nombreux répondants jugent que ‘toutes les matières sont utiles’, même si elles ne le paraissent pas au premier abord, ou à la sortie de l’école. Oui, oui, même le sport et l’éducation socio-culturelle… qui reçoivent quand même quelques coups de griffes.
L’insatisfaction, même si elle est loin d’être systématique, provient davantage de la qualité de l’enseignement que de la matière. La gestion, l’agronomie et l’anglais sont cités par les participants comme des matières, pourtant utiles, pour lesquelles leurs enseignants n’ont pas toujours réussi à faire le lien avec leur future vie professionnelle.
Un manque d’ouverture d’esprit dans la formation?
Avec des cours jugés «peu approfondis», «trop théoriques», «décalés», «déconnectés de la réalité», certains profs n’ont pas laissé que de bons souvenirs aux agriculteurs. Attention à ne pas caricaturer; les répondants ont par ailleurs mis en lumière des enseignants et des équipes formidables dans leurs ‘coups de cœur’. Sans oublier que la formation d’une partie des répondants date de plusieurs dizaines d’années.
Au-delà des clivages idéologiques («trop de bio», «pas assez de bio», etc.), les répondants ont régulièrement souligné le «manque d’ouverture d’esprit» et une proximité parfois trop grande entre leur établissement et les organisations qui structurent la production agricole. Ce qu’ils ont parfois perçu comme la promotion d’un «modèle unique» de production. Là encore, attention à ne pas généraliser, eu égard au au décalage de référentiel qui peut exister entre des agriculteurs formés dans les années 1980 et d’autres en 2010.
Enfin, les répondants estiment que leur programme était sans doute trop approfondi dans certaines matières générales (mathématiques-statistiques, français, histoire-géo, philosophie…). Que certains savoirs ou techniques –dissertations, fonctions exponentielles, par exemple– ne leur amènent rien sur leurs exploitations.
Demandes de chefs d’entreprises
Il ne s’agit pas d’une demande d’allègement de l’enseignement, ou d’un manque d’ambition. Car lorsque l’on rapproche ces réponses de celles sur les sujets sur lesquels ils auraient aimé plancher, on comprend que les agriculteurs endossent avec volontarisme leur costume de chef d’entreprise. Et demandent des enseignements en adéquation avec leurs responsabilités.
Quels enseignements auraient-ils aimé avoir? Tout d’abord, des cours plus poussés dans les matières techniques. L’agronomie est de loin la discipline dans laquelle ils auraient aimé avoir des enseignements plus approfondis (toutes générations confondues), suivie par machinisme et les réglages, la phytotechnie et la santé animale.
La formation à l’agronomie, à la vie des sols, aux techniques agroécologiques, au bio et à la préservation de l’environnement font d’ailleurs partie d’une demande transversale, qui apparaît à tous les niveaux de l’enquête, sans distinction d’âge. Logique: la discipline en elle-même a énormément évolué ces dernières années. Elle fait d’ailleurs partie des sujets sur lesquels les agriculteurs en activité investissent dans le cadre de la formation continue.
Des besoins en commerce et gestion
Deuxième marche du podium pour un enseignement plus poussé en gestion et comptabilité. Avec des mentions insistantes quant à la maîtrise des charges et à la fiscalité. Ces matières, à l’inverse de l’agronomie, constituent de grands classiques. Mais les agriculteurs actifs aujourd’hui souhaitent clairement être mieux armés sur ces sujets.
Cette demande est talonnée par celle sur le commerce au sens large: compréhension des marchés et de la géopolitique de l’alimentation, des filières, des rapports de force, développement de la capacité à négocier, des compétences en marketing sont cités pêle-mêle, mais de façon très nette, par les répondants. On le voit: l’envie d’appréhender des sujets complexes est là, pour pouvoir prendre des décisions en ayant pleinement conscience des enjeux.
Très présents aussi parmi les sujets d’enseignement jugés utiles: l’organisation du travail et la gestion de la partie administrative et réglementaire des exploitations, parfois appuyée par une demande d’approfondissement sur la connaissance des rôles des administrations auxquelles les agriculteurs sont amenés à être confrontés.
Vient ensuite une demande d’enseignements plus poussés sur le management des salariés et la communication au sens large. Avec un accent net sur l’écoute et la capacité à s’exprimer, à convaincre à l’oral ou à l’écrit. Avec même un petit retour en grâce de l’orthographe, jugée «très utile»… Un classique parmi les classiques qui prend tout son sens à l’heure des mails et de la dématérialisation des échanges.
Assez formés?
Mais, au-delà des souhaits de ceux qui ont suivi ces formations initiales, les agriculteurs français sont-ils globalement assez formés? Une partie de la réponse nous parvient par le biais du recensement agricole.
L’agroéconomiste Jean-Marie-Séronie note par exemple, à la lecture des pré-résultats publiés en décembre 2021, que «17% des agriculteurs de moins de 40 ans n’ont pas le bac, 40% juste le bac et 43% un diplôme supérieur. Cela veut dire que dans un monde en mouvement rapide […] plus de la moitié des jeunes chefs d’exploitation agricole ont arrêté leurs études au bac», souligne-t-il.
L’agriculture est en outre un secteur d’activité stratégique, à la croisée des productions alimentaires et énergétiques, soumis à des contraintes de plus en plus fortes.
En toute logique, au vu de la technicité du métier d’agriculteur et des spécificités de chaque parcours, la formation continue fait partie de la vie professionnelle d’une majorité d’agriculteurs.
Sur l’échantillon des répondants à cette enquête (il est vrai, déjà sensibilisé à la question de la formation), quasiment les trois-quarts (73,75%) indiquent avoir recours à des séquences de formation continue.
Autoformation
Certains, répondant par la négative, indiquent néanmoins qu’ils s’informent par eux-mêmes, par des lectures, l’observation et expérimentation, sur les sujets qui les intéressent. Et là encore, lorsqu’ils évoquent les sujets sur lesquels ils se forment en premier lieu, la gestion et la comptabilité l’emportent haut-la-main. C’est l’item le plus fréquemment cité par les répondants, quasiment 40% d’entre eux.
Il est intéressant de constater que les répondants se forment rarement sur un seul aspects. Ils citent en moyenne trois à quatre thèmes sur lesquels ils choisissent de s’investir.
Les matériels et les outils constituent le second thème de formation continue. Thème talonné par le binôme droit-règlementation, après lequel s’inscrit la thématique commerce-marchés-débouchés.
À noter: cette question faisait l’objet de suggestions de réponses. L’agronomie, les techniques d’élevage (dont le pâturage et l’autonomie alimentaire) ainsi que les médecines alternatives pour les animaux ont été fréquemment ajoutés spontanément par les répondants et ont donc été ajoutés à cette liste.
Plusieurs répondants soulignent aussi l’importance des groupes de développement du type Ceta dans ce processus de formation continue.
La méthode utilisée
Cette étude a été menée entre novembre et décembre 2021, sur internet. Environ 400 personnes ont répondu, se déclarant agriculteurs, sur la base du volontariat. La plupart des questions appelaient des réponses ouvertes afin que les participants puissent s’exprimer au maximum sur leur expérience de formation et ce qu’ils en retirent au quotidien dans leur travail d’agriculteur. Le biais: des lecteurs forcément proactifs, en recherche d’informations sur internet et qui souhaitent s’exprimer sur leur formation.
Enfin, à lire également:
L’évolution des compétences par la formation.