Les constructeurs d’engins lourds cherchent à mieux répartir la pression au sol en jouant sur la géométrie des essieux et la disposition des roues. On a vu les gros automoteurs d’épandage comme les Terragator, puis les récolteuses de betteraves, adopter la marche en crabe. Ainsi, les roues arrière passent à côté de la trace des roues avant et non dedans. Autre solution : disposer quatre roues côte à côte sur un même essieu au lieu que sur un double essieu classique. C’était le « train rouleur » sur épandeur à fumier chez Rock dans les années 80. C’est aujourd’hui la tonne à lisier Tetrax2 chez Joskin (non homologuée pour le transport sur route). Troisième réponse : l’essieu télescopique, qu’on peut voir par exemple sur les automoteurs Vervaet ou les tonnes Samson. Sur un ensemble de deux essieux associés, le premier est télescopique afin que, au champ, les roues s’écartent. Ainsi, le deuxième train de roues ne repasse pas là où est passé le premier.
Observer le sol
Ces solutions réduisent effectivement la profondeur de l’ornière, mais attention, comme l’explique Pierre Havard, directeur de la Station des Cormiers (Chambres d’agriculture de Bretagne) : « Sur un ensemble classique de deux essieux, des recherches finlandaises ont montré que l’impact du second sera environ la moitié de celui du premier. Mais on sait aussi que la compaction s’étend d’autant plus en profondeur que la charge à l’essieu est élevée même si le pneu est large. Plus un pneu est large moins la terre peut s’échapper sur les côtés. On ne voit pas d’ornières mais il se crée des déformations du sol dirigées vers le bas. En mauvaises conditions, sur un sol fragile, elle est inévitable quel que soit le système, et difficile à réparer. Dans ce cas, il vaut peut-être mieux une compaction localisée sur un seul passage que de doubler la surface des traces». Il conclut : « Toute la difficulté pour l’agriculteur réside dans le repérage de ce moment où répartir la charge sur le sol avec un essieu télescopique ou une mise en crabe ne fait que multiplier les dégâts ».
Mois de rendement avec le jumelage !
L’agronome Yvan Gautronneau avait illustré ce raisonnement lors d’un débat avec Entraid’ en 1999 : « J’ai eu l’occasion de réaliser un comparatif entre un chantier de semis effectué avec un tracteur ordinaire et un autre effectué avec jumelage et tasse avant, mais en conditions humides. C’est sur la parcelle avec jumelage et tasse avant que le rendement a été le plus faible ». En effet, dans ces conditions d’humidité élevée, les dégâts étaient inévitables avec n’importe quel pneumatique, quelle que soit la pression appliquée au sol. Du coup, la surface endommagée s’est trouvée plus grande avec le tracteur a priori bien équipé. Ce qu’un autre agronome, Guy Richard, confirmait à l’époque en parlant des engins à marche en crabe : « Si vous les utilisez en mauvaises conditions, on pourrait dire en caricaturant que votre champ ne sera plus qu’une grande ornière ».
L’effet barbotins
En ce qui concerne les chenilles, leurs défenseurs ont tendance à calculer la pression qu’elles infligent au sol comme si la chenille avait une surface homogène. Or ce n’est pas si simple. En 2013, Johan Arvidsson, de l’Université des sciences agricoles d’Uppsala (Suède) et Thomas Keller, d’Agroscope (Suisse), ont comparé la pression dans le sol à trois profondeurs : 15, 30 et 50 cm, sous différents engins. Les roues jumelées ont réduit la pression d’environ la moitié, comparé à des roues simples. Logique. Même réduction, en moyenne, avec les chenilles. Par contre, sous un tracteur à quatre chenilles, des pics ont été observés sous les petits barbotins du milieu. Sous un autre tracteur à deux chenilles, les chercheurs ont également observé que la pression se déplaçait d’avant en arrière sous l’effet de la traction. Conclusion : elle n’est pas aussi uniforme qu’on voudrait le croire.