Les premiers signes sont survenus au cours de conversations en fin de printemps 2023. Une période de grande tension durant laquelle les associations autorisées (ASA) ont été soumises à des restrictions drastiques pendant plusieurs semaines. Dans les stations fruitières, les abricots, premier fruit à arriver sur le marché, manquaient de calibre, faute d’avoir été suffisamment arrosé. Par contre, la qualité, elle, avait progressé, les fruits étaient plus fermes, moins fragiles. Retour sur les conséquences de la sécheresse dans les Pyrénées-Orientales sur les producteurs d’abricots.
Sécheresse dans les Pyrénées-Orientales : davantage de fruits avec le stress… jusqu’à un certain point
La suite, c’est Pierre Battle qui la raconte. Il gère une exploitation fruitière d’environ 250 hectares de vergers disséminés dans la plaine du Roussillon, avec des serres. Le tout aliment Ille Roussillon, l’un des plus importants expéditeurs des Pyrénées-Orientales, dirigé par son frère Julien. L’entreprise fête cette année ses 100 ans.
« C’est assez paradoxal ! Les arbres en situation de stress sont capables de produire en belle quantité. Ce sont des reproducteurs, ils se sentent menacés et font donc font plus de fruits », relève-t-il. Faire des économies d’eau ne revient cependant pas à jouer avec le robinet en l’ouvrant un peu moins. C’est bien une approche globale qui permet, point par point, au sol, dans l’arbre, dans le calendrier, d’accumuler les petites économies qui finissent par être conséquentes.
Irrigation : accompagnement précoce des arbres fruitiers
Il y a d’abord les apports d’eau. « Ce qu’on a appris au cours de cet épisode terrible que nous traversons, c’est qu’il est plus profitable d’accompagner la plante en amenant un peu d’eau très tôt en saison, en février ou mars que d’attendre les premières températures un peu élevées comme on le fait habituellement » explique l’arboriculteur.
Historiquement, et pour des raisons de tarification d’électricité, la saison d’irrigation des réseaux sous pression gérés par les ASA débute le 1ᵉʳ avril. C’est à cette date que les irrigations commençaient. Pour l’agriculteur, « ces deux dernières années où le stress hydrique a été majeur, nous avons eu des accroches exceptionnelles et du volume dans les fruits. »
Il continue : « je suis aussi persuadé qu’on peut envisager de réduire l’irrigation en juillet et en août, je pense qu’on peut, peut-être, économiser 20 % de la consommation d’eau. À ce stade, le calibre des fruits est fait. On peut par exemple couper l’irrigation 10 jours avant la récolte, parce que toute eau amenée au dernier moment peut asphyxier l’arbre. »
Travail du sol indispensable pour les économies d’eau
Mais jouer avec le robinet ne peut s’envisager sans les autres actions. Le travail du sol par exemple. Il n’y a pas de problématique matière organique dans les vergers car les taux sont largement au-dessus de deux. Il faut, tout de même, réaliser des profils de sol régulièrement. L’entreprise a initié récemment des comptages de vers de terre. Dans les vergers, la terre est travaillée sous le rang, au pied des arbres.
« Cela nous a permis de supprimer 90 % du glyphosate. En plus, cela oblige l’arbre à s’enraciner plus profond, lui permettant d’aller chercher de l’humidité en profondeur au lieu de laisser ses racines s’étaler en surface », relate Pierre Battle. Le travail de la terre sous le rang a aussi pour vertu de laisser la terre meuble. Cela limite le ruissellement et de faciliter l’infiltration de l’eau dans le sol quand il pleut.
« Nous broyons les résidus de tailles qui sont éjectés au pied des arbres pour faire un paillage. Cela limite l’évaporation et la pousse de l’herbe. » Il réfléchit désormais à broyer l’ensemble des arbres une fois arrachés. Le but : rendre la matière organique au sol plutôt de les brûler.
Le levier de la tech contre la sécheresse dans les Pyrénées-Orientales
L’autre levier actionné, c’est la technologie. Les systèmes de goutte-à-goutte, les sondes, les stations météo… « Nous déployons actuellement sur les nouveaux vergers des systèmes de goutte-à-goutte à double rampe à faible débit. Ils sont enterrés et doivent nous permettre d’aller chercher 4 à 5 % d’économie d’eau en plus. C’est un système plus onéreux, mais si nous économisons l’eau, ce sont aussi des économies d’énergie qui sont réalisées » explique-t-il.
La gestion se fait aussi de plus en plus finement. « Les vergers sont dans des contextes pédoclimatiques qui peuvent être très différents, il y a une grande variabilité de sols qui réagissent différemment.
Nous utilisons des modèles de gestion climatique par site pour être au plus près des besoins des arbres. Et aujourd’hui, par chance, on peut gérer ça avec un smartphone, cela nous fait gagner facilement deux ou trois heures par journée puisqu’on n’a plus à se déplacer pour manœuvrer les électrovannes ! »
Irrigation : beau potentiel d’économies à l’avenir
La grande leçon ? Les arrosages précoces, même en faible quantité, ont un impact important sur la production des arbres. « Avec toutes ces adaptations possibles, on doit admettre que ce qui était vrai il y a 30 ans ne l’est plus aujourd’hui. Si nous savons économiser 20 % de la consommation d’eau en 2024, on peut ambitionner d’atteindre 35 ou 40 % » explique-t-il.
Il tient toutefois à ajouter une précision majeure. « Je décris tout cela, mais mes systèmes d’irrigation sont branchés sur des forages. Autour de moi, il y a des producteurs qui n’ont pas eu d’eau du tout, qui n’ont pas pu arroser et se trouvent aujourd’hui dans des situations dramatiques. Tout ceci donne des résultats, mais il faut quand même de l’eau. »
Filets : des économies inattendues
Un peu plus loin, lorsque Julien Rous, arboriculteur bio à Corbères-Les-Cabanes, a installé son filet sur une petite partie de son verger, il ne s’attendait pas forcément aux résultats obtenus. Le filet, c’était surtout pour empêcher les pucerons d’entrer dans le verger et d’y inoculer la sharka, maladie qui décime les pêchers.
Et l’affaire a bien fonctionné, il n’a plus coupé un arbre sous la protection des filets depuis six ans quand la maladie prélève 3 % des arbres à l’air libre. Mais ce filet « insect-proof » aux mailles de 0,85 x 0,85 millimètre installé à 4,5 mètres de hauteur, a aussi eu un effet majeur sur la consommation en eau puisqu’il limite grandement l’évaporation. « Cela m’a permis de réduire la consommation d’eau de 23 % jusqu’à maintenant et je continue dans cette voie avec pour objectif d’atteindre 30 %. »
Et cela sans impact sur le rendement des arbres dont il est obligé de dompter la vigueur, en serrant les apports d’eau ! « Sous le filet, il y a une progression importante du calibre par rapport au plein air, j’ai en moyenne une proportion de 80 % de calibre A, voire AA quand le marché bio n’est pas friand de ces gros fruits. »
Contexte de sécheresse dans les Pyrénées-Orientales : trois années malheureusement exceptionnelles
Depuis le dernier épisode méditerranéen de sécheresse de janvier 2020, la tempête Gloria et son cortège de dégâts, les Pyrénées-Orientales sont au régime plus que sec.
En 2022 et 2023 il est tombé autour de 250 mm par an, soit la moitié de la pluviométrie habituelle. 2024 a un peu mieux commencé avec environ 250 mm en huit mois, mais la nature a beaucoup souffert, jusqu’à la vigne.
Dans la zone la plus touchée un triangle compris entre Perpignan, Espira de l’Agly et Narbonne, certains arbres n’ont plus été arrosés depuis deux ans, les vergers d’abricotiers sèchent sur place. On estime entre 10 et 15 % les mortalités dans les vignobles en sec.
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