Le terme «agilité» fait réagir Christian Huyghe.Pour le directeur scientifique adjoint Agriculture de l’Inra , «c’est un terme qui vient d’ailleurs. On l’a beaucoup utilisé pour les start ups, qui sont caractérisées par des coûts d’infrastructures très bas. On a du mal à voir ça sur une exploitation agricole, où c’est plutôt l’inverse». Il identifie pourtant précisément les risques que courent les exploitations qui se cantonneraient à une production de maïs en système dit «intensif»: «D’abord le risque lié au marché. En monoculture, ils sont exposés à des prix des matières agricoles volatiles. Ils s’en sont toujours sortis jusqu’ici, les DPU jouaient pour eux, et ils continuent. Mais les systèmes en monoculture sont logiquement plus exposés aux aléas que les systèmes complexes. Ensuite, viennent les formes de contraintes environnementales. Aujourd’hui, les maïsiculteurs ne sont pas trop menacés par l’écoconditionnalité, mais ils sont face à des formes d’impasses, au-delà du cul-de-sac réglementaire lié aux phytos, dues au fait que les flores adventices se spécialisent et deviennent difficiles à maîtriser: la course aux molécules herbicides est en train de se ralentir, sous l’effet de la réglementation, mais aussi par épuisement des possibilités de la chimie de synthèse et la non-découverte de nouveaux modes d’action.»
Se connaître
Des entreprises fragilisées financièrement et techniquement, c’est aussi ce que craignent l’AGPM et Maïsadour, avec pour conséquence une perte de compétitivité de la filière. Une option inenvisageable à l’heure où la concurrence internationale s’exacerbe (voir:«Aux sources de la volatilité »). Alors que faire? Métaphore sportive de Michel Prugue, président de Maïsadour (et de Coop de France) : «Pour devenir agile, il faut connaître ses forces, ses limites, mais aussi s’entraîner»… avant de partir sur le terrain de la compétition.
Les experts se rejoignent sur la nécessité pour les maïsiculteurs d’évaluer finement leurs coûts et leur potentiel de production (liés aux sols). Michel Prugue insiste aussi sur la connaissance de ses charges opérationnelles et des charges de structure tandis que Matthieu Çaldumbide, de l’AGPM, souligne les carences actuelles en termes d’estimations liées au travail, à la mécanisation et à l’irrigation.
Pourquoi c’est important?
D’abord pour pouvoir déterminer un seuil de commercialisation réaliste car «même depuis 4 ans, l’année comporte toujours une période pendant laquelle le maïs peut s’écouler au-delà des prix de production», analyse Matthieu Çaldumbide. Pour saisir les opportunités et quelle que soit la stratégie poursuivie (sécurisation ou prise de risque), les producteurs doivent connaître au mieux leur propre seuil de commercialisation. Ensuite, pour identifier les marges de manœuvre ou de progression (voir « Plus de muscle »), éventuellement à l’aide d’outils. L’AGPM travaille par exemple avec Arvalis sur ce thème. «Dans les mois à venir, reste un travail important à fournir de la part des coopératives, des centres de gestion, voire des chambres d’agriculture, pour continuer à analyser dans chaque exploitation quels sont les leviers d’amélioration de la performance, pour traiter les difficultés voire les anticiper», annonce de son côté Michel Prugue.
Moins de gras…
Comment mieux maîtriser ses intrants, ses facteurs de production? Pour Michel Prugue, «on peut parler du sans-labour, qui devrait nous permettre de répondre à l’attente politique du stockage du carbone. On peut imaginer l’évolution avec les intercultures et peut-être le semis sous couvert végétal, pour la protection des sols et la maîtrise des adventices, éventuellement de limiter les apports extérieurs d’azote. Réduction des intrants, meilleure utilisation du potentiel agronomique des sols, biocontrôle: tout cela n’est possible que si la réglementation nous permet d’expérimenter, d’envoyer aux entreprises le signal que ce marché va s’ouvrir et que nous ayons le temps de faire les expériences nécessaires pour ne pas mettre l’agriculteur en situation de risque. Les expérimentations faites par les agriculteurs sont régulièrement mises en avant (voir Entraid septembre 2016, ndlr) mais on ne peut pas diffuser des techniques si on n’a pas évalué leur robustesse, et sans évaluer les risques pour les agriculteurs. C’est moins médiatisé, mais les coopératives et leurs partenaires fournissent un travail important et constant en ce sens pour pouvoir répondre aux questions.»
Sur les charges de mécanisation, les analyses se rejoignent. «Si elles restent liées à la structure de l’exploitation, il existe encore de belles marges à aller chercher», souligne Matthieu Çaldumbide, de l’AGPM. Difficile toutefois d’être catégorique : «Cette marge dépend beaucoup de la structure de l’exploitation. Elle est conditionnée par l’étroitesse des fenêtres climatiques et par les types de sols travaillés. Le poste le plus évident serait la grosse traction. L’optimisation du travail du sol coûte beaucoup. Toutefois, certaines exploitations ont peu de marges de manœuvre dans ce domaine», nuance-t-il encore. Un angle d’attaque peu exploré aujourd’hui : le séchage, «un réel sujet en maïs» selon l’expert de l’AGPM. «La France est le pays où les charges de séchage sont les plus élevées, car on récolte humide. Le delta avec certains de nos concurrents peut aller jusqu’à 15-20€/t. Eux récoltent très sec et ont accès à une énergie moins chère. Le levier: en amont de l’opération de séchage, intégrer des variétés plus précoces, continuer à semer plus tôt. L’optimisation des dates de semis est d’ailleurs un élément clé de la réussite», précise-t-il.
…et plus de muscles
La création de valeur ajoutée ravive l’éternelle devise : «aller chercher les quintaux». Classique, mais essentiel pour Matthieu Çaldumbide: «Sur ce point, les pays concurrents grignotent l’avance française à grands renforts de technologie et de capitaux. Il ne faut pas baisser la garde, d’autant plus que ces concurrents ont globalement un avantage compétitif» (voir: « Aux sources de la volatilité »). Il enjoint donc les maïsiculteurs à continuer à valoriser le potentiel génétique de la plante la plus produite au monde et sur lequel se concentre le plus gros effort de recherche, aujourd’hui axé sur les écueils de la protection des cultures, de l’irrigation et du développement du rendement en conditions limitantes. Ce que confirme Michel Prugue: «Il faut, individuellement et collectivement, se donner les moyens d’accéder aux nouvelles technologies en termes de génétique et d’équipement, à la fois sur le plan de la formation et de l’investissement. Il faut anticiper à 2, 5, 10ans.»
Agir sur la culture, mais aussi entre les cultures: voici ce que préconise de son côté Christian Huyghe. «On a besoin de diversifier les successions culturales, pour des raisons environnementales, mais aussi économiques. Pendant longtemps, on a préconisé la diversification à tout prix, avec des cultures à moindre valeur ajoutée, dans des zones où le maïs donne des rendements énormes. Il faut « diversifier la diversification ». Il faut imaginer les services que peuvent rendre les cultures intermédiaires. Imaginer aussi la possibilité de deux cultures par an ou trois cultures en deux ans.» Il cite les cultures de carotte ou bien de colza semence dans le nord du Médoc, dotées de valeurs ajoutées très élevées. «Quand vous faites ça, vous adaptez les deux cultures l’une par rapport à l’autre. Ces maïs ont des cycles très différents, pour pouvoir insérer l’autre culture.» Le tout sur des exploitations qui vont bien: «En termes de revenus, c’est parfois le maïs qui devient une seconde culture!»
Compétition
Autre domaine à explorer: les marchés existants. Qui dit «valeur ajoutée importante» dit souvent «cahier des charges contraignant». Des marchés sur lesquels «les coopératives sont bien placées pour accompagner les agriculteurs, tant du point de vue de la compréhension que de la réglementation», met en avant Michel Prugue, citant les marchés de la chimie verte, des semences et des légumes. «Nous pratiquons déjà ce que préconise l’agroécologie», souligne-t-il. Christian Huyghe observe pour sa part «des formes d’organisation de marchés courts par exemple dans les zones de gavage d’oies ou de palmipèdes. Et où on a des capacités, en organisant les marchés, à avoir de fortes valorisations. Ce qui change dans l’organisation, c’est la capacité qu’on a à les organiser via les systèmes numériques. Il y a aussi des gains d’agilité à dégager du lien à son aval de l’exploitation: profiter de la capacité des coopératives et des négoces à générer de la valeur ajoutée par la transformation pour se dégager du revenu… donc des degrés de liberté.»
Conséquences de toutes ces préconisations? «Les agriculteurs sont obligés de devenir incroyablement techniques», analyse Christian Huyghe. «La raison première de l’avènement de la monoculture de maïs a été la réduction de la charge mentale des agriculteurs. Et c’est normal: avec l’aversion au risque, ce sont les deux caractéristiques de tout acteur économique. Aujourd’hui, poursuit-il, on voit que la source d’agilité, c’est de mettre de l’innovation à tous les étages. On en introduit beaucoup, de la conception du système, à sa conduite, à l’infrastructure de l’exploitation et son aval. Les systèmes deviennent gourmands en savoir, en formation et en accompagnement, et c’est une forme de virage à 180 degrés.» Pour Michel Prugue, «l’agriculture, depuis toujours, a montré sa capacité à s’adapter et à innover. Mais depuis l’entrée en vigueur du principe de précaution dans la Constitution, et la capacité à interdire par avance l’innovation, la dynamique qui a permis de porter l’agriculture française dans les premières places mondiales s’étiole et de ce fait, anesthésie la liberté d’entreprendre».
Simplifier la complexité
Davantage d’innovation, davantage de barrières aussi: beaucoup de maïsiculteurs relèvent ces défis et certains, avec plaisir d’ailleurs. Par contre, relève le directeur scientifique adjoint de l’Inra, «pour que les changements se propagent à grande échelle, il faudra « emballer » toute cette complexité, la rendre non-douloureuse, à l’image des smartphones: des monstres de technologie dans des outils d’une extrême simplicité. Ceci signifie d’intégrer cela dans la conception, d’accompagner ces évolutions avec des outils d’aide à la décision calibrés en ce sens, ou encore utiliser les moyens offerts par les capteurs».
Sans oublier de manier les leviers qui facilitent la transition des pratiques: la formation initiale, des formations continues davantage tournées vers la pratique, le travail de groupe en essayant d’inclure un maximum de personnes réceptives au changement. Voilà pour le terrain. Les organisations professionnelles, quant à elles, se battent pour que la filière puisse disposer de mesures plus adaptées à ce nouveau contexte, à la fois aux niveaux fiscal, assurantiel mais aussi de la future Pac. Reste une question de fond, soulevée par Matthieu Çaldumbide, de l’AGPM: «A l’échelle européenne, il s’agit d’une orientation politique très importante: quelles est la stratégie de l’Union? Une stratégie de consommateurs, c’est-à-dire des produits au moins cher, ou bien une stratégie de producteurs, visant l’autosuffisance sur un territoire?»
Aux sources de la volatilité
Outre les aléas climatiques, les maïsiculteurs, et les céréaliers dans leur ensemble, doivent faire face à des marchés de plus en plus imprévisibles. «On était habitué à avoir des concurrences avec le Brésil, l’Argentine et les Etats-Unis, analyse Michel Prugue. Et là, on a l’Ukraine et la Russie notamment, qui sont des compétiteurs redoutables, en particulier sur nos marchés de proximité comme l’Espagne, avec des équipements portuaires qui font qu’en fonction des prix de la céréale et des coûts du fret, ils peuvent être beaucoup plus compétitifs que nous. Au niveau politique, l’évolution de la Pac a fait voler en éclats tous nos systèmes de régulation et de protection. On est davantage en prise avec le marché et d’autre part, nous avons récupéré de la complexité. On ne va pas revenir au verdissement de la Pac. Ce ne sont pas forcément les décisions de Bruxelles, mais l’inadaptation des engagements de l’Etat français qui renvoie la contrainte vers les agriculteurs. Dernier point, sur cette complexité, il y a eu le partage de responsabilités entre les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture en particulier sur les facteurs de production comme l’eau.»
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