Deux générations de cumistes cohabitent autour de la table, accompagnés par deux observateurs: leur prestataire mécanicien et une journaliste d’Entraid’. La discussion, franche et conviviale, permet de comprendre le fonctionnement et l’évolution de la cuma de la Haute Vallée du Crieu au cours des trois décennies sur lesquelles elle a été active.
Les Ariégeois plaisantent souvent sur l’isolement du département, son supposé retard. Mais combien de « petites » cuma peuvent se targuer d’avoir fait travailler un salarié dès 1995? Autre sujet important, évoqué depuis trente ans: la création d’un groupe tracteur. Michel Marty et Christian Derramond, en tant que fondateurs de la cuma, ont bien essayé de le mettre au point, en vain. Matériels performants, salarié, traction, délégation: ils ont tenté d’équilibrer cette équation complexe au fil des années.
«On avait bien compris qu’il fallait vivre comme tout le monde», résument-ils. Interrogés sur ce point, ils évoquent leurs épouses, dont les activités professionnelles se situent en dehors de l’exploitation, et le besoin d’équilibrer temps de travail et temps personnel.
Pères et fils
Cet équilibre a conduit leurs fils à s’installer et à reprendre la cuma à leur suite, à l’occasion du départ du trésorier, qui s’occupait de toute la partie administrative. Dans la vision de cette nouvelle génération, beaucoup d’éléments convergent avec celle de leurs pères.
Même si les plus jeunes se penchent bien davantage sur les chiffres. «Nos pères ne comptaient pas. Ils avaient un trésorier qui gérait « tout ça », et tant que tout fonctionnait, personne n’allait y mettre le nez», résument Mickaël Derramond et Marc Marty.
«C’est tout à fait ça, acquiescent leurs pères. Nous avons créé la cuma car elle nous permettait, à travers la mutualisation et les subventions, d’acquérir des matériel beaucoup plus performants que ce que nous aurions pu avoir individuellement. Pour les chiffres, on n’y regardait pas trop. On voyait le débit de chantier, le confort, la performance, à des tarifs accessibles.»
Une gestion différente à cuma de la Haute Vallée du Crieu
La nouvelle génération gère un peu différemment: «nous avons commencé par tout remettre à plat, le capital social, les impayés, etc. Nous sommes en ligne avec ce qu’avaient construit les parents, sur le fait que la cuma est là essentiellement pour s’entraider: ceux qui vont bien ‘tirent’ les autres vers le haut, la cuma permet de temporiser les problèmes de trésorerie lorsqu’ils sont ponctuels.»
Ce qu’illustre Michel Marty: «à un moment, j’ai eu un souci sur mon exploitation, j’ai dû me séparer de mon associé. J’étais heureux de trouver la cuma, qui m’a permis de rétablir la situation.»
«Notre premier chantier, pendant quelques années, reprennent Mickaël Derramond et Marc Marty, a été de mettre en place un système comptable le plus équilibré et avantageux possible pour les adhérents», pointent les jeunes, ce qui fait sourire leurs pères. «Nous-même étions ‘tenus’ par nos parents. Nos enfants, on les a laissés faire. Ils ont des caractères forts.»
« On ne va pas s’engueuler pour de la casse »
Michel de Roeck, mécanicien prestataire, mais également agriculteur, connaît bien le fonctionnement de la cuma, et celui d’autres groupes. «Les responsables, dans cette cuma, assument de poser un cadre ; et c’est ce qui permet au groupe de fonctionner», apprécie-t-il.
«Nous avons toujours maintenu la réunion mensuelle», soulignent les fondateurs de la cuma, «même si ça discute fort, si les murs tremblent de temps en temps (lire l’encadré ci-contre). Un cadre oui, mais pour perdurer, il faut rester souple.»
En témoignent le fonctionnement autour de l’entretien des matériels. «On ne va pas commencer à s’engueuler parce que quelqu’un casse. On n’est pas maniaques, et si c’est dit, tout va bien. C’est aussi pour ça qu’il y a un responsable du planning.»
«Le mécano facture, je refacture s’il y a lieu de le faire, on tient aussi compte de l’usure des matériels, détaille Mickaël Derramond. On considère que les matériels de la cuma, ce sont les nôtres. Ce n’est pas toujours acquis, admet le jeune responsable. C’est ce qui reste le plus difficile à faire comprendre aux adhérents, et pas seulement aux nouveaux.»
Car de nouveaux adhérents, il y en a: «nous étions onze il y a deux ans, aujourd’hui nous sommes quinze adhérents actifs. Ces nouveaux adhérents sont de petits utilisateurs, ils adhèrent pour les bétaillères, le véhicule frigo, le télescopique…»
Zoom sur l’activité Fenaison de la cuma de la Haute Vallée du Crieu
L’activité fenaison résume à elle seule la continuité et les changements impulsés par les trentenaires: l’analyse des chiffres certes, mais toujours au service du confort et de la performance.
«Nous avions trois andaineurs et une conditionneuse, pas de faneuse. Et nous étions en copropriété pour les faucheuses avant et arrière. Puis un adhérent céréalier s’est mis à faire des brebis laitières, ce qui a amené un paquet d’hectares de fenaison en plus. Sur nos exploitations, ça évolue aussi, explique Mickaël Derramond. On faisait de tout, ce qui s’appelait de la polyculture élevage. Maintenant, nous portons des élevages d’herbivores spécialisés.»
«Avec ce système mixte de fenaison, on arrivait à des coûts trop élevés. L’entretien, la casse, pesaient. S’est posée la question de tout renouveler, et donc on l’a fait, mais en cuma. Au global, le matériel nous coûte 30% de moins, avec une benne de plus.» Ce qui a permis au groupe d’investir pour le même prix dans deux bétaillères et un parc de contention supplémentaires. La performance et le confort, à prix maîtrisé: l’équation de départ est donc toujours la même.
Même vision pour le camion frigo: «nous en avions un, qui avait dû coûter 1.500 €. Toujours en panne, on savait quand on partait, mais jamais quand on arrivait. Finalement, nous avons décidé de réinvestir dans un neuf. 25.000 € d’investissement certes, mais les adhérents ont plaisir à le conduire, et surtout il est fiable. Au final, ce coût va s’amortir tranquillement.»
Des projets à venir
Tout n’est pas terminé pour autant à la cuma de la Haute Vallée du Crieu. Le projet de groupe tracteur est dans toutes les têtes. Là encore, la fenaison est déterminante. «Quand on regarde les choses objectivement, il n’y a pas de problème majeur à tout faire en commun, observent les jeunes responsables. Même avec des exploitations excentrées. ll suffirait d’une communication un peu plus fluide, d’un tout petit plus d’anticipation, et d’un tracteur dédié qu’il n’y aurait pas besoin de dételer…» Rien d’infaisable à leurs yeux. «Donnez-nous quelques années, et on y sera.»
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