Comment appréhender le renouvellement des générations dans les cuma? Illustrations à travers les témoignages des cuma du Puy, de Queyrel, du Drac, Rey d’Agneou, de Saint-Marc et de Reillanne.
1 / Témoignage de la cuma du Puy (05): retrouver les bases
Des adhérents qui paient quand ils le peuvent, du matériel rendu hors délai, l’organisation de la cuma du Puy avait selon son nouveau président besoin d’être rationalisée. Une mission que Yoan Rochas, 31 ans, assume pleinement. «Quand je suis arrivé à la présidence de la cuma au printemps 2019, nous étions 30 adhérents. Nous avons tout remis à jour. Nous avons créé un règlement intérieur, mis en place des indemnités de retard, actualisé les paiements, pris une assurance pour le matériel. Aujourd’hui, nous sommes 25 adhérents actifs.»
Un grand ménage, nécessaire selon lui, qui n’a pas manqué de générer des tensions. «C’est un rôle difficile mais ça ne me déplaît pas. J’essaie de rester le plus neutre possible. Mon principal travail est que chacun prenne ses responsabilités. Malgré les incompréhensions du début je pense qu’au final tout le monde est satisfait de cette nouvelle organisation».
Un avenir incertain pour le renouvellement des générations
Avec 25 adhérents et plus de 54 machines agricoles, la cuma du Puy est probablement l’un des plus importantes des Hautes-Alpes mais Yoan Rochas s’inquiète pour sa pérennité, faute de reprise des exploitations par les plus jeunes. Un manque d’engouement? Non un manque de terres disponibles. «La cuma vieillit. Avant 2005, nous achetions en moyenne 5 machines par an. Depuis 2012, nous enregistrons une baisse des investissements. Le dernier, un rouleau, remonte à 2018. Cette dynamique est le reflet de la conjoncture locale.
Comment acheter du matériel agricole quand on n’a pas accès aux terres? Les anciens partent à la retraite, mais ils gardent leurs terres. Ils conservent une activité agricole minimale, donc ils touchent des aides de la PAC qui complètent largement leur retraite. Et, nous, en attendant nous sommes à la peine pour nous développer. D’après mes calculs, d’ici dix ans nous ne serons plus qu’une quinzaine d’adhérents dans cette cuma, avec un matériel vieillissant.» Yoan Rochas se désole de la situation et espère une prise de conscience de ses aînés pour soutenir les jeunes agriculteurs.
2 / Prendre un bon départ avec la cuma de Queyrel (05)
S’il savait qu’il était fait pour l’agriculture, Ludovic Faure a tout de même vécu une première vie professionnelle aux antipodes. Jusqu’à 30 ans, il travaille dans un garage automobile comme carrossier peintre. Son rêve: créer une exploitation bovine viande, mais les places sont chères et les terres aussi quand on ne reprend pas une exploitation familiale. «Je savais qu’un jour j’y reviendrai mais il fallait attendre le bon moment.»
En 2009, il se lance et adhère immédiatement à la cuma dont il utilise à 100% le matériel de travail du sol et à 50% celui de la fenaison: «certains adhérents sont autonomes en fenaison mais ils ne le sont jamais à 100% pour le sol.» Il poursuit, «nous renouvelons le matériel tous les cinq à sept ans.» Trésorier de la cuma depuis 2019, Ludovic Faure a mis en place une réservation du matériel via l’application Whatsapp. «Les messages groupés fonctionnent plutôt bien, nous servons un peu à la carte et ça marche.» Une méthode originale qui permet à la cuma de s’organiser autrement, en suivant l’air du temps.
3 / Du matériel sur lequel on peut compter à la cuma du Drac (05)
Technicien audiovisuel pendant dix ans à Gap, Mickaël Pellegrin à repris l’exploitation en Gaec dans les Hautes-Alpes avec sa femme en 2015 et adhère à la cuma du Drac. «J’ai dû attendre pour prendre la succession de mes parents car nous ne pouvions pas tous vivre sur l’exploitation», se rappelle-t-il. Les parents partis à la retraite, il décide de lancer une activité fromagère. «C’est une excellente façon de valoriser le lait que nous produisons.» Son fromage, il le commercialise via la coopérative La Durance à Guillestre et pour son lait il suit le chemin tracé par ses parents.
La cuma n’est pas essentielle à son activité selon lui. «Il existe aujourd’hui des garages agricoles qui louent du matériel et ils ne reviennent pas forcément plus cher.» Pour Mickaël Pellegrin, l’adhésion à la cuma est davantage vécue comme un héritage, une façon de participer à la vie de l’agriculture dans son secteur. «Mon père était déjà en cuma, je ne me suis pas forcément posé la question de faire autrement. Nous n’utilisons pas le matériel tous les jours mais nous savons que nous pouvons compter dessus». Une forme de sécurité qui apporte de la quiétude à l’agriculteur.
4 / Renouvellement des générations: pérenniser les exploitations avec la cuma de Rey d’Agneou (83)
En janvier 1992, après une carrière de 17 ans dans l’armée, Michel Collin prend sa retraite. Un moyen de retrouver le Sud, et aussi sa liberté. À 33 ans, il récupère l’exploitation de son beau-père. Rapidement, il se lie d’amitié avec trois de ses voisins agriculteurs, spécialisés dans les vignes, comme lui. En 2001, ils scellent leur entraide en créant une cuma.
Il y a six mois, Michel Collin a transmis à son gendre son exploitation et ses parts en cuma. «L’histoire se répète un peu. Il était menuisier, il va devenir agriculteur. En récupérant mes parts dans la cuma il assure à la fois la pérennité de l’exploitation mais il garde aussi le contrôle de la production. Dans les Alpes-Maritimes, de gros investisseurs sont venus s’installer, ils ont tendance à faire des contrats avec les agriculteurs d’ici et viennent vendanger les parcelles. Nous perdons la main sur la production. Le modèle cuma nous permet de la garder, j’espère que les jeunes y seront attentifs».
Dans la cuma de Rey d’Agneou pas de registres, les adhérents, souvent enfants ou petits enfants des quatre membres fondateurs, travaillent en toute confiance. «Nous n’avons jamais eu de problèmes de gestion et je compte sur les jeunes, qui sont de plus en plus nombreux, pour garder cet état d’esprit», espère Michel Collin.
5 / Renouvellement des générations: engagez-vous!
«J’ai 62 ans, il est temps que les jeunes prennent le relais, place aux jeunes», lance Jean Rabarin, le président fondateur de la cuma de Saint-Marc, spécialisé dans la vigne. Pour l’instant, un jeune adhérent d’une trentaine d’années est pressenti pour prendre sa succession mais les élections n’auront lieu qu’en janvier 2022. «Notre cuma fonctionne bien depuis sa création en 2001, la gestion n’est pas forcément difficile. Nous ne sommes que six adhérents», argumente Jean Rabarin. Pourtant les candidatures ne sont pas nombreuses. Il ajoute: «il faut un peu pousser les jeunes à reprendre sinon ils ne sont pas trop demandeurs. En même temps, les jeunes qui viennent d’entrer dans la cuma ne sont pas du métier. Et puis s’ils prennent la présidence de la cuma ils devront aussi devenir le chauffeur de la machine à vendanger.»
Ils hériteront aussi de l’entretien du matériel cuma. «Je comprends que ça les inquiète un peu.» Ce qui inquiète surtout Jean Rabarin c’est la prépondérance du numérique dans la gestion administrative. «Les jeunes sont plus à l’aise avec cela, ils font tout depuis leurs téléphones.» Côté matériel, la cuma de Saint-Marc va s’équiper d’une nouvelle machine à vendanger dotée d’une cabine, une New Holland Braud: «les jeunes auront plus de confort et j’avoue que j’en ai un peu assez de cuire moi aussi», s’amuse-t-il. Pour l’organisation, Jean Rabarin compte aussi sur les jeunes pour assurer une gestion rigoureuse et équilibrée entre les différentes exploitations.
6 / Professionnaliser l’organisation des cuma et avoir une gestion plus entrepreneuriale
Pour Antoine Méo, quintuple champion du monde d’enduro et adhérent à deux cuma, les cumas doivent permettre aux agriculteurs d’accompagner les changements de modèle agricole.
«Dans le Sud nous n’avons pas assez la notion d’entraide. La plus grosse difficulté réside souvent dans l’organisation. Certaines structures proposent des tarifs défiant toute concurrence. C’est bien pour avoir de nouveaux adhérents. Mais au bout du bout, elles ne disposent pas des moyens financiers nécessaires pour entretenir ou racheter du nouveau matériel. Du coup, les agriculteurs ont du matériel suranné qui ne leur permet pas de travailler différemment. J’ai eu la chance de pouvoir voir d’autres cuma ailleurs qu’en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, elles sont souvent de plus grande taille, avec des salariés, du matériel entretenu, une organisation proche de celle d’un prestataire. Sur mon secteur plusieurs agriculteurs se tournent vers des ETA car ça ne marche plus avec la cuma. Le coût est plus élevé mais ils ne sont pas embêtés. Nous avons besoin de matériels qui marchent, de machines en doublon pour apaiser les tensions.»
Adapter des idées vues ailleurs
Dans notre cuma à Reillanne dans les Alpes-de-Haute-Provence, nous sommes un petit groupe de cinq agriculteurs à vouloir faire autrement. D’ici quelques mois nous investirons dans un nouveau semoir semi-direct multicuves de la marque Sky dont le prix a été évalué à 110 000 €. Avec ce nouvel outil, nous pourrons augmenter notre débit de chantier et envisager de nouvelles cultures.
Je vais aussi tenter de m’affranchir de la coopérative avec laquelle je travaille aujourd’hui. Le manque de technicité m’empêche d’aller plus loin. Je me sens limité. S’ils n’ont pas les semences que je recherche, je perds du temps. Certaines semences se trouvent facilement sur internet et s’il faut investir dans du nouveau matériel pour pouvoir les exploiter, alors je le fais. À mon sens, il faut que les agriculteurs aillent voir ailleurs pour prendre des idées et faire évoluer leurs pratiques.
Il faut professionnaliser l’organisation des cuma, avoir une gestion plus entrepreneuriale pour trouver le bon équilibre entre le besoin de matériel, de technicité et les tarifs. Le modèle doit évoluer pour perdurer.