Bertrand Valiorgue, professeur en stratégie et gouvernance des entreprises au sein de l’IAE Clermont-Auvergne, présentait ses travaux, développés dans l’ouvrage « Refonder l’agriculture à l’heure de l’Anthropocène », dans un format « Carte blanche ».
En resituant la Terre dans cette nouvelle ère géologique, l’Anthropocène, marquée par un changement climatique induit par les activités humaines, il a reposé les bases de son raisonnement.
Bertrand Valiorgue: l’agriculture comme solution
« Le premier lien avec l’agriculture, c’est la co-responsabilité de la bascule vers le dérèglement climatique. Mais c’est aussi le premier secteur qui en est victime. Et c’est au niveau des exploitations agricoles qu’il peut se solutionner. « Même si », reconnaît-il, « nous ne connaîtrons pas à nouveau dans nos vies un état stable du climat, ni les mêmes conditions. »
Bertrand Valiorgue analyse les incertitudes auxquelles font face les agriculteurs, et les identifie à trois niveaux. « D’abord des aléas climatiques classiques, mais plus fréquents. De nouveaux types d’aléas climatiques aussi. Ce qui rend complexe le fait de se projeter dans des assolement à 5 ou 10 ans par exemple, tout comme dans l’élevage où les systèmes fourragers peuvent s’effondrer. La critique sociale ensuite avec l’apparition d’activistes anti-agriculture. Une partie de leurs motivations est alimentée par une éco-anxiété, notamment par rapport à l’agriculture. »
« Les citoyens ne sont pas conscients des services écosystémiques que fournissent les exploitations, » a-t-il noté.
Des solutions concrètes
« Cela fait beaucoup pour un seul secteur », a-t-il analysé, avant de développer le volet des solutions. « Mon positionnement repose sur une transition des exploitations vers l’agriculture régénératrice. C’est à dire le fait de maintenir et même développer 4 ressources: l’eau, l’air, le sol et la biodiversité, qui constituent des biens communes. »
« Cette trajectoire est pour moi la solution pour atténuer les impacts négatifs des exploitations. Ces quatre champs encaissent d’autant plus les aléas qu’ils sont vivants. Mais cela signifie se mettre dans une dynamique d’apprentissage, au niveau de l’agronomie et de la zootechnie » a-t-il souligné.
« Pour aller au-delà des belles intentions », le chercheur a formulé 4 propositions concrètes. Tout d’abord redéfinir l’agriculture dans le droit rural. « Il s’agirait de compléter cette définition en intégrant les biens communs dont s’occupent les agriculteurs. Il ne s’agit pas d’une coquetterie. Mais de dire que le rôle de l’agriculteur est bien de maintenir et développer l’eau, les sols, l’air et la biodiversité, au-delà de la production de matières premières agricoles. »
De nouveaux statuts
Deuxième proposition: « Modifier les statuts des exploitation pour les transformer en entreprises à mission, pour sortir des normes et des standards imposés… mais aussi générer des engagements contractuels opposables. »
« Il s’agit de partager les efforts. De générer des cascades d’engagements contractuels du producteurs au consommateur, pour créer des sources de financement et regarder les performances au-delà de la production. Il s’agit d’innover, de ne plus subir et de renverser la vapeur des engagements contractuels », a argumenté monsieur Valiorgue.
« Parce qu’on ne pourra pas réformer l’agriculture sans réforme comptable », il souhaite intégrer les services écosystémiques rendus par les agriculteurs à leur comptabilité.
« Cela arrange tout le monde de ne regarder que les coûts et prix liés à la production alimentaire. Il n’y a aucune différence entre une entreprise qui fait des efforts et celle qui en fait, en termes de préservation des biens naturels. Il s’agit avec cette comptabilité, de le matérialiser. »
Agir avant de se faire dépasser
Enfin, dernière préconisation, « l’instauration de nouveaux outils de pilotage et de gestion des exploitations qui intègrent, au-delà de la performance économique, la préservation et la redynamisation des systèmes vivants. « Il y a encore aujourd’hui trop de points aveugles dans les outils de pilotage actuels », analyse-t-il.
A une question sur le concept de récupération du concept d’agriculture régénérative par d’autres acteurs, le chercheur a exprimé ses inquiétudes: « Si vous ne prenez pas en main ces questions, les grands donneurs d’ordre vont vous imposer des cahiers des charges, sans changer les prix. Ils vous aideront à faire quelques investissements mais c’est tout. »
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