Paysanne à moins de 50 h/semaine, c’est possible

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Paysanne à moins de 50 h/semaine, c’est possible

Amande Gat, installée en bovins viande et porcs en Ille-et-Vilaine, s'interroge sur la valeur 'travail' en agriculture. (©Matthieu Chanel)

"Est-ce que je mérite le titre de paysanne si je ne sais pas dépasser 50 heures de travail hebdomadaire ? Au-delà de mon petit cas, cette valeur du travail en agriculture m'interroge."

Officiellement cheffe d’exploitation depuis moins d’un an, mais sur la ferme depuis bientôt trois, je fais partie de ces néo-paysans, reconvertis après une autre vie professionnelle. Je me suis posée assez tôt cette question dans mon parcours ; aurais-je la capacité de travail nécessaire pour être agricultrice ?Il se trouve que je suis une grosse dormeuse et les termes « cracotte » ou « petite nature » me vont assez bien. Petit format, femme, avec une fâcheuse tendance à m’écrouler quand je suis fatiguée.

Marmotte… et complexée

J’ai heureusement rencontré des paysans qui ont su conjuguer leur activité avec une maladie chronique, un diabète, une greffe. Ils sont allés jusqu’au bout de leur carrière malgré des contraintes, la maladie ou des hospitalisations. Donc c’était possible.

La vie au plein air et l’activité physique renforcent les défenses immunitaires et forgent le corps. Je suis moins malade depuis que je passe beaucoup de temps dehors.

Mais mon complexe n’est pas parti, et cette question continue à me tarauder.

De fait, j’ai croisé plusieurs collègues semblant se vanter de travailler 80 heures par semaine comme si c’était normal. L’un m’a même dit fièrement avoir testé la semaine de 120 heures.

J’en suis tout bonnement incapable. Ou de façon exceptionnelle comme pour des événements, comme ceux que l’on faisait avec notre activité précédente de transformateurs. Et avec une petite période de récupération derrière. Est-ce que je mérite le titre de paysanne si je ne sais pas dépasser 50 heures de travail hebdomadaire ?

Au-delà de mon petit cas, cette valeur du travail en agriculture m’interroge.

Quelle image du travail ?

Qu’est-ce qu’on met derrière «travail» ? Est-ce qu’on compte le café avec le voisin ? Les formations ? Le temps militant ? Le temps passé à penser son activité ?

Prend-on en compte le fait que pour qu’un agriculteur, en général masculin, puisse consacrer 80 heures de sa semaine à sa ferme, il faut que sa compagne prenne en charge tout le travail domestique ?

Est-ce que physiquement, une heure de maraîcher.e compte pareil qu’une heure d’éleveur.se ?

Est-ce que c’est honteux de travailler 20 heures par semaine, comme d’autres collègues qui l’assument parfaitement ? De prendre des vacances ?

Qu’est-ce que ça dit de l’agriculture cette image du « travail » ? Est-ce que ça donne envie aux jeunes d’embrasser le métier ? À d’autres de se reconvertir quitte à perdre vie de famille, activités extra-professionnelles ?

S’affranchir du qu’en-dira-t-on

Nos corps, nos familles, l’enjeu du renouvellement des générations, notre environnement aussi, mériteraient qu’on se pose cette question de la place du travail dans le monde agricole.

En plus de l’humain, pour la biodiversité, il peut même être pertinent d’accepter de ne pas faire, de laisser quelques sauvageonnes prendre un peu de place. Parfois, ne pas faire économise du carburant, du temps, de l’énergie, du confort, sans mettre en danger la production.

Mais il faut aussi savoir s’affranchir du qu’en-dira-t-on.

Faire moins, faire mieux, accepter que tout ne soit pas parfait. Et assumer de prendre du temps aussi pour « chiller », ne rien faire… Comme tout le monde.

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