Ces quatre scénarios ont été présentés lors du Forum National Emploi du réseau Cuma, début novembre à La Rochelle, par Muriel Mahé. Madame Mahé travaille au Centre d’Etudes et de prospective du ministère de l’Agriculture et a expliqué la méthodologie qui a conduit un groupe d’environ 25 experts à les formuler.
L’idée de cette présentation? Identifier quels seront les besoins d’emplois dans les cuma en 2030, du côté des compétences des salariés et des employeurs, et comment les anticiper.
Un exercice passionnant, qui permet de voir les possibilités se construire quasiment sous nos yeux, mais aussi d’identifier les risques et les leviers sur lesquels il va falloir peser pour «modeler» l’avenir des zones rurales.
Et qui permet de nourrir de façon constructive le débat lancé par le mouvement des «Gilets jaunes», alimenté notamment par l’inquiétude et les incertitudes des populations des zones rurales quant à leur avenir.
Ce qui est certain
Les experts ont tout d’abord identifié les dénominateurs communs des 4 scénarios, le futur «quasi-certain». Les voici:
- Une société numérique, majoritairement urbaine, mobile
- La multiplication des centres de décision politique
- La transformation digitale du travail (organisation et contenus)
- L’augmentation des attentes en matières de compétences. C’est-à-dire qu’il va falloir se former tout au long de sa carrière, de manière formelle… ou pas
- Le vieillissement de la population et le renouvellement des générations.
Les facteurs variables
Le groupe a ensuite fait varier une série de paramètres pour lesquels la société peut avoir une attitude plus variable, des facteurs discriminants entre les scénarios:
- Le niveau de croissance économique et le taux d’emploi
- L’intensité de la transition écologique
- L’importance accordée aux cohésions sociale et territoriale
- Le partage des espaces entre agriculture, loisirs, métropoles
- La localisation des espaces dédiés à l’agriculture et aux loisirs (L’agriculture sera-t-elle par exemple essentiellement périurbaine? Ou bien au contraire, «repoussée» aux marges des territoires?)
- Les modes de consommation, les modes de vie
- Le poids des normes publiques ou privées, qui régissent le travail et ses conditions d’exercice
Une partie de ces facteurs peut varier en fonction de décisions politiques, au niveau national ou régional, mais aussi des choix et modes de vie de la population, a souligné Muriel Mahé.
C’est en modulant le «poids» relatif de ces paramètres variables que l’équipe a dessiné les 4 scénarios.
N’hésitez pas à réagir: quels scénarios vous séduisent? Lequel vous semble le plus probable? Comment favoriser l’émergence de l’un ou de l’autre? N’hésitez pas à nous le faire savoir en commentant cet article.
Scénario 1: Métropoles vs campagne, expertise et débrouillardise
Ce scénario repose sur une croissance économique comparable à celle d’aujourd’hui. La natalité est dynamique et la population se concentre dans une quinzaine de métropoles.
Les inégalités se creusent entre ces villes géantes et les territoires ruraux. Les moyens budgétaires restent limités et le chômage élevé. Les urbains voient la campagne comme un espace de loisirs, de repos, et l’ensemble de la population achète «responsable» mais au plus bas prix.
Dans un contexte «technophile», les plateformes numériques progressent, les normes liées au travail reculent. L’emploi est polarisé: soit très peu qualifié (non-mécanisable), soit extrêmement qualifié. L’ubérisation est à l’œuvre aussi dans ce domaine: ceux qui y réussissent sont polycompétents, agiles, débrouillards et savent manier le relationnel.
Les exploitations agricoles, dans ce jeu, sont de deux types: de grandes exploitations pluri-spécialisées, ayant recours à l’automatisation et au salariat, et les autres, «à taille humaine», en circuit court ou avec des projets particuliers.
Scénario 2: Équilibre entre les territoires, transitions effectives
Ce scénario repose sur une croissance économique favorable et la mobilisation des Régions pour le développement économique. «Elles financent transports, infrastructures, services publics, etc. pour favoriser le maintien ou l’arrivée d’habitants dans le monde rural», indique le groupe dans sa note de synthèse.
Les transitions écologiques et numériques, portées à la fois par les politiques, les collectivités et les citoyens, fonctionnent, ce qui a des répercussions positives sur l’agriculture, le commerce de proximité, l’alimentation durable, le recyclage, les bio-industries, le génie écologique et les énergies renouvelables.
La fonction de production de l’agriculture est reconnue, mais aussi les services environnementaux et l’éducation au vivant. Le taux de chômage est modéré, grâce à un tissu économique opérant sur tout le territoire dans les domaines de l’écologie industrielle, des industries petites et moyennes et de l’économie circulaire.
Les normes se renforcent et créent des emplois, tout comme les transitions qui nécessitent d’être accompagnées. Les métiers techniques sont valorisés car on prend en compte leurs dimensions d’expertise, d’analyse et d’éthique. Les modes de production plus intensifs en main-d’oeuvre gagnent du terrain, tout comme les métiers destinés à fluidifier les relations avec les consommateurs (pédagogie, communication, commercialisation).
Le recours aux travailleurs détachés ou à de la main-d’œuvre étrangère permet de combler les besoins pour les emplois les plus pénibles, les moins bien rémunérés et les plus éloignés.
Scénario 3: Mondialisation, spécialisation et individualisme
Ce scénario repose sur une croissance faible et un chômage élevé. L’Etat se désengage des territoires et se recentre sur quelques missions: sécurité, santé et éducation. Les Régions doivent gérer le reste avec un budget contraint.
A tous les échelons, on recherche le meilleur rapport coût/efficacité. Une partie de la population revient à la campagne pour dépenser moins: on se recentre sur la famille, on se débrouille. En l’absence de dispositifs de soutien, il devient difficile de concilier vies familiale et professionnelle.
Les exploitations agricoles deviennent des entreprises comme les autres, obéissant aux règles de la mondialisation. Soit elles deviennent de grandes structures dotées de statuts sociétaires classiques, soit elles s’intègrent à l’amont ou à l’aval. Elles recherchent, comme toutes les entreprises, l’efficacité économique et arbitrent entre coûts salariaux, investissements, délocalisation ou travailleurs détachés.
Les chefs d’exploitation deviennent des chefs d’entreprises «classiques», faisant travailler une main-d’œuvre précarisée et bon marché. Le système de formation et les emplois deviennent très sélectifs et spécialisés. Les familles, qui craignent pour l’avenir de leurs enfants, les poussent dans les filières dites «d’excellence» et les détournent de l’enseignement technique.
Scénario 4: «Silver économie», collaboration et mutualisation
Ce scénario repose sur une croissance dynamique et le vieillissement de la population. Vivre mieux, près de la nature, en bénéficiant de tous les services avec les nouvelles technologies: un souhait qui favorise l’étalement urbain. «La ville absorbe le péri-urbain et intègre les espaces ruraux», précise la note.
Au global, la population, en quête de sens, a plus de temps pour les loisirs ou le bénévolat, recourt davantage aux services à la personne. Le monde politique prend conscience de l’intérêt de développer les cohésions sociales et territoriales à tous les niveaux. L’Etat cherche à réduire les inégalités sociales, à travers les services publics, les infrastructures, l’aide aux plus démunis.
Innovations et changements de comportements positifs sont encouragés par les politiques publiques. Dans tout, on cherche à comprendre les situations dans leur globalité. Cela se traduit par des consommateurs attentifs, la valorisation de compétences d’analyse, des entreprises et des professionnels travaillant volontiers en réseaux et en groupements.
Les chefs d’exploitation ne font pas exception: très diplômes, ils conduisent le changement au sein de fermes pluri-spécialisées. «Les formes coopératives et les groupements progressent pour mutualiser le matériel et améliorer les conditions de travail», analyse la note.
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