La baisse de la production française de lait en 2016 est estimée à -2,8%, selon FranceAgriMer, et une tendance de -5% était donnée par le Cniel pour les deux premières semaines de 2017. Certes, avec une chute d’environ 25€/t sur l’année (source FranceAgriMer), le prix n’a pas été une source de motivation pour les éleveurs.
Cependant, la baisse de production est davantage subie que choisie, en raison principalement de la mauvaise année fourragère liée aux conditions climatiques. «La valeur de l’ensilage de maïs a diminué de 2 à 3 kg de lait la production journalière par vache, observe Joël Rousseau, conseiller pour Elevage conseil Loire Anjou. Les animaux ont aussi souffert du coup de chaleur de l’été et n’ont pas pu pâturer à l’automne suite à la sécheresse.»
Les trésoreries en berne ont forcé les éleveurs à conduire leur troupeau de façon restrictive, en limitant notamment les achats de concentrés. Si les effectifs de vaches se sont globalement maintenus dans les troupeaux, certains ont quand même réformé davantage en raison du manque de fourrage ou d’un besoin urgent de trésorerie. Une solution particulièrement privilégiée là où la maîtrise de la qualité était nécessaire. Enfin, bien sûr, les cessations d’activité ont contribué à réduire la collecte.
Le faible niveau de production devrait perdurer au moins jusqu’au mois d’avril et à la mise à l’herbe, car les stocks fourragers sont faibles. Cette situation contribue à soutenir un prix du lait qui semble présenter de timides signes de reprise. Car, tandis que le cours du beurre flambe à plus de 4.000€/t, les montagnes de poudre de lait freinent l’embellie. Chef de projet économie au Cniel, Béranger Guyonnet le reconnaît : «Il y a un gros point d’interrogation sur ce qui se passera à partir de mai. Quelle sera la réponse des producteurs à une éventuelle hausse de prix? Cela va se jouer au niveau européen et aussi, au niveau des grands pays exportateurs.»
Optimiser le système existant
Conseiller lait à la chambre d’agriculture de Maine-et-Loire, François Battais ne croit pas beaucoup à une relance collective de grande ampleur de la production laitière. «Le plus gros du développement des exploitations a été fait. Il y a encore quelques projets à la marge, mais il y a aussi beaucoup de départs à la retraite qui se profilent, parfois sans repreneur. Avant de produire plus, il faut engager de l’argent, or beaucoup d’éleveurs ont besoin de temps pour reconstituer leur trésorerie.»
Même constat pour Joël Rousseau, qui entend chez les éleveurs des préoccupations bien différentes d’il y a quelques années. «Très peu sont dans une dynamique d’investissement pour produire plus. Les volumes ont déjà beaucoup augmenté et aujourd’hui, les bâtiments sont saturés. Le travail est aussi un facteur limitant sur les exploitations.»
Pour Emmanuel Lepage, responsable du pôle animal au Clasel, la crise a fait prendre conscience de l’importance d’optimiser le système existant et de se plonger dans les chiffres pour revoir ses pratiques.
«Je pense que la tendance actuelle est plutôt là, indique-t-il. Les éleveurs sont beaucoup plus sensibles à l’enjeu économique. Par exemple, ils regardent de plus près la qualité nutritionnelle de leurs fourrages et l’efficacité alimentaire de la ration. Par ailleurs, ils cherchent à améliorer le prix du lait par la qualité. La conversion au bio intéresse bien sûr, mais on voit aussi un engouement pour la race jersiaise dont le lait est plus riche.»
Cette quête d’optimisation économique se traduit, selon Emmanuel Lepage, par une spécialisation vers des systèmes de plus en plus cohérents. Par exemple, ceux qui misent sur le pâturage vont se perfectionner avec le pâturage tournant dynamique.
Sécuriser le lait vendu
Ces observateurs proches du terrain arrivent peu ou prou à la même conclusion: les éleveurs n’ont plus l’intention de produire à n’importe quel prix.
Beaucoup se posent désormais la question de la rentabilité réelle d’un choix tel que l’augmentation du concentré par exemple. «La majorité des éleveurs mettent en priorité l’amélioration de la marge et du coût de production, estime Joël Rousseau. On identifie avec eux deux à trois leviers d’action: cela les remotive.»
«Il ne faudrait pas que l’appât du volume anéantisse tous les efforts techniques réalisés pour baisser le coût de production !», alerte de son côté François Battais. Le conseiller rappelle à ce sujet le succès des groupes de progrès dans lesquels les échanges entre éleveurs leur permettent de se situer et, très souvent, de trouver des solutions par eux-mêmes.
Que faire en scénario favorable ?
Pour ceux n’ayant pas atteint leurs droits à produire, des marges de manœuvre sont néanmoins accessibles pour optimiser la production en cas de contexte favorable (prix, production fourragère). «Il est utile d’anticiper l’état des lieux des prairies afin de mettre à l’herbe les animaux au plus tôt, suggère Joël Rousseau. L’insémination précoce des génisses permet de les faire rapidement pâturer et de récolter leur première lactation avec de l’avance. Une autre piste est le choix de variétés précoces de maïs afin de reconstituer les stocks dès le mois de septembre. On peut aussi envisager d’implanter des dérobées à récolter au printemps 2018.»
Pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait, la saturation du bâtiment sur 12 mois est une option, voire le dépassement de capacité pour les animaux dormant dehors à la belle saison (voir notre article « Un quota A bloqué à 840.000 litres« ).
Emmanuel Lepage souligne aussi l’importance de «sécuriser le lait vendu» par rapport au lait produit. «Il existe des moyens afin d’écarter moins de lait pour des raisons de qualité. Si la qualité est bonne, on peut aussi étudier au cas par cas l’intérêt économique de nourrir les veaux avec de la poudre, peu chère en ce moment, afin de mettre davantage de lait dans le tank. Enfin, sans augmenter le nombre de vaches, on peut aussi optimiser la durée du tarissement.»
S’adapter à la volatilité grâce à la flexi-sécurité Entre 2011 et 2013, l’Institut de l’élevage a mené un projet Casdar sur la flexi-sécurité des exploitations laitières. Il met en avant les leviers à disposition des éleveurs pour ajuster le volume de production en fonction de la volatilité des prix, afin de sécuriser le revenu. «La mise en place d’une démarche de projet est indispensable pour choisir les leviers les plus adéquats» précise l’institut. Les fiches leviers où le détail des actions citées dans ce tableau sont à retrouver sur le site idele.fr (taper «flexisécurité» dans le champ de recherche en haut à droite). Elles sont accessibles aussi via le site entraid.com. |