Des pêchers aux Aubrac
Au-delà des vergers, la centaine d’hectares de l’exploitation comprend de nombreux bois et parcours. « Mon père a commencé à prendre des vaches en pension pour l’entretien. Ça fonctionnait bien… Il a acheté des vaches. Petit à petit, le troupeau s’est agrandi, et a finalement remplacé complètement les pêchers. La crise de la vache folle a fait qu’ils ont commencé la vente directe de viande. Finalement, il s’est lancé dans l’élevage. Mes parents se sont rendu compte que la viande se vendait bien. C’était aussi beaucoup moins contraignant que les pêches en termes de main-d’œuvre. Mon père a fini par ne garder que les bêtes, les asperges, et une activité d’expert agricole. Et ma mère, moins branchée ‘élevage’, s’est investie dans la création d’une école dédiée, un centre de formation aux métiers du bâtiment, qu’elle a orienté vers l’écoconstruction. »
Car ce petit coin de la vallée de l’Aude attire depuis une quarantaine d’années de nombreux ‘néo’, des personnes « de l’extérieur », dont les convictions et les initiatives irriguent encore vigoureusement les villages : festivals, concerts, centres d’arts sont légion. Des entreprises et des organisations pionnières naissent aussi.
Projet 100 % familial
Sur les trois enfants du couple, pendant longtemps, aucun n’envisage de reprendre l’exploitation. « Je voulais travailler dans l’environnement ou la forêt, mais certainement pas reprendre la ferme, » relate Sylvain Mervoyer. « J’ai fait des études d’ingénieur agro, à Montpellier. J’ai rencontré Daphné [sa femme, ndlr], qui était à AgroParisTech, en stage sur l’exploitation. Nous avons travaillé deux ans à Montpellier. Elle, dans une petite entreprise pionnière des circuits courts, Terroir direct. Et moi dans un bureau d’étude qui travaillait sur la gestion de l’eau dans les communes. Puis, comme on aime bouger, nous avons déménagé à La Réunion, où nous avons eu nos deux premières filles, et où j’étais directeur d’une coopérative de producteurs de lapins. »
L’idée de s’installer fait son chemin. « Le mode de vie à la ferme, après avoir travaillé en dehors, me plaisait. Mais il fallait que ce soit un projet à deux. D’une part parce que ça nous intéressait, mais aussi parce que c’est une organisation particulière. Au départ, j’ai eu envie de créer un lieu ‘à nous’. Ça me posait souci de revenir là où j’avais grandi. Mais plus on réfléchissait à ce qu’on avait envie de faire -l’élevage, le tourisme, un fort accent environnemental…-, plus ce retour s’imposait. »
Entre-temps, la situation évolue aussi du côté parental : « les enfants du propriétaire ont souhaité vendre l’exploitation ; mes parents, qui s’interrogeaient alors sur leur devenir, ont fait le choix de racheter. »
Vente directe en intégralité
Une belle concordance de projets ! Pour autant, père et fils décident d’un commun accord de ne pas prolonger la période de tuilage : « Mon père a amplifié son activité d’expertise pour nous laisser la ferme. » Sylvain reprend aussi, à la suite de son père, la présidence de la cuma de Brenac, « une curieuse petite cuma ! Nous sommes une petite dizaine d’adhérents, mais nous avons trois salariés. L’un conduit les automoteurs spécialisés, comme le broyeur et la mini-pelle, les deux autres travaillent en mise à disposition sur les exploitations. »
Ces premières années d’installation sont intenses pour Daphné et Sylvain Mervoyer : ils décident d’agrandir le troupeau qui compte aujourd’hui 100 équivalents UGB, accueillent deux bébés qui viennent compléter la fratrie, autoconstruisent leur maison sur la ferme : une belle structure en bois, paille et terre, qui accueille le foyer familial, mais aussi le bureau de l’exploitation.
Dans ces petits reliefs très influencés par le climat méditerranéen, les bêtes montent en estive de juin à octobre pour paître autour de 2 000 m d’altitude, dans des groupements pastoraux. « Sans cela, je devrais diminuer le troupeau au moins de moitié », pénurie de fourrages oblige.
L’intégralité de la production de viande est désormais écoulée en vente directe, via une liste de clients qui précommandent des colis, livrés dans une poignée de points de collecte. « Il s’agit d’un système très économe en temps et qui permet de ne pas revenir avec de la viande. Je ne regarde pas non plus les cours : nous fonctionnons en direct avec nos clients. »
Indépendance et équilibre
Une autonomie, une « indépendance » même, comme le souligne Daphné Mervoyer, que les éleveurs du secteur peuvent atteindre grâce au petit abattoir de Quillan, à 5 km de l’exploitation. Géré par les éleveurs, le dernier abattoir audois est indispensable mais fragile, sources de tensions régulières entre autorités et éleveurs.
« Ce sont des structures peu rentables, difficiles à gérer, car on est sur des métiers à risque », analyse Daphné, qui a présidé, un temps, la structure. « Les éleveurs se relaient pour la gérer, mais c’est un travail prenant et éprouvant. » Soumis très récemment à « un audit technico-économique et à une inspection sanitaire », selon La Dépêche, le site, présenté comme « indispensable à la filière élevage », se dirige vers une « refonte complète ». « Les collectivités ont compris l’importance de cette structure, qui permet qui permet aux bouchers et à plus d’une centaine d’éleveurs de proposer de la viande locale de qualité, » remarque Daphné.
Depuis quelques années, le couple a aussi décidé de se lancer dans la production de céréales anciennes, pour une production de farine. Une filière de transformation qui intéresse fortement Sylvain Mervoyer : « La fdcuma de l’Aude a organisé une rencontre avec une cuma tarnaise de Monestiés, qui porte une activité de triage en intercuma. Pour moi, c’est important de ne pas consacrer toute l’exploitation à la production de viande. J’essaie que nos bêtes aient le moins d’impact environnemental. Mais nous souhaitons conserver une production végétale sur l’exploitation. C’est une question d’équilibre. »
Pour plus d’information, retrouvez aussi ces articles sur www.entraid.com :
François-Xavier Sainte-Beuve : travailler en équipe pour connaître les autres
[Portrait] Alain Vincent, l’ouverture en partage
[Portrait] Stéphane Cusset, 25 ans, des idées plein la tête
Championne de labour, elle conduit les machines de la cuma