« Là, ça serre un peu les tripes, c’est dur. Je suis en fin de carrière, mais pour les copains » qui ont « encore une dizaine d’années à faire (…) c’est douloureux », confie, la gorge nouée, le salarié en poste à la gestion des stocks, 61 ans dont plus de 30 passés sur le site. Né en 1985 dans un fief de la production tabacole française, cet ex-fleuron de l’économie locale qui s’étire sur 10 hectares, assurait la première transformation de feuilles de tabac venues de toute la France et notamment du Périgord.
Après plusieurs étapes d’intense battage, de séchage et de mélange de variétés, le tabac brut ressortait en matière compressée, les « strips », prêts à partir pour les marchés mondiaux des cigarettiers.
« Notre savoir-faire est reconnu dans l’Europe entière », clame fièrement M. Chanquoi en contemplant, ému, un immense entrepôt désormais quasi vide. « Avant, à la même époque, ça grouillait de partout », les cartons de tabac touchaient presque le plafond…
Mais en août dernier, le couperet est tombé. Le directeur général de France Tabac, Eric Tabanou, a annoncé la nouvelle aux 33 salariés et à la quinzaine de saisonniers. Dans quelques jours, « tout s’arrête ».
« On est montés à plus de 200 employés (…) C’est dramatique », déplore le dirigeant.
Comment en est-on arrivé là? « L’usine était en sursis, la fin était inéluctable », assure le directeur du site – une union de coopératives – qui licenciera de nouveau après avoir déjà subi trois plans sociaux en dix ans (2011, 2014 et 2016).
Les ennuis ont commencé en 2010 avec l’arrêt des aides européennes aux planteurs. « De fait, la production tabacole a diminué d’année en année, et certains produits n’étaient plus en adéquation avec les attentes du marché. Parallèlement, nous subissons la concurrence exacerbée des cigarettiers qui se livrent à une quête du moindre centime », résume Eric Tabanou, critique au passage des « politiques de santé publique ». En 2016, l’usine ne traitait plus que 5.300 tonnes par an, bien loin des 20.000 t/an de la décennie 2000.
Des espoirs dans la vape
L’an dernier, France Tabac espérait une bouffée d’air grâce à la signature d’un accord avec le groupe allemand Alliance One International pour transformer du tabac étranger. En vain : le partenariat qui garantissait 9.000 tonnes a été interrompu après un différend commercial, laissant les producteurs périgourdins dans le doute avec leur tabac fraîchement récolté.
« La production française représente moins d’1% en Europe, elle est condamnée », prédit le directeur.
Mais dans les plantations, d’autres veulent y croirent encore. « C’est un coup dur, mais on va essayer de trouver de nouveaux débouchés. Avec mon fils, on a besoin de cette culture pour vivre : c’est 40% de nos revenus », assure Patrick Maury, éleveur bovin et planteur de tabac, à Mazeyrolles, à 35 km de Sarlat.
Cet agriculteur qui cultive 2 ha de tabac sur sa propriété qui en fait 80, devrait ainsi pouvoir écouler les feuilles qui pendent la tête en bas dans les séchoirs.
A l’annonce de la fermeture, la coopérative Périgord tabac, qui regroupe une centaine de planteurs — ils étaient 12.000 en 1960 — s’est lancée dans une course contre la montre pour écouler ses tabacs. « On a fait marcher nos réseaux », glisse son président Laurent Testut. Selon plusieurs acteurs de la filière, les tabacs iront dans le sud de l’Europe, notamment en Italie.
« Déjà dans les années 70, on était passé du tabac brun au tabac blonc (…) demain on s’adaptera encore », relativise M. Testut, « on risque de devoir s’aligner sur les cours mondiaux mais à nous de s’orienter vers des niches de production. On a quelques pistes ». La planche de salut viendra peut-être des variétés à fort taux de nicotine, très prisées des fabricants de liquides de cigarettes électroniques.