A la fin des estives, pour la seule Ariège, place forte de la cinquantaine de plantigrades du massif pyrénéen, 565 dossiers d’indemnisation pour dommages d’ours avaient été introduits, comptabilisant 1.155 ovins morts ou blessés. En 2018, 443 dossiers avaient été soumis pour 669 ovins victimes, à comparer avec 138 dossiers et 259 victimes ovines en 2015.
1155 Ovins
L’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) impute ce bond à la survenue cette année de quatre dérochements, pour la totalité desquels la responsabilité de l’ours n’a pas encore été formellement établie. L’Office avait suspendu cet été ses constats dans deux vallées de l’Ariège face à des menaces d’éleveurs sur ses agents.
Ces dérochements concernent à eux seuls plus de 500 bêtes. Mais pour le président de la Chambre d’agriculture de l’Ariège, Philippe Lacube, un « seuil a été franchi » avec des « pourcentages jamais connus » de prédation ursine, attestant selon lui de l’impossible cohabitation entre ours et élevage.
Avant, « l’ours passait une fois au printemps et une fois à l’automne, et il prenait une ou deux brebis. C’était embêtant mais ça passait. Mais là, ce n’est plus possible », affirme Patrick Gimeno, éleveur de 450 brebis à Bagnères-de-Luchon, qui met en cause « l’explosion » du nombre d’ours.
« Arrêter le métier »?
« Quand il y en aura trop, il faudra arrêter le métier, à terme, plus personne ne voudra monter en estives », ajoute-t-il.
Le camp anti-ours, qui a multiplié les manifestations cet été et « ne veut plus discuter » avec l’Etat, selon M. Lacube, réclame des retraits de spécimens — en sus du gel des réintroductions déja consenti par le gouvernement — et l’ouverture de réserves pour ceux préservés sur place. Il conteste également l’efficacité des mesures introduites par les pouvoirs publics, « effarouchements » organisés ou l’envoi d’alertes sms pour prévenir les éleveurs de l’approche d’ours.
Mais si les ours se sont multipliés depuis les premières réintroductions en 1996 — imposées par les règles européennes sur la biodiversité — les troupeaux transhumant aussi ont augmenté. De 15% entre 2014 et 2017 dans le Couserans ariégois, selon un rapport de 2018 commandité par le ministère de la Transition écologique.
Ses auteurs voient là de quoi « contredire les propos des professionnels » sur le risque de disparition du pastoralisme.
Pour l’ONCFS, l’augmentation de la population ursine et de son aire de répartition n’est qu’un des « nombreux facteurs qui peuvent influencer le nombre de dégâts ».
Course aux indemnisations?
Parmi les autres, l’Office cite, comme tous les experts, les retards pris par les éleveurs à se doter des moyens de protection requis, le tryptique bergers-chiens de protection-parcs électrifiés. Cet arsenal est subventionné à hauteur de 80% même si souvent au prix d’une lourde paperasserie.
Son absence, ou sa mise en oeuvre défaillante, a contribué à donner de mauvaises habitudes aux ours, s’alarme un spécialiste. Comme beaucoup, au vu de la virulence du conflit, il ne veut pas être cité.
Pour les pro-ours, l’explosion des dossiers témoigne surtout d’une course aux indemnisations encouragée par leur récente revalorisation et l’assouplissement du cadre les régissant, dont la systématisation des dommages accordés au bénéfice du doute.
D’autant que même sans ours, la montée des troupeaux en estive engendre 3 à 5% de pertes en moyenne, du fait de maladies et accidents divers, relève Alain Reynes, de l’association Pays de l’ours,
Selon lui, l’ours a aussi bon dos dans le cadre d’une mobilisation des éleveurs visant la renégociation en cours de la PAC.
« Si demain une PAC moins favorable aux espaces pastoraux en montagne s’ajoutait aux prédations, les montagnes vont se vider », fait écho M. Lacube. Qui admet aussi, même si pour lui la solution n’est pas là, que « l’Etat essaie d’acheter la paix civile en balançant plus d’argent ».