« Un an et demi qu’on bataille, mais bientôt, j’aurai une usine à gaz devant chez moi! Et, avec elle, la puanteur, le ballet des camions, les risques de fuite et pollution », lâche, exaspéré, José Anceau, pointant depuis sa terrasse le large champ qui lui fait face.
Comme beaucoup de villages, Gouy-sous-Bellonne (Pas-de-Calais) verra bientôt sortir de terre trois hautes cuves, surmontées de dômes blancs: une « unité de méthanisation », traitant 30 tonnes de déchets par jour.
« Ici, ça nous pourrit la vie depuis dix ans ! », témoigne, à Somain (Nord), Michèle Droulez face au méthaniseur « posé au bout de son jardin », à une centaine de mètres. Ses voisines, Yvette Gouy et Habiba Marir, se plaignent aussi « d’odeurs épouvantables de pourriture » (…) « qui réveillent la nuit et donnent la migraine ».
Le principe est simple. Dans une grande cuve, appelée « digesteur », sont introduits les « intrants »: effluents d’élevage, lisiers, fumiers, parfois boues de stations d’épuration, apportant les bactéries nécessaires à la fermentation, mélangés à des résidus de culture, déchets verts ou agroalimentaires.
Chauffé à près de 40 degrés et privé d’oxygène, ce mélange se dégrade lentement, dégageant du méthane qui, selon le type d’installation, est injecté dans le réseau de gaz ou transformé sur place en chaleur et électricité. Les boues restantes, appelées « digestat », sont épandues sur les champs comme fertilisant.
De toutes tailles, ces structures sont gérées par des industriels, des collectivités ou installées « à la ferme » par un ou plusieurs exploitants.
Risque sanitaire
Valorisation des déchets, énergie renouvelable: cette technologie « vertueuse » est un « atout » pour « décarboner l’économie », selon le ministère de la Transition énergétique. Elle apporte aussi « un complément de revenu » aux agriculteurs qui revendent l’énergie, « se diversifient » pour être moins dépendants des cours des céréales ou du lait et « achètent moins d’engrais chimiques », soulignent les chambres d’agriculture et la FNSEA.
Soutenue par des subventions et tarifs spéciaux d’achat d’énergie, la filière accélère. Fin 2018, 685 unités de méthanisation étaient recensées par GRTgaz, contre une centaine il y a dix ans. Elles produisaient l’équivalent de 0,4% de l’électricité consommée en France et 0,15% du gaz.
« Le problème, c’est le lieu d’implantation ! », scande Freddy Garcia, président du collectif « Gouy quiétude ». Au-delà des odeurs, du « paysage défiguré », de la « dévaluation du foncier », il y a « le risque sanitaire », pointe-t-il. Car, quatre mètres sous ce champ verdoyant, « se trouve une énorme réserve d’eau potable qui alimente 25% de la communauté d’agglomération de Douai ! »
Sur un sol « fracturé » et « instable », la cuve pourrait « finir par fuir ». Le digestat « pourrait contaminer l’eau avec des nitrates, bactéries, pesticides ou résidus médicamenteux potentiellement présents et que la méthanisation n’élimine pas », estime-t-il. Quatre recours ont été déposés au tribunal administratif par des riverains, deux maires et la communauté d’agglomération.
« Nous mettons tout en œuvre pour garantir la sécurité. Notre projet va au-delà des exigences réglementaires », se défend l’un des trois porteurs du projet, Aymeric Baes. Pour la préfecture du Pas-de-Calais, « aucun élément étudié » ne laisse présager un risque environnemental. « Les techniques, cahiers des charges et réglementations » permettent aujourd’hui de « maîtriser les risques », assure aussi Olivier Dauger, référent climat à la FNSEA.
Pourtant partout, comme à Gramat (Lot), Combrée (Maine-et-Loire) ou L’Huisserie (Mayenne), le scénario se répète. Un collectif d’une trentaine d’associations (CNVM) et un autre regroupant une vingtaine de chercheurs (CSNM) ont été reçus par le gouvernement.
Poser des limites
« Le méthanisation doit être intégrée au mix énergétique, mais de manière raisonnée et mieux encadrée », soutient Daniel Chateignier, professeur de physique à l’université de Caen.
D’une part, « il faut mener plus d’études sur le digestat ». Des analyses menées par deux membres du CSNM dans le Lot « ont révélé la présence de métaux lourds comme le cadmium, cancérogène ».
Et « il faut poser des limites ! Si on construit 10.000 méthaniseurs comme en Allemagne, on n’aura pas les moyens de tout contrôler régulièrement ». Les digesteurs « entreront en concurrence », la surface agricole étant limitée, avec un risque « d’accaparement des terres », craint-il.
Le gouvernement souhaite aujourd’hui porter à 7% la part de biogaz dans la consommation d’ici 2030. « Un chiffre tenable » pour M. Chateignier « à condition de travailler avec des petites structures, qui produisent avec du local pour le local » et « pas avec des superméthaniseurs ».
« Chaque année, des dizaines de millions de tonnes de fumier et de lisier sont déjà épandues sur les champs » et « les faire passer par un méthaniseur ne fait pas augmenter les risques », assure Pascal Peu, ingénieur de recherches à l’Irstea de Rennes. Pour lui, peurs et oppositions « viennent souvent d’un manque de communication ».
Après « un petit mouvement de panique » à l’annonce de leur projet à Aix (Nord), Hubert Verbeke et ses associés ont « ouvert le dialogue, rencontré les gens, fait des aménagements » et même « ouvert une partie du capital pour impliquer les riverains ». « Tout ça a du sens, il faut produire cette énergie propre », assure-t-il. Et « si le métier n’est pas encore parfait, au moins il avance ».