Née à Calais (ça ne s’invente pas), cette beauté du Nord au format « de poche » vend donc de la coppa, des coustellous, des jarrets confits, de la ventrêche, et tous les produits qu’elle a fabriqués à partir de son petit élevage de porcs noirs de plein air, au sein du collectif fermier des Arbolèts, où elle est installée depuis 2018.
Oui, la « pétite » a fait ses classes de boucherie à Aurillac, dans le Cantal. Elle découpe et transforme avec dextérité ses carcasses à l’atelier de la cuma Bio Tout Terrain, à Seissan.
Paris, Hong-Kong, Londres… Seissan
Le tout, seulement quelques années après avoir fait ses gammes à Sciences Po Paris, travaillé à Hong-Kong, Londres, rencontré un amoureux gallois qui l’emmenait le week-end sur la ferme familiale pour « se déconnecter »… Un cerveau qui tourne à plein régime, de la présence, de l’éducation : la classe internationale.
Et puis patatras. En 2015, en ce début de carrière fulgurant, Noémie se découvre une « sensibilité chimique multiple », doublée d’une électrosensibilité. Il ne s’agit pas d’une « petite maladie »: ce qu’elle décrit à son médecin évoque un pré-Alzheimer. C’est-à-dire d’intenses migraines, des troubles cognitifs, des pertes de mémoire et d’orientation. À long terme, le handicap.
Bye-bye le wi-fi, terminé la ville. Mais ces graves allergies l’éveillent aussi, en fouillant les systèmes de causes et d’effets, à radicalité environnementale. Comme beaucoup de « néo » d’aujourd’hui, elle s’imagine rebondir en maraîchage.
Porcs facétieux
Mais le souvenir des « conversations » avec les porcs Berkshire sur la ferme galloise, la rencontre avec les porcs noirs d’une éleveuse britannique dans le Gers et ses cours de BPREA achèvent de la convaincre. « Son cœur ne lui parle que de cochons », résume joliment son collègue Clément Osé.
Clément Osé et Noémie Calais ont co-écrit un livre qui a rencontré un beau succès, intitulé « Plutôt nourrir »(1). À quatre mains, ils racontent les années d’installation de Noémie, l’arrivée des animaux, les premiers clients au marché, ses galères comme un énorme orage qui précipite un épisode érosif massif sur la ferme, la joie de travailler en collectif aux Arbolèts, la plantation de 1300 arbres et arbustes, les facéties de ses cochons, les trajets à l’abattoir, le Matador pour les urgences, la dureté du travail au labo de la cuma, les choix. Elle y a mis des passages de son journal. Et Clément, ses interrogations de néo-rural.
Parmi lesquelles un mémorable passage sur la dépendance du dispositif de Noémie aux céréales et son empreinte carbone. « Ça a été un vrai clash », admet-elle. « Je lui ai dit qu’il se trompait de coupable. Que c’était une erreur de ramener toute cette complexité sociale, émotionnelle, à un calcul. Ça l’a fait bouger. Notamment sur le fait qu’en polyculture-élevage, l’animal valorise tout le reste. Mais cette critique m’a aussi fait réfléchir. »
Recentrage
Notamment car, guerre en Ukraine oblige, le prix des céréales enfle de 530 à plus de 900 € la tonne. « Toutes les marges s’envolaient. »
Noémie Calais revoit l’alimentation de ses porcs, augmente le « recyclage » de matières avec ses collègues des Arbolèts et localement. Et décide in fine de réduire encore son petit cheptel de boucherie, pour développer en parallèle la production de porcelets destinés à d’autres éleveurs. Elle assume : « nourrir les gens d’ici, plutôt que produire. »
L’épisode a aussi permis à Noémie de souligner le lien « entre l’intime et le politique ». Elle raconte aussi dans l’ouvrage sa révolte contre les normes de biosécurité appliquées aux petits élevages en plein air, accusés à l’époque de propager la grippe aviaire, elle qui a commencé par produire des œufs pour se lancer. D’où son implication à l’époque dans le collectif « Sauve qui poule ».
La cuma déménage
Ces thématiques résonnent fort dans ce coin du Gers. Porté par l’euphorie post-covid, les pattes coupées par les épizooties, l’atelier de la cuma de transformation Bio Tout Terrain, se trouve à un moment-charnière : sur le point d’emménager dans des locaux flambant neufs, superbement équipés, loués par la communauté de communes, il devait doubler sa capacité. À la fois sur l’abattage de volailles, en passant de 50 000 à 100 000. Et sur la boucherie, en passant de 50 t à 100 t. « La nouvelle chaîne d’abattage arrive début septembre et l’ensemble devrait être prêt fin octobre 2024 pour accueillir de nouveaux producteurs », explique Tom Lignères, président de la cuma.
Un vrai pari, car « dans le secteur une partie de l’élevage traditionnel s’arrête. En bovin viande, les exploitants ont tous plus de 50 ans, les volumes diminuent. Les élevages de volailles et de canards ont énormément souffert de la grippe aviaire. En parallèle, c’est l’élevage en intégration de coopérative qui se développe, produisant toujours plus de produits ‘standard’. La bonne nouvelle, c’est que deux petits abattoirs multi-espèces sont en cours de rénovation dans le rayon d’action de la cuma. Notre crédo ? Des races de caractères, la qualité de découpe, des transformations fermières et de la vente directe. Ils intéressent les nouveaux éleveurs et les consommateurs », poursuit-il.
« L’attention aux autres »
« Notre cuma est un outil de productrices et de producteurs indépendants », rappelle Tom Lignères. « Nous faisons attention à la gouvernance, et aux particularités de chacun. Nous conservons un management par les éleveurs, avec à terme un nouveau salarié qui fera le ‘trait d’union’ entre nous tous », explique-t-il encore. Et de citer les autres pistes de développement prévues : photovoltaïque, intégration de tiers non associé jusqu’à 20% du CA (restaurateur, transformateur, bouchers…), apport d’un centre de formation.
Mêmes lignes de force du côté des Arbolèts, où une ancienne exploitation de porcs en conventionnel a été transmise à un collectif qui abrite l’élevage de Noémie… mais aussi une bergerie (brebis Lacaune et chèvres) accolée à une fromagerie, des maraîchers et jusqu’à récemment, une filière de grandes cultures destinées à la production de boissons végétales.
Ce collectif regroupe des entités indépendantes mais liées. Les agricultrices et agriculteurs des Arbolèts s’entraident. Au quotidien, ils ont la possibilité de préparer et partager le repas. Le groupe organise des marchés à la ferme, des dégustations, des fêtes, invite des artistes. Il envisage la création d’une cuma à l’échelle des Arbolèts. Il est désormais sous l’aile de Terre de Liens pour faciliter la transmission et les éventuelles entrées et sorties.
« Notre grande force, que l’on parle de la cuma ou des Arbolèts, c’est notre autonomie de gestion et l’attention que l’on porte aux autres », résume Noémie Calais. » On regarde qui fait les marchés, on fait attention aux charges de travail. Et quand il y a un coup dur, on va passer le cap beaucoup plus facilement. »
Extrait
« Il faut nous associer aussi parce que l’autonomie qui fonde la résilience ne peut être atteinte que collectivement. C’est le groupe qui est autonome, pas l’individu seul. Je me questionne encore sur mon choix de tout faire moi-même, de la naissance des porcelets à la vente des produits. (…) L’association des agriculteurs et des artisans répartit les risques sur plus d’épaules. »
Pourquoi ce sujet ?
D’aucuns diront que l’on fait avec le portrait de Noémie Calais, celui d’une vague de néo-ruraux, passés des bancs d’écoles prestigieuses à la production agricole. Avec à la clé beaucoup d’espoirs -souvent déçus-, des épisodes de fatigue, de surprises, de choix, de transmission entre agriculteurs. Mais j’ai trouvé dans le récit de Noémie Calais une foi dans les collectifs -à tous les niveaux- que l’on voit rarement dans ces parcours. Ainsi qu’une intégrité forte, une capacité à lier « l’intime et le politique » (selon ses mots) et à connecter les gens sur un territoire. Sans oublier une combativité hors-norme!
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