Actée par la filière betteravières et le gouvernement le 19 janvier, la décision de la Cour de justice européenne laisse les agriculteurs dans une impasse. En effet, sans pouvoir utiliser les néonicotinoïdes dans l’enrobage des semences, les plantes deviennent vulnérables aux pucerons, vecteurs de la jaunisse. Si cette solution était préventive et dérogatoire depuis deux campagnes, elle avait le mérite de ne pas pulvériser les betteraves d’insecticides au cours de la campagne.
Retour en 2020
Des pertes de rendements peuvent être préjudiciables que ce soit pour les agriculteurs, les usines et même les éleveurs qui utilisent les co-produits. La filière en a d’ailleurs déjà fait les frais en 2020. Aucune dérogation n’avait alors été décidée.
« La décision est sans appel », confirme Guillaume Wullens, président de la CGB (confédération générale des planteurs de betteraves) du Pas-de-Calais et producteur de betteraves dans le Pas-de-Calais. Alors que les semenciers attendaient une nouvelle dérogation et qu’ils s’apprêtaient à enrober une partie des semences de betteraves à l’aide de néonicotinoïdes, la décision surprend tout le monde et est qualifiée d’incompréhensible.
« C’est toute la filière qui risque de souffrir, alerte Guillaume Wullens. Il s’interroge face au manque de pragmatisme de cette mesure. Avec la nouvelle réglementation de la PAC, on nous demande d’avoir des assolements diversifiés. En soi ça peut être une bonne initiative mais il faut nous donner les moyens de produire. »
Importer davantage de sucre ?
Cette décision remet en question également les surfaces à emblaver. Même si les agriculteurs sont engagés avec des contrats pluriannuels avec leurs sucreries, on peut s’attendre à une diminutions des surfaces consacrées à la betterave sucrière en France. D’autant que notre pays est déjà importatrice de sucre.
« C’est aussi le devenir de l’alcool, l’éthanol qui est en jeu, fait remarquer le président de la CGB du Pas-de-Calais. Les tensions qu’on connaissaient sur la fourniture de vinasse et de coproduits, qui sont aussi des engrais organiques, risquent d’augmenter. Sans parler des pulpes de betteraves pour nourrir les animaux. Le sujet était déjà explosif, il risque de l’être davantage. »
La seule alternative que les betteraviers ont à ce jour, est de se pencher vers la recherche grâce au Plan national de recherche et d’innovation (PNRI) lancé en 2020, après l’épidémie de jaunisse qui avait décimé les parcelles. L’envergure de ce plan a permis de trouver 22 solutions pour contrer la jaunisse de la betterave.
À la recherche de LA variété
« Aucune d’entre elle n’est suffisamment efficace, regrette l’agriculteur. La seule chose que les chercheurs espèrent, c’est trouver une variété résistante à la jaunisse. Pour cela il faut davantage de temps. Avec les OGM, cette variété serait déjà trouvée et les conséquences d’une telle décision seraient indolore. On se met des boulets aux pieds. »
Face à ce constat, Marc Fesneau, ministre de l’agriculture a rencontré les acteurs de l’interprofession du sucre le lundi 23 janvier. « Au-delà de prolonger le PNRI, le ministre s’est engagé à étudier un dispositif d’indemnisation des pertes dues à la jaunisse, a annoncé Franck Sander, président de la CGB. C’est une nécessité absolue pour rassurer les planteurs, à condition que ces pertes soient totalement prises en charge et de n’avoir ni franchise, ni plafonnement des aides. »
Une solution qui ne ravit pas l’agriculteur qu’est Guillaume Wullens. « C’est bien, mais je ne produis pas de betteraves pour recevoir des indemnités! D’autant que les modalités d’accès ne sont pas encore dévoilées. »
Hausse du coût de production
À cela s’ajoute une hausse du coût de production, déjà envolé ces derniers mois. Sans néonicotinoïdes, les planteurs devront réaliser au moins deux passages d’insecticides en foliaire si un infestation est remarquée. « Le coût n’est pas anodin, même si on achète des semences un peu moins chères, analyse Guillaume Wullens. Avec les coûts de production actuels, estimés à 3 000 €/ha et un prix d’achat à 40 €/T, il faut que le rendement soit assuré. » Or ça ne semble pas être le cas sans les néonicotinoïdes.
En 2020, les betteraviers avaient essuyé une perte moyenne de 30 % de leurs rendements. Avec tout ce qui implique sur la filière et les emplois, cela avait suffit à motiver l’octroi d’une dérogation d’utilisation. Combien d’agriculteurs vont prendre le risque, cette année, de voir diminuer leurs rendements et chiffres d’affaires ? Les semis de printemps nous le diront.
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