« Les néonicotinoïdes, c’est la solution la plus propre qui existe à ce jour », tranche Eric Lainé, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves, qui représente la majorité des 26.000 exploitants en France. Depuis 1992, la filière a réussi à vaincre le puceron vert, vecteur du virus de la jaunisse, par l’utilisation de cet insecticide enrobé sur la semence, qui agit pendant 90 à 100 jours.
La loi sur la biodiversité de 2016 prévoit l’interdiction des néonicotinoïdes à partir du 1er septembre, avec des dérogations possibles jusqu’au 1er juillet 2020, car ces substances s’attaquent au système nerveux des insectes pollinisateurs, décimant des colonies d’abeilles. « On est en train d’interdire un produit pour protéger les abeilles mais elles ne vont pas sur les betteraves. On se demande vraiment pourquoi on nous attaque là-dessus alors qu’on risque une perte de rendement », s’interroge Thomas Gorge-Hautavoine, qui exploite 85 hectares de betterave sucrière à Warmeriville (Marne).
Un risque réel ?
Cultivée pour le sucre présent dans sa racine, cette plante semée au printemps est récoltée à la mi-septembre, avant floraison… suscitant le désintérêt des abeilles. Mais quid du risque de diffusion des néonicotinoïdes dans les sols des cultures voisines ? « L’insecticide est autour de la graine et, par l’humidité, se répand autour de la betterave, qui va le pomper pour le faire circuler dans la sève et les feuilles, c’est tout », argumente Eric Lainé, qui estime que les quantités dans le sol sont « infinitésimales ».
D’autres insecticides ?
Pour compenser l’interdiction de ce produit, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) prône l’utilisation d’un insecticide foliaire, le Karate K, mais « cette alternative n’est pas efficace car il y aura encore plus de résistance » au puceron, estime Alexandre Quillet, le président de l’Institut technique de la betterave (ITB), organe institutionnel de la filière de la betterave à sucre. En outre il nécessite une pulvérisation aérienne, avec des conséquences néfastes sur « les auxiliaires comme les coccinelles et autres insectes qui sont utiles ». Pour parer à l’urgence, l’ITB encourage l’homologation auprès de l’Anses d’un autre insecticide à base de flonicamide, le Teppeki de la société Belchim, déjà utilisé sur les cultures de pommes de terre, et travaille sur d’autres solutions à long terme.
Résistance au puceron vert et biocontrôle
La recherche porte sur la sélection variétale ou comment favoriser les variétés les plus résistantes au puceron vert: des essais ont démarré en 2017 et se poursuivront jusqu’en 2022 voir 2025 afin « d’isoler le gène qui permet à la plante de mieux résister » puis « l’incorporer dans des variétés élites pour avoir à la fois du rendement et de la résistance », détaille M. Quillet. Par ailleurs, l’ITB et l’Inra mènent depuis janvier 2018 un programme sur trois ans qui étudie les effets bénéfiques du biocontrôle, soit l’action de micro-organismes capables d’empêcher l’insecte d’atteindre la betterave, indique-t-il.
Baisse de rendement
Sans solution efficace contre le puceron vert, la perte de rendement sera « au moins de 12% en moyenne au niveau national, sur plusieurs années », et jusqu’à 50% sur une parcelle, estime l’ITB. « Il y a une position idéologique du gouvernement d’essayer de faire disparaître les produits phytosanitaires les plus dangereux, sans discernement », dénonce Eric Lainé, qui demande une dérogation de deux ans, le temps d’adapter les modes de production. D’autant qu’une baisse de rendement, dans un contexte de chute des cours mondiaux du sucre, pourrait mettre à mal les exploitations, selon Alexandre Quillet, qui craint que la filière soit « mise en péril ». Alors qu’il démarrera sa campagne 2018 vers le 20 septembre, Thomas Gorge-Hautavoine réfléchit déjà à la suite. « Aujourd’hui le rendement de 100 tonnes par hectares, il faut ça pour s’en sortir. Mais je m’interroge sur ma surface de betteraves l’année prochaine car si on n’a plus les tonnages, on n’aura plus de rentabilité, et on fera autre chose », confie cet agriculteur, qui cultive aussi 180 hectares de blé.